«Nous devons autonomiser les personnes en situation de handicap»

© 2023 Ugo Randazzo.  Engineer Luca Randazzo (left) and his sister Chiara Randazzo.

© 2023 Ugo Randazzo. Engineer Luca Randazzo (left) and his sister Chiara Randazzo.

Exosquelettes des mains, robotique et maisons intelligentes pour fournir une assistance, l’ingénieur de terrain Luca Randazzo de l’EPFL n’est pas du genre à baisser les bras. Ses choix de vie ont été orientés par un seul objectif: aider sa sœur qui souffre d’un handicap.

Qu’ont en commun la start-up Emovo de l’EPFL, le cours de l’EPFL intitulé Assistive Technologies Challenge et l’association Hackahealth? Ils sont tous initiés par Luca Randazzo, diplômé de l’EPFL et animé par la volonté de mettre l’ingénierie au service des personnes en situation de handicap.

«Il ne s’agit pas simplement de créer des appareils, mais aussi de travailler avec les personnes à qui sont destinés ces appareils, de connaître leurs besoins et de briser les tabous autour du handicap», explique Luca Randazzo.

Né en Sicile où il a grandi, Luca Randazzo connaît très bien le handicap. Sa sœur, Chiara Randazzo, est atteinte de paralysie cérébrale, en raison d’une naissance prématurée et de complications lors de l’accouchement, ce qui a entraîné des troubles moteurs et cognitifs à vie.

Ce n’est qu’après avoir discuté avec Luca Randazzo que l’on peut comprendre derrière son sourire à quel point il est préoccupé par le fait de prendre soin de sa sœur lorsque ses parents ne pourront plus le faire. Il est aussi un de ceux qui essaient, sans craindre l’échec.

À l’université, Luca Randazzo a choisi l’ingénierie parce qu’il pensait que c’était le meilleur moyen d’aider sa sœur et de l’assister dans sa vie quotidienne. Quand il s’est lancé dans la voie de l’ingénierie, l’échec aux examens de première année ne l’a pas dissuadé. «Avant, j’étudiais les concepts de la philosophie et de l’art, et cela ne m’a clairement pas préparé à l’ingénierie», raconte Luca Randazzo en riant. «J’ai échoué sept fois à mon cours d’analyse mathématique avant de réussir l’examen. Je n’avais aucune idée de ce qu’étaient les nombres complexes, ni comment faire une dérivée. Mais relever ce challenge a vraiment forgé mon caractère. J’ai appris à ne pas abandonner, et j’ai commencé à réussir et à devenir l’un des meilleurs élèves de la classe.»

Orientant ses choix en fonction de cette idée d’aider les personnes en situation de handicap, Luca Randazzo n’a cessé de s’interroger sur la pertinence de ses décisions, passant de l’informatique à la robotique. «J’ai choisi l’informatique car je rêvais de créer une maison intelligente, adaptée aux fauteuils roulants et contrôlable par la voix. Je voyais que ma sœur ne contrôlait pas son corps, mais qu’elle pouvait utiliser sa voix», explique-t-il. «Pendant mes études en informatique, je me suis rendu compte que l’on accordait beaucoup d’attention au monde numérique, mais que cela avait très peu de conséquences sur le monde réel. J’avais besoin de quelque chose qui puisse être utile dans le monde réel. J’ai donc commencé à me passionner pour la robotique car j’ai compris que l’intelligence ne peut pas agir sans un corps. L’intelligence et l’action doivent être matérialisées, elles ne peuvent pas simplement rester dans un ordinateur.»

Luca Randazzo a commencé à créer des robots pour aider les personnes souffrant de troubles moteurs et cognitifs. Pour son Bachelor, il a étudié un robot mobile qu’il a combiné avec l’informatique, imaginant un fauteuil roulant autonome capable de se déplacer intelligemment pour sa sœur.

Par la suite, Luca Randazzo a été accepté dans un programme d’excellence italien (Alta Scuola Politecnica) entre les deux écoles polytechniques (Turin et Milan) pour son Master, motivé par le développement de compétences en ingénierie mécatronique et leur application dans le monde réel. Son objectif était de créer des bras robotisés ou des robots humanoïdes pour assister activement les personnes ayant besoin d’aide dans leurs tâches quotidiennes, par exemple un robot capable de nourrir ou de cuisiner. Mais, au fil des années, et grâce à des échanges précieux avec sa sœur à propos de ses idées et de ses prototypes, il a commencé à évoluer vers un nouveau paradigme. Au lieu de créer des robots d’assistance, il a voulu autonomiser les personnes, leur redonner leur propre corps plutôt que d’exclure l’autonomie.

