Nouveau record d'énergie de fusion pour le tokamak JET
Dans une percée scientifique majeure, des chercheurs européens, dont certains de l'EPFL, travaillant au sein de l'installation Joint European Torus (JET), ont établi un nouveau record mondial d'énergie. Celui-ci a permis de libérer 69 mégajoules d'énergie de fusion de façon soutenue et contrôlée. Cette réalisation marque une avancée significative dans la recherche vers une énergie durable.
Ce résultat a été obtenu dans le cadre d'une campagne expérimentale visant à vérifier les scénarios de fonctionnement des futures machines de fusion, dans des conditions aussi proches que possible de celles d'ITER et des futures centrales de fusion. Ce résultat a été rendu possible grâce au dévouement de l'équipe internationale de scientifiques et d'ingénieur.e.s de JET et reflète le rôle central que JET a joué dans l'accélération du développement de l'énergie de fusion.
Campagne Deutérium-Tritium
En septembre 2023, le consortium EUROfusion, qui regroupe des laboratoires de fusion de toute l'Europe, y compris la Suisse, a lancé une ambitieuse campagne expérimentale dans l'installation JET de l'Autorité britannique de l'énergie atomique (UKAEA) à Culham, au Royaume-Uni. Leur objectif: tester des scénarios d'exploitation extrapolés à partir de dispositifs européens de petite et moyenne taille afin de préparer le terrain pour le projet international ITER et les centrales de fusion qui suivront. Le JET est unique parmi les tokamaks actuels - qui emprisonnent un nuage de combustible chaud et ionisé, à l'état de plasma, dans une cage magnétique en forme de donut - pour sa capacité à travailler avec le combustible deutérium-tritium qui constituera la base des futures machines de fusion telles qu'ITER et la centrale de démonstration DEMO.
Record d'énergie reproductible
En utilisant des scénarios avancés pour structurer et contrôler leur plasma, les chercheur.euse.s ont établi un nouveau record d'énergie de fusion de 69,26 mégajoules de chaleur libérée au cours d'une seule impulsion dans JET. Libérée en six secondes à partir de seulement 0,21 milligramme de combustible, cette énergie record équivaut à l'énergie libérée par la combustion de 2 kilogrammes de charbon. Le record du JET est 20 fois supérieur à la quantité d'énergie libérée lors d'un tir récent au National Ignition Facility (NIF) du Lawrence Livermore National Laboratory en octobre 2023, qui a utilisé une approche différente de la fusion pour produire plus d'énergie que celle absorbée par la pastille de combustible. Cette nouvelle prouesse de l'équipe d'EUROfusion bat les précédents records mondiaux de 59 mégajoules (2022) et de 22,7 mégajoules (1997), également établis à JET. Les scientifiques de JET ont pu reproduire de manière fiable les conditions de fusion nécessaires à l'établissement du nouveau record au cours de plusieurs décharges expérimentales, ce qui démontre la compréhension et le contrôle qu'ils ont acquis sur les complexes processus de fusion.
Essai de scénarios pour l'exploitation d'ITER
Les tirs qui ont battu le précédent record d'énergie de fusion du JET sont venus s'ajouter tardivement à la troisième et dernière campagne d'expériences avec deutérium-tritium de JET. Cette campagne était principalement conçue comme la toute première occasion de démontrer que les scénarios d'exploitation cruciaux pour ITER fonctionneront dans un environnement deutérium-tritium avec ses abondantes réactions de fusion . "Ce qui est peut-être encore plus intéressant pour moi que le record, c'est ce que nous avons réalisé en termes de scénarios pour l'exploitation d'ITER", déclare Emmanuel Joffrin, du CEA, membre français d'EUROfusion, qui dirige le groupe de travail sur l'exploitation des tokamaks d'EUROfusion. "Nous avons non seulement démontré comment diminuer la chaleur intense qui circule du plasma vers la paroi, mais nous avons également montré dans le cadre du JET comment nous pouvons stabiliser le bord du plasma, empêchant ainsi les rafales d'énergie d'atteindre la paroi. Ces deux techniques visent à protéger l'intégrité des parois des futures machines. C'est la première fois que nous avons pu tester ces scénarios dans un environnement deutérium-tritium". Les améliorations apportées au cours de la dernière décennie ont permis de rapprocher autant que possible les spécifications techniques de JET de celles d'ITER, ce qui a permis d'effectuer des études qui permettront à la future machine d'être opérationnelle dès sa mise en service. Dr Fernanda Rimini, gestionnaire principale de l'exploitation de JET et responsable des opérations scientifiques de JET, a déclaré :
Nous pouvons créer de manière fiable des plasmas de fusion en utilisant le même mélange de combustibles que celui utilisé par les centrales commerciales d'énergie de fusion, ce qui témoigne de l'importante expertise développée au fil du temps.
