«On devrait toujours adopter une approche humaine vis-à-vis de l'IA»

L-R Paola Mejia-Domenzain and Vinitra Swamy © 2024 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

L-R Paola Mejia-Domenzain and Vinitra Swamy © 2024 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Vinitra Swamy et Paola Mejia-Domenzain sont les deux premières doctorantes diplômées du Laboratoire d’apprentissage machine pour l’éducation (ML4ED) de l’EPFL. Elles ont pour ambition d’offrir aux apprenantes et apprenants adultes une mise à niveau par l’IA.

Vinitra Swamy et Paola Mejia-Domenzain ont commencé leurs études de doctorat ensemble à la Faculté informatique et communications de l’EPFL en 2020. Elles voulaient étudier la manière dont l’intelligence artificielle peut faire progresser l’éducation grâce à la personnalisation et à l’évolutivité. Elles ont rejoint le Laboratoire d’apprentissage machine pour l’éducation de la professeure Tanja Käser et sont devenues des amies proches et des collaboratrices.

Vinitra Swamy a toujours été fascinée par l’IA explicable, en répondant à la question de savoir comment nous pouvons expliquer les décisions prises par les «réseaux neuronaux». Bien que ces derniers soient très utilisés comme architectures d’apprentissage machine, les chercheuses et chercheurs les appellent souvent des boîtes noires.

«Nous travaillons sur des réseaux neuronaux interprétables par conception qui ne font aucun compromis sur la performance ou la généralisation. C’est, selon moi, l’avenir de l’IA, où l’explicabilité est intégrée dans les architectures de modèles et non ajoutée après coup», déclare-t-elle. «Du point de vue de l’éducation, il est essentiel d’être à la fois précis et explicable, car ces deux éléments sont déterminants pour effectuer les bonnes interventions d’apprentissage.»

Les travaux récents de Vinitra Swamy visent à rendre les explications compréhensibles et exploitables au-delà d’un public technique.

«Nous avons constaté que les enseignantes et enseignants sont vraiment impatients d’avoir accès à ce type d’informations spécifiques sur leurs étudiantes et étudiants», indique Vinitra Swamy. «Ils sont très enthousiastes à l’idée d’avoir plus d’informations sur les raisons pour lesquelles les modèles font tel ou tel type de recommandation. Cela me rend optimiste quant à la possibilité d’utiliser ces outils en toute confiance.»

Selon elle, dans ses recherches, le Laboratoire ML4ED se distingue par le fait que les modèles sont présentés directement au corps estudiantin et à l’équipe enseignante afin d’apprendre comment ils évaluent et utilisent les nouveaux outils.

Pour sa part, Paola Mejia-Domenzain s’intéresse à l’utilisation de la technologie pour que l’éducation atteigne les populations sous-représentées et améliore la situation en vue de garantir l’égalité d’accès et les résultats en matière d’éducation.

«Il y a beaucoup de gens qui s’intéressent à l’éducation et à la technologie et qui veulent faire quelque chose de bien pour le monde. Je me pose toujours la question de savoir comment mon travail peut avoir un impact positif, comment nous pouvons élargir les possibilités de formation en science des données, une compétence de plus en plus importante, aux populations défavorisées qui n’y ont généralement pas accès», confie-t-elle.

Les recherches de Paola Mejia-Domenzain portent sur trois thèmes importants: comprendre le comportement des étudiantes et étudiants, donner aux enseignantes et enseignants des informations basées sur des données et proposer des interventions personnalisées. Elle a développé un pipeline d’apprentissage interprétable non supervisé pour les séries temporelles afin de comprendre les habitudes d’auto-apprentissage et de régulation des étudiantes et étudiants dans différents contextes. Elle a également développé des tableaux de bord intuitifs d’analyse de l’apprentissage pour permettre au corps enseignant d’avoir une meilleure compréhension de leurs classes afin de prendre des décisions et de procéder à des ajustements en connaissance de cause. Enfin, elle a conçu RELEX, un outil d’amélioration de la rédaction de procédures basé sur des exemples, qui fournit un feedback personnalisé sur les contributions et les expériences antérieures des étudiantes et étudiants, afin d’améliorer à la fois l’engagement et les résultats éducatifs.

