«Mes projets de recherche se nourrissent de mes enseignements»

Florence Graezer Bideau a été désignée meilleure enseignante 2022 du SHS © Murielle Gerber / 2022 EPFL

Florence Graezer Bideau a été désignée meilleure enseignante 2022 du SHS © Murielle Gerber / 2022 EPFL

Ses connaissances de la Chine lui ont ouvert les portes de l’EPFL. Constatant que la démarche anthropologique avait une influence positive, Florence Graezer Bideau n’a pas hésité à en faire un outil pédagogique. Avec succès, puisqu’elle a été désignée meilleure enseignante 2022 du programme sciences humaines et sociales (SHS).

Imaginons un ouvrage d’art fraîchement inauguré, présenté comme un bijou à tous les niveaux. À la fois condensé de technologie et perle architecturale, ce pont enjambant la rivière communale – destiné à relier plus directement un quartier périphérique au centre de la commune – fait la fierté aussi bien de ses mandataires que de l’équipe de spécialistes qui l’a conçu. Et pourtant, lorsqu’on s’y aventure en fin de journée, à l’heure où il devrait être le plus emprunté, seules quelques automobiles, ainsi que de rares vélos, sont en train de le parcourir.

«Les scientifiques, les ingénieurs ou les architectes ont beau déployer des trésors d’innovation technologique, si les objets ou les inventions élaborés ne sont pas réellement intégrés au contexte dans lequel ils sont censés être implémentés, ils ne répondent pas aux besoins des utilisateurs finaux», commente Florence Greazer Bideau. D’où l’importance de tenir compte des usagers et du contexte culturel et social «tout au long du processus de développement d’un bâtiment, d’un pont, d’une application pour smartphone ou d’un objet», précise la chargée de cours et chercheuse auprès du Collège des humanités.

«La démarche anthropologique est idéale pour sensibiliser à cette réalité», poursuit celle qui a été désignée meilleure enseignante 2022 du SHS (Enseignement en sciences humaines et sociales), un programme interdisciplinaire ouvert à l’ensemble des étudiantes et étudiants de l’EPFL, toutes sections confondues. Pour mémoire, l’anthropologie s’intéresse aux structures des différentes sociétés et à la manière dont les humains s’intègrent et interagissent avec leur environnement social, technique et naturel. Ses outils méthodologiques, tels que l’expérience de terrain, l’immersion, l’observation et l’entretien, sont «fort utiles pour appréhender les enjeux de la recherche et engager une réflexion sur les pratiques scientifiques ou de la vie quotidienne».

Par la porte chinoise

Alors qu’on l’imaginerait plutôt active au sein d’une faculté de lettres et sciences humaines ou de sciences sociales, Florence Graezer Bideau travaille depuis plus de dix ans à l’EPFL. «En 2009, soucieux de sensibiliser les étudiantes et étudiants aux réalités extraeuropéennes, les responsables de l’EPFL ont décidé de lancer un mineur axé sur la Chine.» Justement, la Chine contemporaine est le domaine d’expertise de l’anthropologue. Son intérêt pour l’empire du Milieu, dans lequel elle a vécu près de 5 ans, date de ses études à l'UNIL, durant lesquelles elle a eu l’occasion de partir en échange à Pékin. Quant à sa thèse de doctorat en histoire et civilisations, elle portait sur l’appropriation de l’espace public par des associations culturelles. L’étude de ces «carnavals urbains quotidiens» lui a permis d’interroger les liens étroits entre culture et politique dans la Chine du 20e siècle.

C’est donc par la porte asiatique que Florence Graezer Bideau a intégré l’EPFL, en tant que collaboratrice scientifique et directrice adjointe d’un centre sur les études culturelles. «Rapidement, je me suis rendu compte que lorsqu’ils sont confrontés à une culture qu’ils ne connaissent pas, les étudiantes et étudiants changent de perspective, gagnent en flexibilité; dans la foulée, leur manière d’aborder leur discipline, qu’il s’agisse d’ingénierie, de polytechnique ou autre, s’en trouve positivement influencée.» La chargée de cours a alors l’idée d’introduire l’anthropologie – et ses outils - dans la palette des enseignements. «Celles et ceux qui sont inscrits à mon cours d’anthropologie de l’urbain sont par exemple envoyés sur le terrain dans la ville et invités à faire des allers-retours entre la théorie et la pratique.»

Savoir collaboratif

Ne préfèrerait-elle pas former de futurs anthropologues ou sociologues ? Sûrement pas. «Ici à l’EPFL, mes étudiantes et étudiants sont issus de domaines variés, ce qui rend les cours hyper interdisciplinaires; et justement, l’interdisciplinarité est l’injonction qui revient de plus en plus souvent dans la bouche des directeurs des institutions de formation…» Florence Graezer Bideau va plus loin: c’est cette interdisciplinarité – couplée à l’interactivité, c’est-à-dire au va-et-vient incessant entre ses étudiants, ses pairs et elle-même – qui fait avancer ses propres travaux. «Mes projets de recherche se nourrissent de mes enseignements», résume-t-elle.

«Mes cours sont d’ailleurs construits sur cette complémentarité et cette richesse disciplinaire», poursuit l’enseignante. Des fêtes de la région – telles que celle des Vignerons à Vevey ou de la Cité à Lausanne – à la mémoire orale du Montreux Jazz Festival, des métropoles asiatiques au patrimoine culturel de Carouge ou à l’architecture de territoire alpin de la vallée de Conches, «les matières enseignées à l’EPFL dialoguent, apprennent les unes des autres et construisent un savoir de plus en plus collaboratif». Quant aux étudiantes et étudiants, quelles que soient leurs compétences, quels que soient leurs intérêts spécifiques, «ils et elles apportent tous leur pierre à cette belle intelligence collective».


Auteur: Patricia Michaud

Source: People