Maîtriser l'IA pour mieux apprendre

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La grande majorité des étudiantes et étudiants utilisent désormais régulièrement des systèmes d’IA générative. Comment contrecarrer la loi du moindre effort et en faire des alliés de l’apprentissage?
Ils ne jugent pas les questions, expliquent sans broncher et reformulent 10 fois si nécessaire. Flexibles, ils sont toujours à disposition et permettent de gagner du temps sur de nombreuses tâches. Avec tous ces atouts, normal que les grands modèles de langage (LLM), ChatGPT en tête, aient conquis la communauté étudiante du monde entier. Selon deux sondages réalisés en 2024 à l’EPFL, côté étudiant, 79% des répondantes et répondants utilisent ces outils dans le cadre de leurs études. Côté enseignant, ce chiffre s’élève à 61,5%. «Pour l’éducation, je perçois le potentiel de l’IA générative sur trois axes, l’aide à comprendre la manière dont les personnes apprennent, l’automatisation de tâches et l’individualisation de l’expérience d’apprentissage, avec l’opportunité de fournir un feedback ou des exercices personnalisés. Selon moi, le premier et le dernier axe sont les plus intéressants», relève Tanja Käser, professeure assistante tenure track à l’EPFL et responsable du Laboratoire machine learning for education (ML4ED).
Échanger les rôles
Utiliser le LLM de ChatGPT à des fins pédagogiques, c’est ce que fait Ola Svensson, professeur associé à l’EPFL, dans ses cours sur les algorithmes. Son cours Bachelor réunit plus de 500 étudiantes et étudiants. Pour maintenir un enseignement interactif, il a décidé d’inverser les rôles et de permettre aux étudiantes et étudiants d’endosser sa casquette d’enseignant. Comment? Grâce à l’IA générative. «On apprend mieux un concept si on doit l’expliquer, mais les études montrent que dans de grandes classes, ce sont uniquement les bons étudiants ou étudiantes qui vont faire cet effort. J’ai donc imaginé un chatbot qui pose des questions au lieu de donner des réponses. En résumé, c’est aux étudiantes et étudiants de fournir des explications, et le chatbot apporte un feedback sur celles-ci. Les retours sont superpositifs et les statistiques montrent qu’avec cette méthode à la place d’une simple lecture d’explication du concept, les personnes répondent mieux et plus rapidement aux quiz d’exercice.»
Le feedback est un élément clé dans le processus d’apprentissage, mais un bon retour implique des compétences. «Nous travaillons sur un modèle de langage qui fournit un support pour le tutorat assumé par les assistantes et assistants étudiants de l’EPFL. L’objectif n’est pas de les remplacer par l’IA, mais de les aider à formuler des réponses efficaces d’un point de vue pédagogique», explique Patrick Jermann, responsable du Centre de l’éducation à l’ère digitale qui met en place ce projet en collaboration avec le ML4ED.
Dans ces initiatives, des modèles de retrieval-augmented generation (RAG) sont utilisés. Ces modèles aident les LLM à donner de meilleures réponses, en leur permettant d’accéder à des sources d’information pertinentes dans un contexte donné (recherches, supports de cours, exercices, etc.). L’expertise d’une personne disposant des connaissances nécessaires est cruciale, non seulement pour «alimenter» la base de données des modèles RAG, mais aussi pour garantir la qualité des retours et favoriser leur mise en pratique. Les étudiantes et étudiants faisant moins confiance à un feedback donné par l’IA, comme le révèle une étude récente du ML4ED.
On apprend mieux un concept si on doit l’expliquer, mais les études montrent que dans de grandes classes, ce sont uniquement les bons étudiants ou étudiantes qui vont faire cet effort.
Pas d’apprentissage sans effort
A contrario, lorsqu’il s’agit d’optimiser l’usage de leur temps, les étudiantes et étudiants semblent parfois oublier de faire preuve d’esprit critique. Directeur académique du Centre LEARN pour les sciences de l’apprentissage et professeur de robotique, Francesco Mondada a autorisé l’accès à des systèmes comme ChatGPT pour son examen. «Pour les étudiantes et étudiants qui ont affirmé avoir utilisé l’IA, j’ai vu une corrélation entre la qualité de leurs réponses et celles de ChatGPT. Là où l’outil s’est complètement trompé, eux aussi. J’avais pourtant averti la classe que j’avais préparé l’examen avec ChatGPT. Cela montre l’importance de la formation sur une utilisation adéquate des systèmes d’IA générative, et ceci le plus tôt possible dans la scolarité.» En ce sens, le Centre LEARN a élaboré différentes formations interactives sur l’IA et des ressources pour les enseignantes et enseignants du secondaire. Au sein de l’EPFL, il coordonne différentes actions pour traduire les résultats d’expériences faites sur le campus et ailleurs en conseils pratiques et en formations pour la communauté enseignante.
Mal maîtrisés, les outils d’IA générative ne sont pas de bons coachs d’apprentissage. Francesco Mondada l’a mesuré l’année dernière dans son cours, les personnes ayant utilisé ChatGPT pour réaliser leurs exercices sont allées plus vite mais ont moins bien appris. «L’enjeu est la perte de connaissances et de compétences. L’apprentissage demande un effort et on ne peut pas passer sur celui-ci. Cela implique une réflexion de fond. Il est important de noter le processus d’apprentissage et non la performance, par exemple avec une approche projet, dans laquelle on a un suivi de la démarche.» Des problèmes que ChatGPT reformulera 10 fois mais avec une mauvaise réponse. Pour l’instant.
Pour accompagner le corps enseignant dans l'utilisation de l'IA générative à des fins pédagogiques, le Centre pour l'éducation digitale (CEDE), le Centre d'appui à l'enseignement (CAPE), et le Centre LEARN, en collaboration avec le Centre IA, ont compilé sur cette page web une sélection de ressources. Outre des recommandations pour une utilisation responsable de l'IA, les enseignantes et enseignants pourront trouver sur cette page des exemples concrets d'utilisation, une séléction d'outils adaptés ainsi que les recherches menées à l’EPFL en lien avec l’IA et l’éducation.