«Mieux vaut une tête bien faite que vingt têtes bien pleines»

Jean-Philippe Thiran a été désigné meilleur enseignant 2022 de la section de génie électrique et électronique de l’EPFL © Murielle Gerber / 2023 EPFL

Jean-Philippe Thiran a été désigné meilleur enseignant 2022 de la section de génie électrique et électronique de l’EPFL © Murielle Gerber / 2023 EPFL

Jean-Philippe Thiran a été désigné meilleur enseignant 2022 de la section de génie électrique et électronique de l’EPFL. Cette distinction fait écho à une vocation précoce: à douze ans, il aidait ses camarades de classe à faire leurs exercices de maths.

Namur, 1982. La scène se déroule dans une école primaire belge ordinaire. Les élèves de la classe sont assis en silence, le nez collé à leur cahier, en train de suer sur un problème mathématique. Tous sauf un: contrairement à ses camarades, un jeune garçon est debout. Passant gaiement d’un pupitre à l’autre, il distille des conseils à gauche, sème des encouragements à droite. «Depuis toujours, j’aime expliquer», raconte Jean-Philippe Thiran. «Lorsque j’avais une douzaine d’années, je profitais d’avoir terminé mes exercices de maths avant les autres pour me balader dans la classe et donner des coups de main.» L’entrée dans l’adolescence n’a pas changé la donne, loin de là. «A l’école secondaire, mes camarades m’appelaient avant les examens pour me demander de l’aide; cela avait le don d’agacer mon frère, qui m’accusait de monopoliser la ligne de téléphone fixe familiale», se souvient en riant celui qui a été élu meilleur enseignant 2022 de la section de génie électrique et électronique de l’EPFL.

La suite du parcours académique du directeur du Laboratoire de traitement des signaux 5 et de l’Institut d’électricité et de microtechnique a tout naturellement été teintée d’enseignement: «Lors de mes études en génie électrique à l’Université catholique de Louvain, je suis rapidement devenu assistant.» Depuis son arrivée à l’EPFL en 1998, il a successivement coiffé les casquettes de maître d’enseignement et de recherche, de professeur assistant, de professeur associé et, depuis 2020, de professeur ordinaire. Malgré cette longue expérience en tant que passeur de savoir, Jean-Philippe Thiran ne s’est jamais départi d’une forme de pression – «somme toute assez bénéfique»- liée à l’ampleur de la tâche. «Enseigner est une mission de la plus haute importance, qu’on ne doit pas prendre à la légère.»

Le test des projets

De l’avis du spécialiste de l’imagerie médicale, «la priorité absolue d’un enseignant devrait être de s’assurer que les étudiants ont compris la matière». Jean-Philippe Thiran n’est satisfait de son cours «que lorsque je peux répondre par l’affirmative à la question ‘Est-ce qu’à l’époque de mes études universitaires, tout aurait été clair pour moi?’». Le professeur passe par conséquent beaucoup de temps à répéter les informations à son auditoire et à demander activement aux jeunes s’ils ont compris. «Souvent, ils me répondent ‘non’», rigole-t-il. «Mais je le prends comme un compliment: cela montre qu’ils se sentent à l’aise avec moi et qu’ils savent que cela ne me dérange pas de recommencer mes explications à zéro.»

Jean-Philippe Thiran en profite pour lancer des fleurs à ces jeunes scientifiques – et à cette haute école – qu’il apprécie tant. «Cela fait près d’un quart de siècle que je travaille à l’EPFL et je ne cesse de m’émerveiller de la qualité du corps étudiant; d’ailleurs, ce n’est pas qu’un avis personnel: les études comparatives internationales le montrent aussi.» Mais qu’entend-il au juste par de «bons étudiants»? «Un ‘bon étudiant’, c’est celui qui pose des questions pertinentes, qui a l’esprit critique; mieux vaut une tête bien faite que vingt têtes bien pleines…» Selon le professeur, qui travaille parallèlement à l’UNIL et au CHUV, «la meilleure façon de repérer les bons éléments est de faire travailler les étudiants sur des projets». C’est ainsi qu’on voit «s’ils sont capables de s’approprier la matière apprise et de l’utiliser pour faire avancer la recherche».

Retour à l’humain

Tombé dans la potion médicale dès sa plus tendre enfance – «ma mère est pharmacienne et mon père médecin généraliste, tout comme mon frère d’ailleurs» - Jean-Philippe Thiran fait partie de ces gens qui donnent l’impression d’avoir un avenir tout tracé, que rien ne peut ébranler. Et pourtant, «la crise Covid est venue chambouler en moi pas mal de certitudes», avoue-t-il. «Prenons l’exemple de l’enseignement: alors qu’avant et pendant la pandémie, tous les efforts se concentraient sur la meilleure façon d’avoir recours aux technologies émergentes afin d’optimiser les cours, de les rendre plus inclusifs, etc., il s’agit désormais de favoriser une pédagogie organique, humaine.» Pour ce faire, «je reviens parfois à un modèle de cours plus classique, un peu à l’ancienne».

Mais attention, privilégier ponctuellement des cours plus classiques ne rime pas avec tirer un trait sur les nouvelles technologies. «L’intégration judicieuse de l’enseignement de l’intelligence artificielle dans le cursus universitaire est un sujet de réflexion majeur à l’EPFL; nous essayons d’ailleurs de nous coordonner à l’échelle de l’école entière, ce afin de mieux structurer la matière et d’éviter les doublons.» Malgré sa taille, ce défi ne semble pas effrayer Jean-Philippe Thiran. Après tout, il a quatre décennies d’enseignement – plus ou moins formel - au compteur.


Auteur: Patricia Michaud

Source: People