«Lorsque j'arrive en classe, j'ai le trac, un peu comme un acteur»
Flavio Noca dessine des avions depuis sa plus tendre enfance. Sans surprise, les cours du meilleur enseignant 2022 de la section génie mécanique font la part belle au monde de l’aéronautique. Pour le plus grand bonheur des étudiantes et des étudiants.
Le volume est réglé tellement fort que le sol tremble. Sur l’écran, la fusée illuminée semble ne tenir au sol qu’à un fil. Fascinés, la bouche entrouverte, les téléspectactrices et téléspectateurs se sont rapprochés les uns des autres sans même s’en rendre compte. Ils retiennent leur souffle un instant puis laissent éclater des cris de joie: elle a décollé! Non, la scène ne se déroule pas dans le salon d’une famille romande. Mais à l’EPFL, dans la salle de classe de Flavio Noca. «J’aime générer de l’adrénaline et des émotions, faire réagir mes étudiants», explique le chargé de cours en mécanique des fluides compressibles.
C’est sans surprise à travers les engins volants que ce passionné d’aéronautique, qui a été élu en 2022 meilleur enseignant de la section génie mécanique, parvient à capter l’attention de son auditoire. «Depuis petit, je dessine des avions», rapporte cet Italien d’origine, qui est né en Afrique du Sud et a passé une bonne partie de son enfance en Afrique centrale. «En 1969, lorsque le Boeing 747 est sorti, j’avais 4 ans; l’une de mes activités préférées était de me rendre sur la terrasse de l’aéroport le plus proche en compagnie de mes parents et de regarder les avions décoller et atterrir», se souvient-il.
Rassasié mais pas lourd
Autre souvenir marquant de l’époque: «Etant donné qu’en Afrique, on vivait avec pas grand-chose, les interactions humaines étaient particulièrement importantes; c’est de là que m’est venu mon intérêt pour le contact social, la communication.» A 18 ans, son bac français en poche, le jeune homme part étudier la physique et l’ingénierie aux Etats-Unis, au prestigieux California Institute of Technology (Caltech). «En terme d’interactions humaines, j’y ai aussi été gâté: il s’agissait d’une structure comptant environ 1000 étudiants pour 300 professeurs, dont beaucoup de lauréats d’un Nobel; nous étions donc très proches des enseignants.»
L’un d’entre eux, Richard Feynman, a joué un rôle particulièrement déterminant dans le parcours de Flavio Noca. «Lors de ses cours, mon cœur semblait battre plus vite; ils constituaient des moments de communication incroyablement forts!» A la fin d’une heure passée dans la salle de classe du célèbre physicien, «on se sentait un peu comme après un repas dans un restaurant chinois: rassasié mais pas lourd». Au point que le jeune étudiant enviait à son professeur «son style d’enseignement plus encore que son prix Nobel». Un charisme auquel Flavio Noca n’était de loin pas le seul à être sensible: un recueil baptisé «The Feynman lectures on physics», basé sur les cours du scientifique, est devenu un manuel classique à travers le monde.
«Grâce à Richard Feynman, j’ai su que j’enseignerais bien avant de savoir ce que j’enseignerais», rapporte en souriant Flavio Noca. De son génial professeur, il a aussi hérité une attention toute particulière portée à la préparation des cours. «Je suis un grand timide; lorsque j’arrive en classe, j’ai le trac, un peu comme un acteur.» Mais une quinzaine de secondes lui suffisent «à ‘entrer dedans’». A partir de là, «c’est du pur plaisir, d’autant que je sais exactement où je vais, quelle sera la chute».
Du plaisir même aux examens
Chez Flavio Noca, cet intérêt précoce pour l’enseignement n’a pas empêché un autre intérêt de continuer à se développer, celui pour le ciel. Ou plutôt ce qui s’y déplace. «Après mon master, j’ai eu la possibilité d’intégrer le département d’aéronautique de mon université et d’y réaliser ma thèse de doctorat sur l’aérodynamique en milieu turbulent.» Dans la foulée, le chercheur a rejoint le Jet Propulsion Laboratory de la NASA, un centre de recherche spatiale géré par Caltech. «La combinaison idéale entre l’ingénierie, la recherche et l’aéronautique.» Il y a passé une dizaine d’années avant de rejoindre l’EPFL en 2006 puis la HES-SO, où il enseigne parallèlement depuis 2008. Mais attention, ce changement d’orientation n’a pas sonné le glas du lien étroit qui l’unit à l’aéronautique. En 2015, constatant qu’en plein boom des drones, les moyens de les tester demeuraient limités, il a eu l’idée de développer la première soufflerie ad hoc au monde. Associé à des étudiants, il a co-fondé à Genève la start-up spécialisée WindShape.
«Oui, je suis un passionné!», admet-il bien volontiers. Et c’est justement cette passion qui nourrit ses cours: «S’ils sentent que vous vibrez pour la matière, les étudiants vous écoutent.» Quid de la petite touche supplémentaire, la «patte Noca»? «Ce que j’ai appris au fil des ans, c’est qu’en restant proche de l’actualité, il est plus facile de captiver un auditoire.» Même lors des examens, «je mets les étudiants face à des exemples concrets.» Une stratégie gagnante, puisqu’au moment du rendu, «certains d’entre eux me disent avoir eu beaucoup de plaisir»! Alors, à quand la publication de «The Noca lectures on mechanical engineering»?