Lumière sur les virus tueurs de bactéries, cellule par cellule

Une bactérie éclatée sur une cavité photonique H2 (point lumineux) libère des phages (jaune) en liquide. Crédit : Enrico Tartari (EPFL).

Une bactérie éclatée sur une cavité photonique H2 (point lumineux) libère des phages (jaune) en liquide. Crédit : Enrico Tartari (EPFL).

Des chercheurs de l'EPFL ont développé une nouvelle technique optique pour étudier comment les bactériophages (virus qui infectent les bactéries) attaquent les cellules bactériennes en temps réel. Cette avancée pourrait améliorer la phagothérapie, une alternative prometteuse aux antibiotiques dans la lutte contre les infections bactériennes.

Les bactéries et les virus sont en guerre depuis des milliards d'années : Les bactéries développent des défenses pour survivre aux attaques virales, tandis que les bactériophages (phages) s'adaptent pour les déjouer. Cette bataille microscopique fait rage partout, de l'intestin humain à l'eau de mer. Mais si les phages ont suscité beaucoup d'intérêt en tant qu'arme potentielle contre les bactéries résistantes aux antibiotiques, le suivi de leur interaction en temps réel avec les cellules bactériennes individuelles est resté difficile à réaliser.

Les méthodes traditionnelles d'étude de l'activité des phages reposent sur des mesures globales qui font la moyenne du comportement de millions de bactéries. Ces méthodes, comme les tests de turbidité et le séquençage génétique, révèlent si les phages sont efficaces pour tuer les bactéries, mais ne saisissent pas les détails de la manière dont ils le font, en particulier au niveau de la cellule unique. Toutes les bactéries réagissent-elles de la même manière ? Certaines résistent-elles mieux que d'autres ? Et pouvons-nous utiliser ces connaissances pour affiner la thérapie par les phages et en faire un traitement médical viable ?

Aujourd'hui, des scientifiques de l'EPFL, en collaboration avec le CEA Grenoble et le CHUV, ont développé une approche innovante pour relever ce défi : ils ont construit un minuscule dispositif qui utilise la lumière pour piéger et étudier des bactéries uniques. Ce dispositif utilise des champs lumineux à l'échelle nanométrique, piégés dans des cavités de cristal photonique (PhC), pour maintenir et surveiller des bactéries uniques pendant qu'elles sont attaquées par des phages. Cette technique permet aux chercheurs de suivre les changements bactériens en temps réel, sans avoir besoin d'étiquettes ou de modifications chimiques.

La recherche a été menée par le groupe de Romuald Houdré à l'EPFL.

Le dispositif est basé sur des nanopincettes à cristaux photoniques (PhC), qui sont de minuscules outils optiques utilisant des champs lumineux finement contrôlés pour piéger de minuscules objets, tels que des bactéries. Les bactéries sont ensuite exposées à des phages et, au fur et à mesure que l'infection progresse, leur réaction est mesurée en continu par l'analyse de l'intensité lumineuse qui les maintient en place.

L'installation distingue différentes phases de l'infection - dégradation de la membrane, gonflement et enfin lyse (éclatement) - et fournit des informations détaillées sur le processus de destruction.

Les chercheurs ont utilisé deux types de cavités PhC, chacune ayant des propriétés optiques distinctes : la cavité L3 leur a permis de suivre les modifications de la membrane extérieure de la bactérie, tandis que la cavité H2 pouvait contenir des débris bactériens même après l'éclatement des cellules, offrant ainsi un regard "post-mortem" sur le processus de destruction.

Cette technique a permis aux scientifiques d'observer les phages T1 et T4 attaquer les bactéries Escherichia coli en temps réel, sans étiquette ni traitement supplémentaire. Ils ont constaté que les phages n'ouvrent pas les bactéries de la même manière. Par exemple, les bactéries infectées par T4 explosent plus violemment que celles infectées par T1, ce qui correspond au fait que T4 produit plus de nouveaux virus par infection. Cela signifie que tous les phages ne fonctionnent pas de la même manière, même lorsqu'ils s'attaquent au même type de bactérie, et que leur efficacité peut varier d'une cellule bactérienne à l'autre.

La thérapie par les phages est une alternative émergente aux antibiotiques, en particulier pour les infections résistantes aux médicaments. Toutefois, l'extrême spécificité des phages - un virus n'infectant qu'une gamme étroite de bactéries - rend leur utilisation médicale difficile. Les médecins doivent identifier le bon phage pour chaque infection bactérienne, ce qui nécessite des outils de dépistage plus rapides et plus précis. La nouvelle méthode optique pourrait être utile en permettant aux scientifiques de tester rapidement l'efficacité des phages au niveau de la cellule unique, ouvrant ainsi la voie à des approches thérapeutiques par phage plus personnalisées et plus efficaces.

Financement

Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS)

Réseau français RENATECH

Agence nationale de la recherche (ANR, projet SUPPLY)

Références

Enrico Tartari, Nicolas Villa, Hugues de Villiers de la Noue, Simon Glicenstein, Emmanuel Picard, Pierre R. Marcoux, Marc Zelsmann, Emmanuel Hadji, Grégory Resch et Romuald Houdré. Monitoring of Single-Cell Bacterial Lysis by Phages within Integrated Optical Traps (Surveillance de la lyse bactérienne d'une seule cellule par des phages dans des pièges optiques intégrés). Advanced Optical Materials 25 janvier 2025. DOI  10.1002/adom.202402586


Auteur: Nik Papageorgiou

Source: Sciences de Base | SB

Ce contenu est distribué sous les termes de la licence Creative Commons CC BY-SA 4.0. Vous pouvez reprendre librement les textes, vidéos et images y figurant à condition de créditer l’auteur de l’œuvre, et de ne pas restreindre son utilisation. Pour les illustrations ne contenant pas la mention CC BY-SA, l’autorisation de l’auteur est nécessaire.