Marcher à nouveau après une lésion de la moelle épinière

© 2012 EPFL

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Des scientifiques rétablissent la mobilité des membres inférieurs en réveillant la partie lésée de la moelle épinière. Effectué sur des rats, ce travail laisse espérer de grandes améliorations pour les personnes souffrant de paralysie médullaire.


Des rats souffrant de lésions médullaires et de graves paralysies peuvent aujourd’hui marcher et courir. Des scientifiques de l’EPFL ont publié ces résultats dans la revue Science du 1er juin 2012. Leur travail montre qu'il est possible de réactiver les fonctions de la moelle épinière, même gravement endommagée, en réveillant sa capacité régénérative à l’aide de stimuli électriques et chimiques. L’étude a débuté il y a cinq ans, à l’université de Zurich. Selon Grégoire Courtine, titulaire de la Chaire IRP en réparation de la moelle épinière à l’EPFL, il n’est pas encore certain que des techniques de réhabilitation analogues aient des résultats sur l’homme. Mais la régénération des fibres nerveuses lésées observée chez le rat suggère de nouvelles méthodes pour améliorer la récupération chez les personnes paralysées.

«Grâce aux effets combinés des stimulations et d’un entraînement avec un dispositif de soutien vertical, nos rats retrouvent la marche volontaire en quelques semaines. Ils peuvent rapidement se mettre à courir, à monter des marches ou à éviter des obstacles», explique Grégoire Courtine.

Réveiller la moelle épinière
On sait que le système nerveux peut récupérer et se réadapter après une lésion modérée – un phénomène désigné par le nom de «neuroplasticité». Mais dans les cas plus graves, la moelle épinière montre des capacités de récupération très limitées, avec pour conséquence un handicap sans espoir de rémission. Les recherches de Grégoire Courtine prouvent qu’il est possible d’enclencher un processus de guérison, en combinant des séances de réhabilitation, et des stimulations électrochimiques destinées à réveiller la partie inactive de la moelle, située sous la lésion.

Première étape. Grégoire Courtine et son équipe injectent des agents pharmacologiques à des rats souffrant de paralysie des membres inférieurs. Ces substances, dites «agonistes de la monoamine», lient la dopamine, l’adrénaline et la sérotonine aux récepteurs des neurones dans la moelle épinière. Ce cocktail remplace les neurotransmetteurs délivrés par les voies du tronc cérébral chez les sujets en bonne santé. Il permet de stimuler les neurones de la moelle pour les préparer à coordonner les mouvements des membres inférieurs.

Seconde étape. Entre cinq et dix minutes après l’injection, les scientifiques stimulent la moelle épinière avec des électrodes implantées sur l’espace péridural. Ces deux stimulations, l’une chimique, l’autre électrique, sont une première étape vers le rétablissement de la marche volontaire. «Cette stimulation épidurale localisée envoie des signaux électriques continus aux neurones qui contrôlent le mouvement des pattes. Il ne nous reste alors plus qu’à déclencher le mouvement», explique Rubia van den Brand, co-auteur de l’article de Science.

L’intelligence innée de la colonne vertébrale
En 2009, Grégoire Courtine a démontré qu'il pouvait rétablir la mobilité, mais de façon involontaire. En stimulant la partie de la moelle épinière située sous la lésion, le chercheur a remarqué des développements surprenants. A cet endroit, le système nerveux est isolé du cerveau. Pourtant, il commençait à effectuer à nouveau la modulation de la marche. Sur un tapis roulant, le rat précédemment paralysé se remettait à marcher - sans en avoir réellement l’intention.

Ces expériences montrent que le mouvement du tapis roulant créait des rétroactions sensorielles, qui déclenchaient la marche sans intervention du cerveau. Tout se passait comme si les neurones de la moelle épinière étaient dotés de leur propre intelligence. Ces résultats suggéraient aux chercheurs qu’un très faible signal du cerveau devait suffire à déclencher un mouvement volontaire.

Afin de tester cette théorie, les chercheurs ont écarté le tapis roulant. Ils ont mis au point un système de soutien, afin de maintenir les rats à la verticale durant les séances d’exercice. Ce système n'intervient que pour aider les sujets paralysés à conserver leur équilibre. Des conditions suffisamment motivantes pour que les animaux, également tentés par un carré de chocolat, essaient de se mouvoir le long d’une plateforme. Après quelque temps et à force d’essais successifs, le mouvement volontaire est rétabli – sous condition que la stimulation électrochimique soit toujours active.

Plus surprenant encore, les fibres nerveuses repoussent, non seulement dans la moelle épinière – elles créent des relais qui contournent la lésion – mais aussi au niveau du cerveau. «Basé sur la volonté, ce test d’apprentissage s’est traduit par une augmentation des fibres nerveuses, disséminées dans le cerveau et la colonne – une régénération qui démontre l’énorme potentiel de la neuroplasticité, même après une lésion grave du système nerveux central», explique Janine Heutschi, co-auteur.

Première réhabilitation ; une voie prometteuse pour l’homme
Selon Grégoire Courtine, cette régénération des fibres nerveuses peut être comparée à la phase de développement chez l'enfant – par exemple lorsque ce dernier apprend à marcher. Les fibres nerveuses croissent et génèrent de nouvelles connexions. Chez le rat, les chercheurs ont découvert que les nouvelles fibres contournaient la lésion, et permettaient aux signaux du cerveau de transmettre leurs ordres.

Quand bien les mouvements volontaires ne durent que le temps d’activité de la stimulation électrochimique, l’impressionnante repousse des fibres nerveuses laisse penser qu’une voie prometteuse s’ouvre pour améliorer la récupération des personnes souffrant de lésion de la moelle épinière. «C'est la coupe du monde de la neuroréhabilitation, déclare Grégoire Courtine. Nos rats sont devenus des athlètes, alors même qu’ils étaient complètement paralysés quelques semaines auparavant. Je parle d’une récupération à 100% des capacités de mouvements volontaires.»

Les essais de phase II sur l’homme commenceront dans un ou deux ans au Balgrist University Hospital Spinal Cord Injury Centre à Zurich, en Suisse. Entre-temps, les chercheurs de l’EPFL coordonnent un projet de neuf millions d’euros appelé NeuWalk dont le but est de créer un système de neuroprothèses pleinement opérationnel pour la colonne vertébrale, qui ressemble à celui utilisé sur les rats, en vue d’une utilisation chez l'homme.

Publication :
Rubia van den Brand, Janine Heutschi, Quentin Barraud, Jack DiGiovanna, Kay Bartholdi, Michèle Huerlimann, Lucia Friedli, Isabel Vollenweider, Eduardo Martin Moraud, Simone Duis, Nadia Dominici, Silvestro Micera, Pavel Musienko, Grégoire Courtine "Restoring voluntary control of locomotion after paralyzing spinal cord injury." Science June 1, 2012