«Mon but, c'est utiliser mon expérience afin d'aider les autres»
Doctorant atteint de surdité depuis l’enfance, Cristiano Trevisin s’engage pour améliorer l’accessibilité de l’EPFL aux personnes qui rencontrent différents types de barrières.
D’apparence, Cristiano Trevisin est un jeune homme comme les autres. Il aime le sport, la musique, rire et voyager. Dans les faits, c’est un peu plus compliqué. Malentendant depuis l’âge de 4 ans à la suite d’infections aiguës répétées, il a dû aménager toute sa vie - ses études, ses loisirs, ses relations avec les autres - en tenant compte de cette limitation : «Ma surdité fait partie de la personne que je suis. Ça m’a aussi peut-être aidé, dans un sens, à devenir la personne que je suis. J’ai eu beaucoup de frustrations, de difficultés supplémentaires que mes proches n’avaient pas. Mais c’est une condition de survie, il faut s’adapter et trouver des moyens pour faire face.»
Et faire face, il y réussit admirablement. Assistant-doctorant au laboratoire d’éco-hydrologie de la faculté ENAC, il est déjà titulaire d’un double master en ingénierie civile et hydraulique obtenu en 2020 à l’Université de Padoue et à l’Université technique du Danemark (DTU). En dernière année de Master, il a rejoint l’EPFL pour un semestre d’échange qu’il a enchaîné avec un dernier semestre dans son labo actuel pour réaliser son projet de master. Il n’en est plus reparti et terminera sa thèse dans une année sous la direction du professeur Andrea Rinaldo, récemment auréolé du Prix de l’eau de Stockholm. En parallèle, le doctorant s’est engagé dès 2021 auprès du Bureau de la diversité de sa faculté, ce qui l’a amené à s’impliquer dans le projet «EPFL sans barrières» lancé en 2022 par le Bureau de l’égalité de l’EPFL.
Communiquer, comprendre et s’adapter
«Je suis plus sensible aux difficultés des autres, car il y a souvent une frustration de base qui n’est pas complètement explicable si on ne fait pas face à des barrières dans sa vie. Mais toutes les difficultés sont différentes, alors il ne faut pas tout généraliser. Je peux mieux comprendre les personnes qui sont atteintes de surdité, mais je ne veux pas avoir l’arrogance de dire que je connais toutes les situations. J’ai une sensibilité, mais ensuite moi aussi je dois l’utiliser pour arriver à comprendre les problèmes des personnes qui sont atteintes d’une autre difficulté que la mienne. Il faut communiquer, il faut aussi avoir envie de s’adapter à la personne et l’aider», explique Cristiano Trevisin.
Je suis plus sensible aux difficultés des autres, car il y a souvent une frustration de base qui n’est pas complètement explicable si on ne fait pas face à des barrières dans sa vie. Mais toutes les difficultés sont différentes, alors il ne faut pas tout généraliser.
Dans son propre cas, les difficultés ont été renforcées par le fait d’arriver à l’EPFL en pleine période de pandémie. «Dans les réunions ou les conférences Zoom, le fait d’oublier d’activer les sous-titres pose beaucoup de problèmes. Ou si la connexion ne marche pas bien, ou quand plusieurs personnes parlent en même temps, cela devient difficile pour une personne sourde de bien comprendre.»
Les appareils qu’il porte ne font pas tout. Pour bien entendre les autres, il lui faut éviter les endroits trop bruyants et il lit sur les lèvres, ce qu’il compare à lire des sous-titres.
Maintenant que la vie du campus a repris normalement, Cristiano trouve l’environnement EPFL «génial, très ouvert, avec une équipe de collègues très bienveillants qui se sont adaptés. En même temps, je ne laisse pas ma surdité m’empêcher d’atteindre ce que je veux vraiment, même quand je dois parler aux conférences ou quand je dois enseigner pour aider mon professeur. Souvent je suis stressé, devant une classe, quand je dois dire aux étudiants que je suis atteint de surdité. Quand ils me posent une question, c’est moi qui dois marcher vers eux puis revenir au tableau noir pour répondre à toute la classe. Mais c’est devenu plus facile, ça fait partie des mécanismes qu’on adopte.»
Des barrières multiples
Son engagement pour la diversité et l’inclusion l’a amené à percevoir les barrières rencontrées dans d’autres types de handicap, par exemple dans le cas des personnes mal-voyantes à qui on ne pense pas suffisamment dans l’affichage des informations. «Il y a aussi beaucoup de barrières physiques pour les personnes à mobilité réduite. J’ai parlé avec des délégués de classe qui m’ont dit que les étudiants concernés ont souvent du mal à emprunter les ascenseurs, soit parce qu’ils sont mal indiqués, soit parce que les accès sont limités. Il y a beaucoup d’escaliers ici ! C’est l’architecture de l’époque, et elle est très belle, mais malheureusement cela peut créer des dérangements pour les personnes qui ne peuvent pas marcher.»
Cristiano espère pouvoir se sensibiliser aussi à la neuro-diversité : «On ne finit jamais d’apprendre, et surtout si je deviens professeur un jour, j’aimerais pouvoir aider les personnes qui sont concernées. Je trouve que j’ai été chanceux d’arriver à faire ce que je veux faire, mais il y a des gens, malheureusement, pour qui les barrières sont trop grandes. C’est très triste, donc je trouve que c’est bien d’avoir un projet comme «EPFL sans barrières» pour communiquer avec toutes les personnes qui sont atteintes d’une difficulté, et viser à éliminer ces barrières pour rendre l’EPFL 100% accessible.»
Je trouve que j’ai été chanceux d’arriver à faire ce que je veux faire, mais il y a des gens, malheureusement, pour qui les barrières sont trop grandes.
Appel à témoignages
La présence de Cristiano dans l’équipe de projet réjouit en tout cas ses deux coordinatrices, qui soulignent «son attention aux autres» et «son sens de l’initiative» : «Ayant su surmonter de nombreux défis en tant qu'étranger et malentendant, il est convaincu que la sensibilisation, accompagnée de mesures concrètes, peuvent faire beaucoup pour rendre notre école plus accueillante et inclusive», relève Sonja Moghaddari, chargée de projet à la Vice-présidence pour la transformation responsable. Sa collègue Helene Fueger, déléguée à l’égalité, souligne que «si un appel à témoignages est maintenant lancé auprès des personnes concernées, c’est parce qu’il en a eu l’idée le premier». L’écoute, une qualité qui prend tout sons sens quand on est privé d’audition.
Si vous rencontrez des barrières à l’EPFL, n’hésitez pas à répondre au questionnaire en ligne. Les réponses sont totalement anonymes.