«Nous avons la science des données et des modèles d’apprentissage, et nous voulons les réunir pour en faire quelque chose qui a de la valeur pour la société et qui peut rendre le monde meilleur. Je suis convaincue que l’éducation peut être un moteur du changement – il suffit de savoir où et comment l’appliquer correctement», affirme Paola Mejia-Domenzain.

Selon l’OCDE, plus d’un milliard d’emplois seront transformés par les technologies au cours des dix prochaines années, ce qui nécessitera de reformer et de requalifier un milliard de personnes d’ici à 2030.

En réponse à cela, Vinitra Swamy et Paola Mejia-Domenzain ont créé Scholé, une start-up spécialisée dans l’IA au service de l’éducation et axée sur la mise à niveau des apprenantes et apprenants adultes sur le marché du travail. Scholé est une plateforme d’apprentissage qui s’appuie sur les grands modèles de langage et l’IA générative pour offrir un contenu personnalisé de mise à niveau en science des données et en IA qui a été adapté à un contexte professionnel.

«Notre tuteur IA, Olé!, aide les apprenantes et apprenants à co-concevoir leur programme d’études par le biais d’une conversation; dans les coulisses, il utilise un graphe de connaissances de sujets liés à la science des données pour créer un plan d’apprentissage par le biais d’une génération augmentée de récupération. Nous soutenons l’apprentissage autorégulé en fixant des objectifs, en suivant les progrès avec des amis et en recommandant des habitudes d’étude», explique Vinitra Swamy.

Pour Scholé, le binôme vient d’être sélectionné comme lauréat du plus grand concours international EdTech, le Tools Competition, qui fait partie du parcours «Adaptive and Competitive Workforce». Elles ont également été sélectionnées en tant que finalistes mondiales (3% des 2230 équipes) pour le «Global Learning Challenge» du MIT Solve.

Paola Mejia-Domenzain estime qu’une partie de ce succès est due à leur approche de l’IA axée sur l’être humain.

«Il ne faut pas se laisser aveugler par les technologies. Quand on vient du domaine de l’informatique, il est très facile de dire: “Nous avons les technologies! Qui se préoccupe des besoins des utilisatrices et utilisateurs? Nous voulons juste faire des tests parce que nous pensons que c’est bien.” Mais tout cela concerne les personnes. Nous croyons qu’il faut toujours garder à l’esprit l’utilisatrice ou l’utilisateur et voir la situation dans son ensemble.»

Pour Vinitra Swamy, cet aspect humain est peut-être l’élément le plus particulier de ses recherches et du Laboratoire ML4ED. Elle décrit l’EPFL comme une «montagne paradisiaque de l’informatique».

«Le fait d’être en Suisse a eu un effet magique sur mon doctorat. C’est un endroit magnifique, avec des gens extraordinaires venant d’horizons et d’environnements différents, ce qui a un impact positif énorme sur la culture du laboratoire», conclut Vinitra Swamy. «Une grande partie de l’IA peut consister à créer le prochain meilleur modèle, mais lorsque vous avez la possibilité de le confronter à de vrais utilisatrices et utilisateurs, à la croisée de la recherche et de l’utilisation, c’est particulièrement important.»


Auteur: Tanya Petersen

Source: Informatique et Communications | IC

Ce contenu est distribué sous les termes de la licence Creative Commons CC BY-SA 4.0. Vous pouvez reprendre librement les textes, vidéos et images y figurant à condition de créditer l’auteur de l’œuvre, et de ne pas restreindre son utilisation. Pour les illustrations ne contenant pas la mention CC BY-SA, l’autorisation de l’auteur est nécessaire.