Lire d'anciens documents scellés sans les ouvrir

© EPFL / Fauzia Albertin

© EPFL / Fauzia Albertin

Sans avoir à rompre le seau en cire, des chercheurs voient l’intérieur d’un testament scellé, déposé dans les Archives nationales de Venise. Ils révèlent ainsi les derniers vœux d’une dame vénitienne, datant de 1351, en faisant appel à une technologie développée à l’EPFL.


Des physiciens de l’EPFL ont pu révéler les derniers vœux d’une dame vénitienne, datant de 1351 et préservés dans un document scellé à la cire, sans avoir à rompre le seau. Les anciennes encres européennes sont à base de fer et les rayons X ne peuvent pénétrer ce métal lourd ; de ce fait, une technologie appelée la tomographie à rayons X peut scanner le volume entier d’un livre, sans qu’on ait besoin de l’ouvrir, et révéler ainsi les mots inscrits sur le papier. Cette technologie se développe actuellement en vue de l’étude d’une myriade de documents fragiles déposés aux Archives nationales de Venise, dans le cadre du projet «Venice Time Machine» lancé par l’EPFL et l’Université Ca’ Foscari de Venise.

Une dame vénitienne enfin entendue

Le document scellé formule les derniers vœux, datant de 1351, d’une femme vénitienne, Catharuçia Savonario Rivoalti.

Le physicien Giorgio Margaritondo, du laboratoire de magnétisme quantique, explique: «Nous ne savons pas pourquoi le document n’a jamais été descellé. Il se peut que la famille ait disparu, ou qu’une épidémie ait emporté tout le monde. De nombreux documents de la sorte existent dans les archives vénitiennes. Mais nous avons pu les lire sans problème grâce à la tomographie à rayons X et ainsi entendre la voix de cette jeune femme après tant de siècles. C’était une expérience pleine d’émotion.»

Giorgio Margaritondo qui donnera sa leçon d’honneur à l’EPFL demain soir, élabore: «Nous y avons trouvé des détails, des faits, des endroits à Venise qui existent encore aujourd’hui; il s’agit donc d’un document vivant qui nous parle toujours. Il y a un détail assez amusant. La jeune femme prend le temps d’expliquer qu’elle a choisi du papier très onéreux pour son testament, probablement pour montrer qu’elle est d’un milieu aisé, et a donc un certain statut.

“Il s’agit de la première étape vers l’emploi de telles techniques pour lire des documents déposés aux Archives nationales de Venise.”

La tomographie à rayons X et la classification des encres

De nombreux documents déposés aux Archives nationales de Venise sont si fragiles qu’on ne peut pas les ouvrir pour les lire. Une technique non invasive est donc requise pour y accéder sans les détruire.

“Grâce à l’usage d’encres à base de fer qui ont été employées en Europe durant plus de 1000 ans, nous avons pu lire un texte à l’intérieur d’un document fermé, d’un livre fermé, d’un testament fermé», précise Fauzia Albertin, physicienne à l’EPFL. «La tomographie à rayons X est la solution pour la préservation d’un tel héritage tout en faisant la lumière sur un pan de l’histoire européenne.»

En classifiant les différents types d’encres à base de fer qui étaient employées en Europe, Fauzia Albertin avait déjà travaillé sur une étape importante qui allait préparer le terrain pour le balayage de siècles de documents aux Archives nationales de Venise.

Avant de révéler le contenu du testament scellé, les physiciens avaient affiné leur technique de balayage en prenant un livre scientifique datant du 17ème siècle qui pouvait être ouvert et lu sans peine, permettant ainsi la comparaison avec les données obtenues par la tomographie à rayons X. Le livre a été scanné, couche par couche, au laboratoire PIXE de l’EPFL pour la radioscopie et la tomographie à rayons X. Les chercheurs pouvaient alors naviguer à travers les données radiographiques pour lire le texte et les illustrations qui se trouvaient sur les diverses pages.

Leur technique diffère de techniques existantes qui emploient une autre fréquence de lumière qui, elle, détecte les encres modernes à base de plantes. Qui plus est, contrairement aux livres actuels, les documents anciens présentent un défi supplémentaire : le papier est très rarement plat, mais le plus souvent voilé et abîmé par le passage du temps. Pour l’heure, les physiciens sont en train d’extraire manuellement les pages issues des scans par la tomographie à rayons X. Les prochaines étapes incluront la construction d’un algorithme qui saura détecter de manière automatique les différentes pages.

L’histoire de l’Europe

«À l’intérieur des Archivio di Stato, il y a l’histoire de l’Europe», dit Giorgio Margaritondo. «Venise représentait une entité très puissante. Elle contrôlait, par exemple, le marché international des épices. En parcourant les documents concernant le trafic dans le port de Venise, nous pourrons peut-être mieux comprendre l’histoire de l’Europe.»