Entre-temps, Luca Randazzo a pris confiance au fur et à mesure de sa progression dans sa carrière. Après avoir terminé son Master en mécatronique, il a commencé à se sentir de plus en plus légitime en tant qu’ingénieur. Travailler dans le domaine de la robotique spatiale au Jet Propulsion Laboratory de la NASA a renforcé sa confiance en lui. «Au JPL, je travaillais sur des projets avec d’autres ingénieurs issus de certains des instituts les plus renommés au monde: MIT, NASA, Stanford. Nous parlions le même langage, pour créer des robots qui vont sur Mars. Je me suis rendu compte que j’étais assez compétent pour comprendre. C’était la rampe de lancement de mon estime de moi», raconte Luca Randazzo.

Luca Randazzo se souvient d’un moment clé qui allait orienter à jamais le cours de sa carrière. «Je me souviens très bien avoir pris l’avion pour Turin pour la cérémonie de remise de mon diplôme de Master. Chiara était assise à ma droite. Elle avait une spasticité sévère des mains qui les maintenait en poings fermés. Elle ne pouvait pas utiliser ses mains, l’un des organes les plus importants dans la vie de tous les jours. J’ai compris que ce manque de contrôle de ses membres supérieurs était extrêmement handicapant et lui enlevait une grande partie de son indépendance. C’est à ce moment-là que je me suis vraiment passionné pour les robots portables qui redonnent de l’autonomie. Je me suis dit que les mains étaient importantes et que cela valait la peine de s’y consacrer.»

De retour chez ses parents, dans son garage, Luca Randazzo a lancé son premier projet indépendant appelé Hubotics. Il s’agissait de rétablir la mobilité du coude grâce à un exosquelette qu’il a développé avec sa sœur. Bien qu’il ait pu rétablir le mouvement du coude de sa sœur, cela n’a pas eu l’effet escompté. Au lieu de cela, il a appris une leçon importante: «J’attachais trop d’importance à la fonction, oubliant la personne. Je pensais que si je pouvais rétablir les fonctions, le handicap disparaîtrait. Mais l’intérêt de travailler avec ma sœur résidait dans l’échange avec elle, en lui donnant la parole dans le processus. Elle m’a dit qu’elle aimait travailler avec moi, être l’esprit créatif qui s’occupe de la personnalisation de notre dispositif, des couleurs et des revêtements. Elle a pu participer activement à la société, au lieu d’être un simple bénéficiaire passif. Elle a senti qu’elle avait un but et une voie à suivre. J’ai compris que je ne devais pas oublier l’aspect social du handicap, ni le manque d’intégration dans la société d’aujourd’hui.»

En 2014, Luca Randazzo a été accepté à l’EPFL dans le programme de doctorat en neuroprothèse, pour développer un exosquelette contrôlé par des signaux cérébraux. Quelques années plus tard, en 2017, il a cofondé Hackahealth pour favoriser un environnement social autour du handicap en réunissant des ingénieurs passionnés et des personnes handicapées physiques. L’association organise des hackathons à l’EPFL et à l’ETHZ, visant à développer des solutions pour des utilisatrices et utilisateurs réels ayant des besoins spécifiques. Elle accueille 50 participantes et participants chaque année. L’association organise actuellement son 5e événement.

Après son doctorat, il a fondé sa start-up Emovo, qui vise à fournir des solutions aux utilisatrices et utilisateurs souffrant de troubles moteurs. Le premier produit de sa société, un exosquelette de la main, est développé pour aider les personnes ayant des besoins spécifiques à retrouver le contrôle de leurs mains. Luca Randazzo continue à développer l’exosquelette de la main, avec bien sûr la participation de sa sœur, ainsi que des victimes d’accidents vasculaires cérébraux dans le cadre d’un partenariat avec des centres de réhabilitation en Suisse. Son entreprise a récemment obtenu la certification de fabricant de dispositifs médicaux (ISO 13485).

«J’aime fabriquer des choses, créer un grand garage avec beaucoup de machines, mais aussi faire venir des gens, comme un laboratoire vivant où les personnes en situation de handicap interagissent avec les ingénieurs. Je veux créer toute une communauté autour de cela, et cette idée est toujours dans un coin de ma tête, parallèlement à la création d’appareils qui prennent en charge la fonctionnalité et qui favorisent l’autonomisation des personnes ayant besoin de ces systèmes. Et si j’échoue, je recommencerai tout simplement.»

Luca Randazzo est titulaire d’un doctorat de l’EPFL en interfaces cerveau-machine. Il a obtenu un Bachelor en informatique à l’Université de Catane (Italie), un Master en mécatronique à l’École polytechnique de Turin (Italie), un Master en automatisation à l’École polytechnique de Milan (Italie). Il a travaillé dans le domaine de la robotique spatiale au Jet Propulsion Laboratory de la NASA (Pasadena, Californie).


Auteur: Hillary Sanctuary

Source: People