Mutualiser le matériel, c'est aussi partager des connaissances

Marwan El Chazli et Juan Francisco Bada Juarez © 2024 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Marwan El Chazli et Juan Francisco Bada Juarez © 2024 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Marwan El Chazli a réussi le challenge environnemental de compléter sa thèse de Master en spectroscopie bactérienne en maximisant le partage de matériel de différents laboratoires de l’EPFL.

Une thèse de Master sans acheter de nouveau matériel: un pari que s’est lancé Marwan El Chazli, récemment diplômé en microtechnique. L’ex-étudiant, aujourd’hui chercheur au Laboratoire d'optique quantique et nanométrique (LQNO), se passionne pour des initiatives qu’il crée à partir de zéro. Un émerveillement de l’inconnu: la base de la recherche scientifique. En parallèle d’un Bachelor à l’EPFL, puis d’un Master avec un mineur en technologies biomédicales, il a cofondé l’Entrepreneur Club EPFL-UNIL, travaillé comme communicateur scientifique et s’est beaucoup investi dans l’associatif. Il explique: «Quand on aime ce qu’on fait, on ne compte plus les heures.»

D’origine franco-égyptienne, il confie: «C’est un privilège d'être ici, dans cet écosystème. Il faut se donner pour que nos actions soient utiles aux gens et à l’environnement.»

Réduire le gaspillage

Pour sa thèse de Master, il s’est ajouté une difficulté: n’acheter quasiment aucun nouveau matériel, en utilisant au maximum les ressources déjà présentes sur le campus. À mi-chemin entre la recherche et l’industrie, son projet vise à permettre une détection plus rapide des contaminations bactériennes dans l’agroalimentaire. «Les méthodes de détection de bactéries qui existent aujourd’hui dans l’industrie agroalimentaire sont soit sélectives mais trop lentes, soit rapides mais non-sélectives, explique-t-il. L’objectif ici est de proposer une nouvelle méthode optique qui peut détecter et identifier une multitude de souches bactériennes, le tout en moins d’une heure». Une solution convoitée par l’industrie, qui fait régulièrement face à des contaminations bactériennes menant à des rappels massifs de produits ainsi qu’un coût environnemental et économique important.

Lors de ses recherches, Marwan identifie une technologie existante potentiellement adaptable à ce marché: la Surface-Enhanced Raman Spectroscopy, où un faisceau laser illumine un échantillon dopé par un métal noble, tel que l’or, et produit un puissant signal optique permettant d’identifier le contenu chimique de l’échantillon. Voulant créer une solution clef en main sur ce marché, Marwan propose le projet au Laboratoire de dispositifs photoniques appliqués (LAPD), qui accepte de l’accueillir avec le soutien de la Vice-présidence pour l’innovation de l’EPFL.

Un tel projet interdisciplinaire demande beaucoup de matériel, qu’il faut se procurer et apprendre à manipuler, avant de pouvoir tester ses hypothèses avec des échantillons. Toujours dans une logique de faire avec l’existant, Marwan se lance le défi de tout trouver au sein de l’EPFL et ainsi éviter d’acheter du neuf quand il n’y en a pas besoin.

Toquer à la porte voisine

Pour ce faire, Marwan utilise plusieurs outils mis à disposition par l’EPFL. Le catalogue digital Catalyse de l’Ecole lui permet d’entrer en contact avec divers laboratoires pour emprunter des produits chimiques: «Pour tester une nouvelle expérience, on a souvent juste besoin de quelques milligrammes de produit. Si on achète du neuf et que l’expérience ne fonctionne pas, on se retrouve avec un conteneur plein qui ne nous sert plus à rien.» Pour les composants optiques, il part de la liste des laboratoires de l’EPFL en optique et va rencontrer leurs équipes une à une. Astuce d’importance: «Toquer simplement à la porte s’avère infiniment plus fructueux et agréable qu’un email.»

Juan Francisco Bada Juarez, collaborateur scientifique au sein de la Faculté des sciences de la vie, a été une des nombreuses personnes à aider Marwan dans sa quête d’emprunt de matériel. Il nous ouvre ses armoires: «Tout le monde a plusieurs fois les mêmes bouteilles dans les mêmes armoires de laboratoire, et parfois des produits coûtant cher». Certains produits sont oubliés là une fois que les personnes qui les utilisaient partent, ou sont des trop pleins d’expériences. « Dans d’autres universités, comme Oxford, certaines machines sont partagées », relève-t-il.

Interactions bilatérales

Le collaborateur scientifique met en évidence que rassembler les gens autour du fonctionnement d’un laboratoire a plusieurs avantages: éviter de laisser les laborantins, les chercheurs et les étudiants isolés, et augmenter le partage de connaissances. «Parfois on se demande si on n’invente pas plusieurs fois la roue», s’interroge-t-il en parlant des multiples arrivées et départs de chercheurs et chercheuses dans ce milieu.

C’est une difficulté de la recherche que pallie la stratégie de Marwan, car chaque personne rencontrée dans le cadre de son projet a également partagé ses connaissances pratiques et théoriques. «Toutes mes interactions ont été positives», se réjouit-il. Parmi son réseau, il a aussi pu susciter l’intérêt de certains scientifiques comme Jordan Vacheron, chargé de recherche à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, qui y voit de potentielles applications dans son domaine.

Jordan a notamment enseigné à Marwan les bases de la microbiologie afin d’utiliser et stocker les bactéries qu’il lui fournit. «L’interdisciplinarité ouvre les portes du possible. C’était superbe de travailler ensemble!», relève le scientifique. Il explique également que dans son département de recherche, certaines machines sont partagées entre les groupes, permettant d’élargir son domaine de compétences tout en faisant avancer significativement ses propres recherches.

Faire mieux avec moins: les co-bénéfices

Quel bilan pour Marwan, qui a désormais rendu sa thèse de Master et continue à explorer le sujet? Au cours de son projet, il a emprunté du matériel de toute sorte à plus d’une vingtaine de laboratoires de l’EPFL et de l’UNIL. Au final, seulement trois objets ont été achetés: un laser spécifique et deux bouteilles de 20mL de nanoparticules. C’est donc une méthode largement validée: il est possible de rendre plus efficace l’utilisation du matériel entre laboratoires.

Tout aussi important dans cette quête, de nombreux co-bénéfices ont fait surface. D’abord économiquement, car comparé à des achats neufs, ce sont des dizaines de milliers de francs qui ont été épargnés. Ensuite, c’est tout autant de ressources qui ont été sauvegardées, point positif pour les impacts environnementaux qui en auraient découlé. Troisièmement, en termes de gain de temps: en rencontrant directement les personnes et en recevant leur expertise et conseils d’utilisation, Marwan a esquivé des tests infructueux, comme le veut souvent la recherche, et a évité l’attente des commandes de matériel grâce à l’emprunt direct. Finalement, ces rencontres ont permis le passage de savoir entre domaines de recherche, ce qui est un puissant outil d’innovation.

Dans un contexte de coupes budgétaires, de raréfaction des ressources, de pollutions diverses et d’individualisation, la mise en place à plus grande échelle d’une plateforme de partage et d’achat de matériel de seconde main pourrait-elle bénéficier à l’EPFL et aux autres universités? «Tout le monde peut faire quelque chose à son échelle pour un impact global», soutient Marwan.

Osez donc toquer à la porte voisine. Qui sait quelles opportunités elle ouvrira ?


Auteur: Guillaume Rueff

Source: Durabilité

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