Napoletani

È stata la mano di Dio, Paolo Sorrentino, 2021. Courtesy of Stadtkino Basel and S AM

È stata la mano di Dio, Paolo Sorrentino, 2021. Courtesy of Stadtkino Basel and S AM

Un festival cinématographique conçu et dévéloppé par Salvatore Aprea et Barbara Tirone, qui invite à lire la ville de Naples et sa socialité par les yeux et les histoires de personnages cinématographiques qui représentent, sur le grand écran, des histoires de vie des habitants sans céder aux images stéréotypées, grâce aussi à l’interprétation magistrale d’actrices et acteurs d’exception, dirigées et dirigés par des réalisatrices et des réalisateurs aux capacités lyriques extraordinaires.

Voir Naples avec les yeux des Napolitains, pour en percevoir ses particularités. Cela veut aussi dire faire l’expérience de la beauté de la ville et des difficultés vécues chaque jour par ses habitants au caractère insoumis et cynique, mais aussi généreux, génial et teinté d’un stoïcisme qui tend parfois à la résignation et à la paresse.

La ville de Naples et ses habitants ont développé une relation particulière avec toutes les formes d'expression artistique qui explorent la nature psychologique et sociale de l’être humain, ses sentiments et ses histoires, ainsi que les drames de la vie individuelle et collective. Cela vaut pour la littérature, la musique, le théâtre et, depuis le début du XXe siècle, pour le cinéma aussi. Les Napolitains observent avec persévérance les individus, spécialement leurs concitadins. Il n'est donc pas surprenant que la première projection de cinéma à Naples ait eu lieu déjà en 1896, un an seulement après que les frères Lumière avaient déposé leur brevet. Le cinéma napolitain connut alors immédiatement une période faste. Les premiers films étaient marqués par un fort réalisme et sont aujourd'hui considérés comme appartenant au courant littéraire du vérisme. Les auteurs, les réalisateurs et les producteurs s'inspiraient de la vie quotidienne, mais aussi des rituels de la tradition populaire. Deux décennies plus tard, à l'époque du fascisme, la censure a mis un terme à cet essor par l’interdiction du dialecte et de toutes les productions qui montraient des difficultés sociales et économiques. Le cinéma n'avait plus aucune autre mission que celle de divertir le public et de contribuer à la propagande du régime. En revanche, la littérature et le théâtre prospéraient. Après la Seconde Guerre mondiale, le cinéma a connu un nouvel essor à Naples. Dans le sillage des enseignements du néoréalisme, certains auteurs se sont intéressés à des thèmes liés à la modernisation de la ville, souvent régie par des politiques néfastes, et à l’essor de la criminalité organisée. En même temps, plusieurs transpositions cinématographiques d’ouvres littéraires et théâtrale de la période d’entre-deux-guerres ont analysée les aspects plus intimes, psychologiques et sociaux des individus dans la vie de tous les jours.

En combinant ces deux tendances, de nombreux cinéastes ont développé, dès les années 1980, un nouveau courant cinématographique qui, tout en conservant un fond réaliste basé sur la vie quotidienne, se concentre davantage sur les traits psychologiques des personnages des films. C'est ainsi que le cinéma napolitain à livrés plusieurs portraits de l’être humain de la fin du XXe siècle, avec ses incertitudes, peurs et difficultés à saisir le sens profond de la vie.

Le programme "Napoletani” se concentre précisément sur ce dernier courant.

Les œuvres sélectionnées mettent en lumière, sous différents angles, les structures amoureuses et familiales, les structures sociales et les liens entre les arts. “Pensavo fosse amore e invece era un calesse” (Massimo Troisi, 1991) traite de la construction d’une histoire d’amour et d’une famille dans la société contemporaine. Une musique napolitaine poignante (Pino Daniele), les décors expressifs et somptueux de Borgo Marinari et Castel dell'Ovo renforcent le pathos de cette histoire. A l’opposé, Lacci (Daniele Lucchetti, 2020), d'après un roman de l'écrivain napolitain Domenico Starnone, explore, par flash-backs et ellipses, comment les conventions sociales menacent d'écraser une famille et peuvent provoquer la fuite dans l'infidélité.

