Modéliser les forêts pour réduire l'impact des avalanches
Deux étudiants de l’EPFL ont comparé les capacités de protection contre les avalanches d’une forêt du Canton de Vaud, avant et après un incendie survenu en 2018. Leur travail pourra s’appliquer à des cas similaires et guider le Canton dans le processus de reforestation.
Les cas de feux de forêt liés à la sécheresse du climat augmentent dans de nombreux pays du monde. En Suisse, les prévisions indiquent une hausse du nombre d’incendies de mai à novembre d’ici à la fin du XXIe siècle. Les experts prévoient en particulier une forte augmentation des incendies dans la vallée de l’Aar et les zones de basse altitude du canton de Berne, une hausse modérée au Tessin et en Engadine et un accroissement des surfaces brûlées durant l’été en Valais. Ces feux peuvent déclencher des processus d’érosion et compromettre la fonction protectrice des forêts. «Les feux de forêt systématiques vont arriver en Suisse», prévient Johan Gaume, directeur du Laboratoire de la simulation de la neige et des avalanches (SLAB) de l’EPFL. «Mais pour une fois, en termes de changement climatique, nous avons le temps de les anticiper.»
En 2018, six hectares de forêt des Diablerets, dans le Canton de Vaud, sont partis en fumée. Ce secteur, appelé Les Voëttes, joue un rôle protecteur contre les avalanches durant l’hiver. Pour comprendre les conséquences de la disparition des arbres sur les futures avalanches, Johan Gaume et sa post-doctorante Xingyue Li ont proposé à deux étudiants de master en ingénierie de l’environnement d’analyser ce cas concret dans le cadre d’un «Design Project», qui leur a permis de travailler directement avec la Direction générale de l’environnement du Canton.
Carte des risques
Leur objectif? Dresser une nouvelle carte des risques d’avalanches et aider les autorités cantonales à replanter les arbres de manière optimale. Pour ceci, les étudiants se sont servis d’un modèle numérique développé par le Laboratoire SLAB (voir animation). Résultat: les futures avalanches dévaleront plus rapidement la pente des Voëttes, mais s’arrêteront avant les habitations situées en contrebas, car la pente y est relativement faible. Seule une cabane, protégée jusqu’ici, est désormais en zone à risque.
Les étudiants recommandent par ailleurs aux responsables cantonaux d’identifier des microsites favorables à la création de clusters d’arbres qui vont donner une stabilité, puis, de replanter le reste des arbres de manière irrégulière, afin d’améliorer la fonction protectrice de la forêt. «Maintenir une certaine fréquence de petites avalanches sans danger est aussi important pour favoriser la biodiversité de ce type d’écosystèmes, qui sont naturellement adaptés à ces événements», précise Francesc Molné, étudiant de master qui a mené ce Design Project avec Clara Streule.
«Nos résultats correspondaient à nos attentes, mais sont moins alarmants que les prévisions faites par le Canton de Vaud», détaille Clara Streule. «Ce nouveau modèle numérique intégre très précisément la disposition spatiale des arbres dans la simulation de l’avalanche», explique Francesc Molné.
Plusieurs paramètres
Les futurs ingénieurs ont intégré plusieurs paramètres au modèle, à l’instar justement de la disposition des arbres présents et des arbres disparus, de l’exposition du terrain et de sa topographie et de la qualité de la neige présente. Celle-ci peut être fraîche, humide, cohésive (en plaques, sous l’influence du vent), voire très cohésive. Tous ces éléments détermineront la vitesse et la dynamique de l’avalanche. Les étudiants ont également effectué leurs propres relevés topographiques par drone et photogrammétrie et ont consulté à l’échelle régionale les chutes de neige de ces 100 dernières années pour baser leur modélisation sur la plus importante d’entre elles.
«Le plus intéressant pour moi était de faire confiance au modèle numérique tout en interrogeant ses limites et de comprendre l'effet de différents facteurs, pour nous aider à trouver des solutions efficaces», commente Francesc Molné. «La récolte de données topographiques était un défi, car le terrain est complexe. Cette phase m’a beaucoup intéressée, car la programmation du vol de notre drone a nécessité beaucoup de mathématiques. Nous voyons tout ceci de manière théorique pendant nos études, c’était une chance de le faire pour de vrai dans le cadre de ce projet», observe Clara Streule. «Formuler des recommandations au Canton de Vaud m’a aussi permis de comprendre que mon futur métier consistera surtout à trouver des solutions pour adapter nos vies et nous protéger des effets du changement climatique, à défaut de pouvoir les faire disparaître», poursuit l’étudiante.
Futures collaborations
La méthode appliquée par les étudiants pourra être répliquée sur toutes les forêts de protection du continent. «Cette étude pilote a permis de tester notre modèle numérique sur un cas concret et nous donne envie d’aller plus loin», conclut Johan Gaume. L’enthousiasme est similaire du côté du canton de Vaud: «Ce travail nous offre un angle nouveau pour analyser l’effet protecteur des forêts contre les avalanches à basse altitude et permet d’enrichir nos réflexions pour l’entretien de ces massifs forestiers. La collaboration avec l’EPFL va donc se poursuivre sur d’autres sites», indique Jean-Louis Gay, inspecteur des forêts du 3ème arrondissement de la Division inspection cantonale des forêts de la Direction générale de l’environnement (DGE-FORET). Une publication scientifique basée sur le travail des étudiants est également prévue.
"Avalanche Modelling in Forested Slopes", Design Project, Francesc Molné, Clara Streule, Master Environmental Sciences and Engineering, EPFL, June, 2020.
Partenaire externe:
Canton de Vaud. Direction générale de l’environnement
Mr. Jean-Louis Gay
Laboratoire:
EPFL Snow and Avalanche Simulation Laboratory (SLAB)
Prof. Johan Gaume
Dr. Xingyue Li