«Mes cours sont de grandes et riches improvisations»
Simon Henein a un pied dans l’ingénierie et l’autre dans les arts. Son cœur, lui, est à 100% dans l’enseignement. Convaincu de l’intérêt de combiner les trois, le meilleur enseignant 2023 de la section de microtechnique de l’EPFL mise sur la création collective.
C’est une rencontre qui a changé sa vie. Et, par ricochet, celle de centaines d’étudiantes et étudiants. En 2000, sa thèse de doctorat à peine bouclée, Simon Henein découvre la danse contemporaine. S’ensuit, pour celui qui a été désigné meilleur enseignant 2023 de la section de microtechnique de l’EPFL, des années de pratique intensive de cette discipline, qui le rapprochent peu à peu de l’improvisation comme forme artistique. En 2013, il fonde une compagnie axée sur la composition instantanée de danse et de musique, sans pour autant tourner le dos aux sciences. Bien au contraire: depuis près de 20 ans, ses activités de recherche et d’enseignement se nourrissent – très concrètement - de sa pratique artistique.
Petit retour en arrière: de père égyptien et de mère suisse, Simon Henein a grandi en bordure du Caire, où il a fréquenté le lycée français. «Lorsqu’on habite dans cette ville, on est constamment confronté à des problèmes techniques, par exemple des coupures de courant ou des pannes de pompe à eau; enfant, j’étais avide de comprendre la science et toutes ses applications techniques.» Il se souvient en riant: «Dès qu’un électricien ou un plombier passait le seuil de notre porte, je lui tombais dessus et le bombardais de questions.» Au moment de choisir sa voie académique, il hésite entre mécanique et microtechnique. «Aujourd’hui, grâce à la micromécanique, je combine en quelque sorte les deux», fait remarquer celui qui a obtenu aussi bien son diplôme d’ingénieur en microtechnique que son titre de docteur ès sciences techniques à l’EPFL.
C’est justement au cours de ses études doctorales, alors qu’il n’était âgé que de 25 ans, que le jeune homme a fait le grand saut dans l’enseignement. «Mon directeur de thèse, qui prenait une année sabbatique, m’a communiqué que c’est moi qui reprendrais son cours de microtechnique durant un semestre.» Simon Henein s’est donc retrouvé seul face à un imposant auditoire composé d’étudiantes et étudiants à peine moins âgés que lui. «J’ai adoré!» Ce même si durant cette période, il n’a «pas eu le temps de faire grand-chose d’autre» que de préparer et donner ses cours. Plus de vingt ans plus tard, ce professeur associé au laboratoire de conception micromécanique et horlogère (Instant-Lab) est toujours aussi enthousiaste. «S’il fallait choisir entre l’enseignement et la recherche – ce qui serait bien dommage - j’opterais pour le premier sans l’ombre d’une hésitation.»
L’intuition pour guide
Et s’il fallait choisir un seul terme pour expliquer en quoi l’approche du professeur est novatrice? Ce serait probablement «création collective». Inspiré de sa pratique artistique, qu’il a depuis des années mise au service de son propre travail de recherche, l’un de ses cours est dispensé au Centre d’art scénique contemporain (Arsenic), à Lausanne. Les techniques d’improvisation développées dans les arts vivants y sont mises en perspective avec les pratiques de conception en ingénierie. A la fin de l’année, les étudiantes et étudiants présentent une performance publique intégrant leurs réalisations techniques.
«En ingénierie, la conception est beaucoup plus difficile à enseigner que la modélisation ou la simulation, car il s’agit d’apprendre aux étudiants à faire face à une page blanche», explique Simon Henein. «Même d’excellents ingénieurs peuvent se retrouver bloqués.» Il poursuit sans fausse modestie: «En tant qu’enseignant, c’est là que je suis fort, que j’ai quelque chose à apporter.» Et de préciser que sa méthode – qui fait appel à plusieurs intervenants externes dont des artistes, un sociologue et un mathématicien – n’est pas issue d’un concept pédagogique préexistant. «Je me fie à mon expérience de terrain et j’écoute mon intuition.»
L’enseignant poursuit: «En sortant les étudiants des salles de cours classiques, en les emmenant dans un théâtre, on les extirpe de l’environnement un peu aride et déconnecté des études, ainsi que de la pression quotidienne qui peut inhiber le processus créatif.» Cela permet aux jeunes «d’être plus heureux dans leur travail et, dans la foulée, de l’améliorer», constate-t-il. L’originalité de ce cours que Simon Henein a baptisé «improgineering» découle de la valeur des apports personnels des participants.
Un potentiel encore inexploré
Certes, seule une minorité des étudiantes et étudiants du dynamique professeur sont concernés par les cours d’improgineering, dispensés sous la forme d’ateliers. Parallèlement, Simon Henein est responsable d’enseignements en microtechnique plus classiques, qui prennent place dans de vastes auditoires. Cela ne l’empêche pas de faire appel ici aussi à son affinité avec les arts vivants. «Je bouge, j’utilise beaucoup mon corps et ma voix; j’incite d’ailleurs les étudiants à faire de même.» Au final, ce collectif formé de 160 à 200 jeunes, d’une dizaine d’assistants-étudiants, de huit assistants-doctorants et d’un prof qui se baladent, bref, d’une cascade d’âges et d’expériences, est propice «à l’apprentissage mutuel sous la forme d’une grande et riche improvisation sur un semestre».
Simon Henein en est convaincu, l’improvisation en général – et la création collective en particulier – pourrait être utilisée bien au-delà de la microtechnique, dans toutes les branches avec une composante créative. «C’est-à-dire toutes les formes d’ingénierie.» Quid des autres matières scientifiques enseignées à l’EPFL? «Je fais la différence entre les ingénieurs, qui créent des artefacts pour répondre à des besoins, et les scientifiques, qui étudient pour comprendre.» Il l’avoue, «mon approche paraît plus difficile à transposer dans ce deuxième cas». Difficile, certes, mais pas impossible. «Cela m’intéresserait beaucoup d’essayer!»
Un tout nouveau groupe de recherche
Simon Henein vient de créer son nouveau groupe de recherche au Collège des Humanités (CDH), Performance Lighthouse.
Comme le cours Improgineering ne peut accueillir que peu d'étudiantes et d'étudiants par semestre, Frédéric Kaplan, Directeur du CDH, a invité Simon Henein à l'étendre à un groupe de recherche à part entière. Cette plateforme pour la promotion de projets d’arts de la scène permettra à Henein et à ses collègues d'élargir leur offre et d'atteindre davantage d'étudiantes et d'étudiants, de membres du corps enseignant et du personnel, ainsi que l'ensemble de la communauté de l'EPFL.
Performance Lighthouse n'en étant qu'à ses débuts, Henein et son équipe sont encore en train d'élaborer leur stratégie, mais il ne fait aucun doute que des performances du type de celles réalisées par les étudiantes et étudiants d'Improgineering seront organisées, ainsi que des ateliers, des événements et des spectacles sur le campus, des tables rondes et des conférences.