«Mon rôle est analogue à celui d'un guide de montagne»
Responsable de la chaire de géométrie aléatoire, Juhan Aru a reçu il y a deux ans le prix du meilleur enseignant de sa section. La pandémie a amené cet adepte du tableau noir, appréciant les nouveaux défis, à repenser le contenu et le format de ses cours Bachelor.
Les mathématiques sont parfois capricieuses, rebelles, gourmandes en temps et en énergie. Mais elles ouvrent aussi la porte à la créativité, à l’imagination et à cette agréable sensation d’accomplissement « lorsque dans l’épaisse forêt, on a trouvé le bon chemin », image Juhan Aru, professeur assistant tenure track responsable de la chaire de géométrie aléatoire.
Originaire d’Estonie, l’enseignant apprécie user de métaphores naturelles pour parler de la discipline qu’il «aime», car il a passé «beaucoup de temps en sa compagnie». Une science impactant la manière «d’appréhender et d’analyser le monde qui nous entoure». Même s’il avoue que la recherche en mathématiques pures donne parfois le sentiment d’être inutile. Pour conjurer ce dernier, le chercheur en théorie des probabilités s’est d’ailleurs essayé à d’autres disciplines. Après son Bachelor à Cambridge, il a étudié deux ans à Paris, au Center for Interdisciplinary Research in Biology. Une manière d’aborder une science plus appliquée, en se penchant plus spécifiquement sur la microbiologie et la neuroscience, discipline de son frère, neurobiologiste.
L’effort pour arriver au sommet
Mais Juhan Aru est finalement revenu aux mathématiques, tout en conservant son attrait pour les sciences de la vie. La géométrie aléatoire lui permettant de concilier ses centres d’intérêt. «La nature est composée de beaucoup de systèmes comprenant des structures géométriques aléatoires qui ne sont pas complétement symétriques, régulières. Les milliards de neurones de notre cerveau sont un exemple.»
Plus que les mathématiques, j’aime le processus de faire des mathématiques, une manière de s’évader du monde.
A l’EPFL depuis trois ans, après un postdoctorat à l’ETHZ, Juhan Aru donne deux cours de Bachelor et deux cours de Master. En 2020, il a reçu le prix du meilleur enseignement en mathématiques. «Mon rôle est analogue à celui d’un guide de montagne. Pour bien guider les étudiantes et étudiants, je dois connaître les montagnes, les passages difficiles, les endroits où se reposer, les détails sur lesquels attirer leur attention. Les montagnes ne changent pas mais il y a de nouvelles voies. Le chemin n’est pas aisé, lorsqu’ils sont contents, je le suis aussi.» Selon lui, les mathématiques demandent de travailler dur, exigent de la patience, de la rigueur, mais une fois la matière appropriée, cela devient plus simple.
La vidéo à la place du tableau
Habituellement, le mathématicien est un partisan du tableau noir, mais la pandémie l’a obligé à revoir sa méthode d’enseignement. «J’aime les nouveaux défis, je me suis donc demandé ce qui pouvait être fait pour accompagner au mieux les étudiantes et étudiants dans leur apprentissage. Au niveau Bachelor, j’ai repensé mes cours en créant de courtes vidéos qu’ils peuvent regarder à leur rythme. Ces vidéos ne sont pas linéaires, contrairement aux notes de cours qu’elles accompagnent, certaines ont pour but de donner une vue d’ensemble, d’autres de se focaliser sur des sujets précis.»
Au niveau Bachelor, Juhan Aru donne un cours sur la topologie et les espaces métriques et un autre sur la théorie des probabilités. «Pour tenter de maintenir l’engagement des étudiantes et étudiants à distance, je leur ai demandé chaque semaine d’écrire en groupes une démonstration et d’en discuter ensemble la semaine suivante.» Le professeur a également maintenu les deux heures hebdomadaires d’exercices. «J’apprécie ces moments d’échange, les questionnements, ce sentiment de travailler et étudier ensemble.» Créer une cohésion de groupe, c’est d’ailleurs ce qu’il s’applique à faire au sein de son cours Master sur les processus Gaussiens. Un cours à option où le défi est la différence de backgrounds. «Il s’agit de répondre à la diversité des intérêts.»
De manière générale, le professeur assistant a l’objectif de faire de ses cours une expérience interactive et agréable même si la matière abordée peut s’avérer épineuse. Il affectionne les échanges avec les étudiantes et étudiants, qui enrichissent sa recherche et lui permettent de sortir de l’état «d’isolement» dans lequel se trouve tout chercheur en proie avec ses pensées. Cependant, il confie une préférence pour le travail de chercheur. «Plus que les mathématiques, j’aime le processus de faire des mathématiques, une manière de s’évader du monde.» Pour amener ses pensées à vagabonder dans d’autres espaces, il affectionne aussi la lecture de romans du milieu du XXe siècle et la poésie contemporaine. Finalement, résidant en Suisse depuis son arrivée à l’EPFL, il aime se balader dans la nature qui, tel un ruban de Moebius, finit par le ramener aux mathématiques.