«Nous devons stimuler notre curiosité et la culture de l'observation»

© 2025 EPFL

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Comment encourager différents profils à se lancer dans des cursus en ingénierie ou en sciences et soutenir au mieux les étudiantes et étudiants? Professeur de physique à l’EPFL et vice-président associé pour l’éducation depuis le 1er janvier 2025, Nicolas Grandjean nous partage sa vision dans laquelle la qualité de l’interaction est essentielle. Interview d’un scientifique pour lequel la recherche et le partage de connaissances sont intimement liés.

Vous vous souvenez de vos débuts à l’université?

J’ose le dire? J’ai échoué ma première année car je n’allais pas en cours. L’apprentissage trop académique a été un frein à ma curiosité. Aujourd’hui, cette expérience m’amène à construire mes cours en essayant de garder l’éveil, la curiosité chez les étudiantes et étudiants.

Entre sept et neuf ans, j’ai eu la chance d’aller dans une école proposant un enseignement basé sur les méthodes pédagogiques de Jean Piaget et Maria Montessori, avec beaucoup de pratique, d’apprentissage par le ‘faire’, un accent mis sur le développement de la créativité, de l’autonomie et de la responsabilisation. J’ai appris en pratiquant, en découvrant, c’était génial, hyper motivant. C’est ça que j’ai envie de transmettre.

Selon vous, quel est le rôle d’un enseignant?

Pour moi, enseigner c’est échanger, partager des connaissances et compétences en perpétuelle évolution. Un enseignement interactif est primordial. Je me vois comme un coach qui donne le maximum et je me questionne régulièrement. J’accorde beaucoup d’attention aux évaluations des étudiantes et étudiants, grâce à leurs commentaires, je me suis amélioré. Dans les pays latins, le système éducatif top-down avec un modèle maître-élève est très ancré, je pense que nous devons plutôt travailler ensemble. Mes enfants ont eu l’occasion d’être scolarisés aux Etats-Unis et là-bas, la classe fonctionne comme une équipe avec beaucoup plus d’interactions avec l’enseignant. Je suis aussi un partisan de l’apprentissage par l’échec. Il faut accepter de mal faire, de prendre des risques, cela fait partie du processus d’apprentissage.

Le goût des sciences, ça se transmet comment?

Les sciences c’est avant tout de l’observation, et pour observer, il faut avoir du temps pour être attentif aux phénomènes qui se passent dans notre environnement. Il faut développer cette culture de l’observation, puis du questionnement et de l’analyse qui amène à une solution qui produit une satisfaction intellectuelle. Lorsqu’on est enfant, on a cette curiosité pour tout ce qui nous entoure. Nous devons la conserver. Lorsqu’on enseigne les mathématiques ou la physique, il est aussi crucial de ne pas les déconnecter du réel, de faire des liens avec des expériences du quotidien.

Qu’est-ce qui est important en matière d’éducation dans le domaine de l’ingénierie et des sciences?

Tout d’abord il faut se questionner sur nos buts, qu’est-ce que l’on souhaite? A l’EPFL par exemple, nous voulons former des profils d’ingénieurs et ingénieures multiples. Certaines personnes auront des compétences techniques très poussées, d’autres disposeront de compétences créatives très développées et d’autres encore seront particulièrement douées dans le management et l’organisation. Notre but est d’encourager cette diversité, et pour ceci il faut aussi réfléchir à la manière dont on sélectionne les personnes, c’est-à-dire comment on sonde les compétences et on définit les examens.

Concrètement, quel type de réflexion mener?

A l’école, au gymnase ou à l’université, le cadre du système éducatif est plus centré sur l’évaluation de connaissances à un moment donné que sur l’évaluation du processus d’apprentissage. Privilégier un meilleur équilibre entre le poids de la note de l’examen final et celui des notes liées à des évaluations continues tout au long de ce processus pourrait être une piste. Parfois, nous avons tendance à vouloir transmettre trop de connaissances, il faut peut-être sélectionner et ensuite approfondir ce qui est essentiel. Il est important de consolider les bases pour mieux évoluer. Si on souhaite conserver la diversité, je crois aussi en l’éducation différenciée, avec par exemple des séances d’exercices à disposition des personnes qui ont besoin de plus de soutien.

En matière d’éducation différenciée, l’intelligence artificielle (IA) ouvre de nouvelles opportunités, de quelle manière en tirer parti?

Le Centre pour l’éducation à l’ère digitale de l’EPFL travaille notamment sur un outil d’IA générative fournissant un support pour la résolution des exercices. Dans notre École, les séances d’exercices sont assurées/encadrées par des assistantes et assistants étudiants. Le but de cet outil n’est pas de les remplacer mais de renforcer l’apprentissage par des feedbacks personnalisés.