La famille, le mariage, les enfants, la norme et l'exception sont très présents dans la société napolitaine et l’analyse de ces sujets peut être représentative de phénomènes au sens large et non seulement typiques de la ville parthénopéenne. Nous le découvrons à travers deux drames qui, bien que différents, présentent de nombreux points de contact : “L'amore molesto” (Mario martine, 1995) d'après le roman éponyme d'Elena Ferrante, et “Matrimonio all'italiana” (Vittorio De Sica, 1964 – une incursion dans un courant antérieur) d'après la pièce de théâtre “Filumena Marturano” du célébré auteur théâtrale Eduardo De Filippo. Fatiguée par sa pauvreté, la jeune Filumena cède aux sirènes d'une vie économiquement plus confortable, que la prostitution peut lui offrir. Cependant, en tant que mère célibataire de trois enfants dans un contexte social fortement machiste, elle poursuit obstinément le projet d'une vie normale, d'un mariage qui puisse restaurer son honneur et le respect. Elle atteindra son objectif, bien qu’en gardent un secret. Delia, en revanche, la protagoniste de “L'amore molesto”, vit une vie apparemment normale, basée sur les apparences. La vie l'oblige par contre à se confronter avec son passé et à surmonter des traumatismes qu’elle pensait avoir laissé derrière elle.

Outre ces aspects psychologiques et sociaux, ces deux films témoignent aussi du lien étroit qui exista à Naples entre le cinéma, la littérature et le théâtre. Ce lien se manifeste sous de nombreuses formes comme, par exemple, à travers l’intérêt que de nombreux poètes ont porté à la ville et à ses paysages environnants. Les décors impressionnants de “Il giovane favoloso” (Mario Martone, 2014) et de “Il Postino” (Massimo Troisi, 1994) le temoignent. La sagesse sereine du poète de l'amour, Pablo Neruda, s'inscrit dans le magnifique paysage de l'île de Procida, où le poète fait découvrir la magie de son art à un jeune facteur amoureux et naïf, tandis que l'âme tourmentée de l’écrivain Giacomo Leopardi, dans “Il giovane favoloso”, erre dans les ruelles, les tavernes et les bordels de la Naples plébéienne ravagée par le choléra. Réfugié dans la clame idyllique offerte par un séjour sur les pentes du Vésuve surplombant le golfe, Leopardi fera l’expérience de la violence de la nature pendant une éruption volcanique.

Dans le présent aussi, la famille, les névroses et les relations difficiles avec les enfants jouent un rôle prépondérant à Naples. Les drames représentés dans les films “Ultras” (Francesco Lettieri, 2020) et “La tenerezza” (Gianni Amelio, 2017) se produisent dans des différentes structures sociales. “Ultras” montre l'histoire d'un hooligan à l'apparence grossière mais très fragile en réalité, dans le cadre de champs Phlégréens reliant le passé cristallisé des mythes grecs aux tumultes de la vie actuelle. Cette même fragilité se retrouve dans la famille bourgeoise représentée par Amelio autour de Lorenzo, un avocat à la retraite qui vit dans le centre-ville de Naples et passe sa vie en revue.

Deux structures sociales différentes sont également au centre de “Un complicato intrigo di donne, vicoli e delitti” (Lina Wertmüller, 1986) et de “È stata la mano di Dio” (Paolo Sorrentino, 2021). Le premier est un flash-back dans les années 1980, où il s'agit de découvrir la jeunesse des quartiers pauvres de la vieille ville, livrée à la camorra et à son trafic de drogue, tandis que, dans “È stata la mano di Dio”, nous découvrons la jeunesse de la classe moyenne, dépassée par sa propre prospérité, qu'elle doit fuir pour affirmer sa propre personnalité.

Ce festival a été développé en association avec l'expostion Napoli Super Modern du Musée suisse d'architecture de Bâle

Financement

Stadkino Basel