La plupart des approches visant à créer la fusion commerciale privilégient l'utilisation de deux variantes de l'hydrogène : le deutérium et le tritium. Lorsque le deutérium et le tritium fusionnent, ils produisent de l'hélium et libèrent de grandes quantités d'énergie - une réaction qui constituera la base des futures centrales à fusion. Le professeur Ambrogio Fasoli, directeur du Swiss Plasma Center et directeur du programme (CEO) à EUROfusion, a déclaré :
Notre démonstration réussie de scénarios opérationnels pour les futures machines de fusion telles qu'ITER et DEMO, validée par le nouveau record d'énergie, inspire une plus grande confiance dans le développement de l'énergie de fusion. Au-delà d'un nouveau record, nous avons réalisé des choses jamais faites auparavant et approfondi notre compréhension de la physique de la fusion.
Andrew Bowie, ministre britannique du nucléaire et des réseaux, a déclaré:
La dernière expérience de fusion de JET est un chant du cygne approprié après tous les travaux révolutionnaires réalisés dans le cadre du projet depuis 1983. Nous n'avons jamais été aussi proches de l'énergie de fusion que grâce à l'équipe internationale de scientifiques et d'ingénieurs de l'Oxfordshire. Le travail ne s'arrête pas là. Notre programme "Fusion Futures" a engagé 650 millions de livres sterling pour investir dans la recherche et les installations, consolidant ainsi la position du Royaume-Uni en tant que centre mondial de la fusion.
Le professeur Sir Ian Chapman, directeur général de l'UKAEA, a déclaré :
JET a fonctionné dans des conditions aussi proches que possible de celles des centrales électriques actuelles, et son héritage sera omniprésent dans toutes les centrales électriques futures. Il joue un rôle essentiel en nous rapprochant d'un avenir sûr et durable.
JET a terminé ses opérations scientifiques à la fin du mois de décembre 2023. Les résultats des recherches de JET ont des implications cruciales non seulement pour ITER, le mégaprojet de recherche sur la fusion en cours de construction dans le sud de la France, mais aussi pour la centrale prototype STEP du Royaume-Uni, la centrale de démonstration européenne DEMO et d'autres projets de fusion mondiaux, dans la perspective d'un avenir énergétique sûr, durable et à faible émission de carbone. Pietro Barabaschi, directeur général d'ITER, a déclaré :
Tout au long de son cycle de vie, JET s'est révélé remarquablement utile en tant que précurseur d'ITER: dans les essais de nouveaux matériaux, dans le développement de nouveaux composants innovants, et nulle part ailleurs autant que dans la production de données scientifiques sur la fusion deutérium-tritium. Les résultats obtenus ici auront un impact direct et positif sur ITER, en validant la voie à suivre et en nous permettant de progresser plus rapidement vers nos objectifs de performance une fois l'exploitation commencée. D'un point de vue personnel, j'ai eu le grand privilège de travailler à JET pendant quelques années. J'ai eu l'occasion d'apprendre de nombreuses personnes exceptionnelles.