Nos cellules font de la résistance

Sylvie Roke, directrice du Laboratoire de biophotonique © 2020 Alain Herzog/EPFL

Sylvie Roke, directrice du Laboratoire de biophotonique © 2020 Alain Herzog/EPFL

L’Institut de bio-ingénierie de l’EPFL, en collaboration avec l’Université de Genève, se dote de nouveaux outils pour étudier les flux d’eau dans les cellules.

Pourquoi avons-nous la gueule de bois? «C’est lié au déséquilibre des flux d’eau dans le corps», répond Sylvie Roke, directrice du Laboratoire de biophotonique (LBP) de l’EPFL. « Pour éliminer l’alcool, nos cellules se déshydratent. C’est ce que l’on appelle le phénomène d’osmose.» Il se produit chaque jour dans notre corps, sans que l’on s’en rende compte. Par exemple, lorsque l’on se baigne, les rides qui apparaissent sur nos mains sont dues à la pénétration de l’eau dans notre corps, puis dans nos cellules.

«Pour avoir une osmose, il faut mettre en contact deux solutions liquides ayant des concentrations de solutés différentes à travers une membrane semi-perméable», explique Aurélien Roux, professeur de biochimie à l’Université de Genève. «On assiste alors à une diffusion, sous la forme d’un flux, de la solution la moins concentrée vers la solution la plus concentrée, jusqu’à obtenir un équilibre entre les deux.»

Une question de tension

La tension des membranes cellulaires, dont les mécanismes moléculaires à l’échelle nanométrique et microscopique sont encore méconnus, est au cœur du projet mené par les deux scientifiques. Ils viennent de recevoir une bourse Synergy du Conseil européen de la recherche pour le mener à bien.

En effet, les cellules vivantes sont soumises à l’osmose, car leur membrane plasmique, par ses propriétés de semi-perméabilité, laisse passer l’eau, mais pas les ions. Cette enveloppe protège les cellules de leur environnement extérieur et, en contrôlant les échanges avec l’environnement et l’activité électrique de la cellule, garantit le bien-être et la stabilité de la cellule.

Au cours de l’osmose, le volume d’une cellule peut augmenter, et sa membrane se tend alors sous la pression. Inversement, la membrane se relâche si le volume de la cellule diminue tel un ballon de baudruche. De la même manière, on observe des changements de tension de la membrane lors de la migration cellulaire. «Le contrôle de cette tension est aussi vital que le contrôle de notre température corporelle», avance Aurélien Roux. «D’abord parce qu’il existe un risque de rupture de la membrane à tension élevée. Ensuite, parce que cette tension régule de nombreux processus cellulaires.»

Des techniques innovantes

La tension de la membrane fait l’objet de nombreuses études, mais les techniques actuelles n’ont pas une résolution spatiale et temporelle suffisante pour étudier les interactions moléculaires sous-jacentes. Les deux chercheurs comptent donc développer de nouveaux outils de spectroscopie optique et d’imagerie non linéaires, dérivés des technologies inventées au sein du laboratoire de Sylvie Roke. «Nous allons construire deux microscopes: l’un pour examiner les flux d’eau en sondant les interactions entre molécules d’eau et de lipides qui constituent la membrane, et l’autre pour examiner la tension de la membrane avec une résolution spatio-temporelle inégalée», détaille la professeure. «Un long travail de calibration, possible grâce aux outils de biologie cellulaire et de biophysique d’Aurélien, nous attend.»

Sylvie Roke dans son Laboratoire (photo prise avant les mesures sanitaires actuellement en place) © 2020 EPFL

Une histoire d’eau et de biologie

«Alors que l’eau constitue 60% de notre corps, nous devons comprendre comment ses flux sont contrôlés par la cellule», poursuit Sylvie Roke. «Pour cela, il est essentiel d’en savoir davantage sur les interactions moléculaires et la dynamique des interactions entre les molécules d’eau et la membrane des cellules.»

Grâce à leurs nouveaux outils, les chercheurs obtiendront des informations fondamentales sur la manière dont les cellules répondent aux chocs osmotiques, réaction qui joue un rôle important dans les infections et le fonctionnement des reins et des intestins. Ils pourront également avoir de meilleures connaissances sur la migration cellulaire, essentielle à de nombreux processus cellulaires tels que la cicatrisation des plaies, la propagation des cellules cancéreuses ou la réponse immunologique.

A lire également: La salamandre, un modèle de régénération de la moelle épinière

Auke Ijspeert, également chercheur à l'Institut de bio-ingénierie de l'EPFL, a aussi reçu une bourse Synergy du Conseil européen de la recherche pour un projet mené conjointement avec des scientifiques au Canada et en Suède. Leur projet interdisciplinaire vise à décrypter les mécanismes neuronaux sous-jacents de la régénération fonctionnelle chez les salamandres.
Auke Ijspeert et Sylvie Roke © 2020 Alain Herzog/EPFL


Auteur: Julie Haffner

Source: EPFL