Mesurer avec précision la masse de galaxies hôtes d'un quasar
Des scientifiques de l’EPFL ont pu mesurer la masse d’une galaxie hébergeant un quasar, grâce au fait qu’elle agisse comme une lentille gravitationnelle. Cet été, avec le lancement de la mission Euclid, de telles détections de galaxies hôtes de quasars devraient se multiplier.
Une équipe de scientifiques de l’EPFL a trouvé un moyen d’exploiter le phénomène de lentille gravitationnelle forte pour déterminer avec précision la masse d’une galaxie contenant un quasar – une méthode trois fois plus précise que précédemment – ainsi que leur évolution à des échelles de temps cosmiques. Connaître cette masse permet de mieux comprendre l’évolution des galaxies en général, et d’élaborer des scénarios sur leur formation et le dévelopement des trous noirs supermassifs. Les résultats sont publiés dans Nature Astronomy.
«Grâce à l’attraction gravitationnelle, ce niveau de précision sans précédent ouvre la voie à des estimations solides de la masse des objets dans l'Univers lointain, là où les techniques conventionnelles manquent de précision et sont sujettes à des biais», explique l’astrophysicien de l’EPFL Frédéric Courbin, directeur de l’étude.
«Par le passé, nous avions déjà estimé la masse de galaxies hôtes d’un quasar, explique Martin Millon, premier auteur de l’étude, en ce moment boursier du FNS à l’Université Stanford. Mais grâce à l’effet de lentille gravitationnelle, c’est la première fois que nous parvenons à des mesures si précises dans l’Univers lointain.»
Combiner les lentilles gravitationnelles et les quasars
Un quasar est une source extrêmement lumineuse créée par un trou noir supermassif au centre d’une galaxie qui absorbe la matière environnante. Il est généralement difficile de déterminer la masse d’une galaxie qui héberge un quasar, parce que ces derniers sont des objets très distants, mais aussi parce qu’ils sont si lumineux qu’ils occultent tout ce qui se trouve dans leur périphérie.
Le phénomène de lentille gravitationnelle nous permet de calculer la masse totale des objets observées. Grâce à la théorie de la relativité d’Einstein, nous savons comment des objets massifs à l’avant-plan du ciel – les lentilles gravitationnelles – peuvent courber la lumière émise par des objets à l’arrière-plan. Il en résulte d’étranges anneaux lumineux, appelés anneaux d’Einstein, qui correspondent à la lumière d’objets d’arrière-plan deformée par la lentille gravitationnelle.
Frédéric Courbin se rendait à vélo à l’observatoire de Sauverny, il y a plus d’une décennie, lorsqu’il a réalisé qu’il pouvait combiner ces deux éléments – quasars et lentilles gravitationnelles – pour mesurer la masse d’une galaxie hôte. Pour cela, il lui fallait trouver un quasar, dans une galaxie, qui agisse également comme une lentille gravitationnelle.
Seuls quelques quasar-lentilles ont été observés jusqu’à présent
La base de données du Sloan Digital Sky Survey (SDSS) constituait un bon répertoire pour se lancer à la recherche de candidats quasar-lentilles. Mais pour s’en assurer, Frédéric Courbin devait constater la présence d’anneaux d’Einstein. En 2010, avec ses collègues, il a obtenu du temps d’observation sur le télescope spatial Hubble pour examiner quatre candidats. Trois se sont effectivement avéré être des lentilles gravitationnelles, et l’un d’entre eux possède un anneau d’Einstein particulièrement impressionnant : SDSS J0919+2720.
Prises avec le télescope Hubble, les images de SDSS J0919+2720 montrent deux objets lumineux à l’avant-plan qui agissent comme des lentilles gravitationnelles. «Probablement deux galaxies en train de fusionner», explique Frédéric Courbin. Celui de gauche montre un quasar lumineux à l’intérieur d’une galaxie trop sombre pour être détectée directement. L’objet lumineux sur la droite est une autre galaxie, la lentille gravitationnelle principale. Très à gauche, un objet de faible intensité – une galaxie satellite. Les anneaux bleus caractéristiques des lentilles gravitationnelles cporrespondent la lumière déformée provenant d’une autre galaxie à l’arrière-plan.
Des modèles informatiques de lentille
En analysant soigneusement l’ anneau d’Einstein de SDSS J0919+2720, on peut déterminer la masse des deux objets lumineux… en théorie. Il aurait été impossible de séparer les masses des divers objets impliqués sans le récent développement d’une technique de modélisation des lentilles basée sur la théorie des ondelettes, développée par Aymeric Galan, co-auteur et également boursier FNS, actuellement à l’Université technique de Munich.
«L’un des plus grands défis de l’astrophysique est de comprendre comment se forme un trou noir supermassif, explique Aymeric Galan. Pour exclure ou valider certaines théories de formation, il nous faut connaître sa masse, comment elle se compare à celle de la galaxie-hôte et comment elle évolue sur des échelles de temps cosmiques.»
«Dans l’Univers local, nous observons que les galaxies les plus massives hébergent également en leur centre les trous noirs les plus massifs. Cela pourrait suggérer que la croissance des galaxies est regulée par la quantité d’énergie emise par le trou noir central. Mais pour tester cette hypothèse, nous devons étudier les interactions entre les quasars et leur galaxie non seulement dans notre proche voisinage, mais aussi dans l’Univers lointain», explique Martin Millon.
Les lentilles gravitationnelles sont très rares: le phénomène n’est visible que dans une galaxie sur mille. Puisque l’on observe un quasar que dans une galaxie sur mille, un quasar qui agit comme une lentille ne survient donc qu’une fois par million. Les scientifiques s’attendent à détecter des centaines de ces quasar-lentilles avec la mission Euclid de l’ESA et de la NASA, qui doit être lancée cet été par une fusée Falcon-9 de SpaceX.