A plus long terme, une piste serait aussi d’avoir plus de flexibilité au long du cursus avec des modules à groupes de niveaux. Ceci peut apparaître compliqué à gérer au niveau administratif et logistique, mais c’est là que nous pourrions bénéficier de l’aide de l’IA. Sur un autre plan, les technologies peuvent permettre de mieux comprendre des phénomènes en superposant la théorie à l’expérience. En tant que professeur de physique, j’imagine par exemple la possibilité d’utiliser la réalité augmentée pour visualiser lors d’une expérience tout ce que nous ne pouvons pas voir à l’œil nu, comme les vecteurs «force», «vitesse», «accélération»... Paradoxalement, les technologies qui parfois nous déconnectent du réel peuvent aussi servir à nous y raccrocher.

Comment bien se préparer pour l’EPFL?

Tout d’abord, il y a le bagage scientifique. Les statistiques montrent que les personnes qui ont opté au gymnase pour l’option spécifique physique et applications des mathématiques ont plus de chances de réussite. Néanmoins, les personnes qui n’ont pas choisi cette option peuvent aussi réussir si elles sont motivées. En cas de difficultés au premier semestre, le cours de mise à niveau (MAN) fonctionne très bien et il y a aussi la possibilité de faire une année préparatoire au Cours de mathématiques spéciales (CMS). Ensuite, pour faciliter la transition du gymnase vers l’EPFL, des cours en ligne Warm-Up et Apprendre à étudier ont été développés. Il y a également sur le campus la semaine de préparation gratuite à la première année Students4Students proposée par des assistantes et assistants étudiants. Une fois sur place, j’encourage les étudiantes et étudiants à poser des questions à leurs pairs et aux enseignantes et enseignants. Et face à la difficulté d’un exercice, je conseille de considérer cette difficulté comme un jeu, comme un casse-tête. Avec le temps, la solution vient toujours.

Quels sont les défis de la transition entre le gymnase et l’université?

Il y en a de multiples, pour certaines personnes cela implique un déménagement donc c’est l’apprentissage de l’autonomie, mais même sans ceci il faut se responsabiliser, apprendre à gérer son emploi du temps, à prioriser. A l’EPFL, il y a beaucoup de matières, d’exercices à préparer, donc de travail, et de nombreuses activités extra-scolaires proposées, on peut se sentir tiraillé entre tout ça. Il y a aussi un stress qui peut être généré par le fait d’étudier dans une institution mondialement reconnue, la pression que l’on se met, le sentiment de ne pas être au niveau. Et là, c’est notre rôle de créer un climat de bienveillance et de renforcer la confiance des étudiantes et étudiants en leurs capacités de réussir. On voit que cela joue un rôle particulièrement important pour les femmes, et celles et ceux qui n’ont pas de parents issus de formations universitaires.

Pour soutenir au mieux les étudiantes et étudiants, maintenir les liens avec les gymnases est également important, nous pouvons apprendre les uns des autres. Nous devons aussi promouvoir les passerelles et encourager la venue à l’EPFL de profils avec divers parcours. L’EPFL est très internationale avec un fort ancrage local. Nous devons profiter de ce caractère unique.

Nous entendons régulièrement que le niveau des élèves a baissé, est-ce vrai?

Côté EPFL, nous allons lancer une étude pour avoir des données là-dessus. Nous allons analyser sur plusieurs années les examens et les résultats aux examens en prenant en compte les échelles pour la correction. J’ai proposé mon premier examen de physique générale il y a 15 ans et j’ai l’impression qu’il y a une relative constance autant dans la difficulté des examens que dans le taux de réussite. En revanche, j’observe depuis quelques années une difficulté d’attention de la part des étudiantes et étudiants. Je pense évidemment à l’influence des objets connectés et à toutes les stimulations que cela implique. Mais le propre de l’être humain c’est l’adaptabilité, alors il est fort probable que notre cerveau s’habituera de plus en plus à faire plusieurs choses en même temps. Cela dit, il est très important de se laisser du temps disponible. Prendre du temps pour ne penser à rien, c’est être capable d’observer, de se questionner, et de penser différemment, et finalement d’innover pour un monde meilleur, c’est tout ce que je souhaite aux étudiantes et étudiants.

Le parcours de Nicolas Grandjean

Dès son enfance, Nicolas Grandjean a été équipé d’une soif de découverte et d’expérimentation qui ne l’a plus quitté. Appréciant observer la nature et l’environnement qui l’entoure, le responsable du laboratoire en semiconducteurs avancés pour la photonique et l’électronique (LASPE), a choisi d’étudier la physique, car elle donne un autre regard sur le monde, permet de saisir des phénomènes. Après avoir travaillé 10 ans comme chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), il a rejoint l’EPFL en 2004. Depuis quinze ans, il y enseigne la physique générale avec passion. En 2023, les étudiantes et étudiants l’ont d’ailleurs couronné de la PolySphère d’Or, récompensant le meilleur enseignement.