«Les victimes de harcèlement sexuel ressentent une forte culpabilité»

Emmanuel Noyer & Sophie Meuwly © 2024 EPFL - CC-BY-SA 4.0

Emmanuel Noyer & Sophie Meuwly © 2024 EPFL - CC-BY-SA 4.0

Ce 25 avril, les universités suisses organisent une journée de sensibilisation au harcèlement sexuel. L’occasion de faire le point à l’EPFL, un an après l’entrée en vigueur de la directive sur les risques psychosociaux.

Le mouvement est national. Pour la deuxième année consécutive, les hautes écoles suisses se mobilisent sous la bannière Sexual Harassment Awareness Day avec diverses initiatives. A l’EPFL, cela a pris la forme d’une campagne d’affichage sur les cinq campus de l’école, en plus de deux représentations de théâtre forum les 25 avril et 2 mai pour inviter le personnel, le management et le corps enseignant à réfléchir aux attitudes sexistes qui parsèment le quotidien.

Où en est l’EPFL en matière de harcèlement? Au cours des quatre dernières années, l’institution a vécu le mouvement Paye ton EPFL en automne 2020, la création de la Task Force Harcèlement en 2021, la mise en forme du Réseau Soutien et Confiance en 2022 et l’entrée en vigueur en juin 2023 de la directive sur les risques psychosociaux qui fixe le cadre de son action.

Du sexisme au harcèlement

Engagé il y a pile un an pour remplir le nouveau rôle de Respect Compliance Officer (RCO) créé par cette directive, Emmanuel Noyer confirme la prégnance du phénomène à l’EPFL: «Je vois beaucoup de sexisme, qui peut aboutir, si c’est continu, à du harcèlement. On entend souvent: ‘C’est parce que tu es une femme que tu n’as pas le temps, que tu as un peu plus de mal, que tu n’acceptes pas la critique, etc. Un homme, lui, accepterait les critiques’. Mais si ça avait été un homme, il n’aurait pas été traité de la même manière.»

Co-responsable du pôle «ressource victime» à Polyquity, l’association qui a lancé Paye ton EPFL, Sophie Meuwly a le même sentiment: «On entend souvent: ‘Vous les féministes, pourquoi vous vous battez encore alors que vous avez déjà obtenu tous les droits?’ Mais je pense que c’est totalement faux, car il faut encore changer les mentalités. On a tous et toutes des schémas sexistes, des comportements pas adaptés. Et la meilleure façon de faire mieux, c’est d’être à l’écoute des personnes concernées.»

Ce sexisme diffus, implicite ou explicite, est la partie immergée de l’iceberg qui règle la température des relations humaines. La partie émergée concerne les cas signalés de harcèlement sexuel qui, avec d’autres types de conflits, violences et discriminations, constituent le quotidien du RCO.

Evolution des plaintes

Le nombre de plaintes formelles, tous sujets confondus, a plus que triplé en quatre ans. S’élevant à 10 en 2019, année précédant le mouvement Paye ton EPFL, elles sont passées à 32 en 2023, année d’entrée en vigueur de la directive sur les risques psychosociaux et l’arrivée du RCO.

Les plaintes pour harcèlement sexuel sont cependant moins fréquentes que celles pour harcèlement psychologique. Alors que les premières sont passées de 1 à 5 entre 2019 et 2023, avec un pic à 9 en 2021, les plaintes pour mobbing sont passées de 4 à 17 sur la même période. Les autres types de cas portent entre autres sur des remarques désobligeantes, des conflits ou problèmes managériaux, des violences verbales ou physiques.

Du point de vue de Polyquity, relève Sophie Meuwly, on a l’impression que le compte Instagram @payetonepfl est moins connu, qu’il a moins d’impact et moins de visibilité qu’avant parmi les étudiantes et étudiants. «Mais dans mon entourage, on a toutes entendu des gens victimes d’agressions. Je n’ai pas une amie qui peut dire qu’elle n’y a jamais été confrontée.»

Au cours des trois dernières années, les personnes plaignantes qui se sont adressées au RCO (ou précédemment à la Cellule Respect) provenaient principalement du personnel EPFL (19 cas), suivies du corps estudiantin (18 cas). Les personnes visées par la plainte étaient principalement membres du corps professoral (34 cas), les autres étant réparties entre le corps estudiantin (16 cas), le personnel EPFL avec responsabilités managériales (10 cas) et sans responsabilité managériale (7 cas). Cependant, s’agissant de harcèlement sexuel, les situations ayant abouti à des plaintes ont généralement eu lieu entre pairs, c’est-à-dire entre étudiant·es, doctorant·es, post-docs ou collègues, et très peu entre personnes de niveaux hiérarchiques distincts.

Des cas complexes

Depuis qu’il est en fonction, Emmanuel Noyer a introduit une nouvelle pratique en offrant une discussion facultative, informelle et confidentielle aux personnes qui envoient un message à l’adresse [email protected]. Cette occasion a été saisie par vingt personnes en 2023 et a abouti une fois sur deux à une plainte formelle. Le fait de proposer un entretien préalable «permet de démystifier le processus. C’est plus personnalisé», estime Emmanuel Noyer.

«On a aussi gagné en rapidité de gestion des cas car je ne fais que ça, contrairement à l’ancienne Cellule Respect. Certains cas sont réglés en quinze jours, mais il y a toujours des cas très complexes qui durent très longtemps», commente le RCO.

Chez les personnes qui le contactent pour harcèlement sexuel, poursuit Emmanuel Noyer, il y a une énorme culpabilité: «Beaucoup se demandent si elles ont été assez claires, si leur ‘non’ était assez exprimé.» En outre, les gens ont très peur que leur nom sorte, ajoute-t-il. Avec pour effet de les dissuader de porter plainte? «Pas forcément. Je leur explique que ce qui s’est passé n’est pas une situation normale et que c’est leur ressenti qui est le plus important.»

Il leur détaille alors ce qui va se passer, ce qu'est la confidentialité, et que «si leur nom n’est pas donné, on ne va pas pouvoir répondre à toutes les attentes. Il ne sera pas possible d'aller jusqu’à la sanction, car il faut aussi que la personne mise en cause puisse se défendre.»

«Certaines personnes veulent juste vider leur sac, précise-t-il. Pour elles c’est comme fermer la porte. Elles ne vont pas porter plainte, mais veulent que l’EPFL le sache: ‘Voici ce qui se passe dans ce labo, moi je m'en suis sortie mais je ne voudrais pas que cela arrive à d’autres.’»

Chercher des solutions

Cependant, même si le nom de la personne n’est pas toujours divulgué, le RCO essaie de trouver des solutions, au moins pour que le harcèlement s’arrête. Des changements d’affectation ont pu être mis en place afin d’éloigner deux personnes et mettre fin à des situations relationnelles compliquées.

Il est aussi arrivé que des sessions de formation avec le e-learning Vous n’êtes pas seul·e. Promouvoir le respect soient organisées collectivement, ce qui permet de créer un dialogue dans l’équipe, de faire passer un message aux personnes mises en cause et de rappeler les soutiens qui existent aux personnes concernées.

«Dans un monde parfait, ce serait super qu’il y ait un cours obligatoire sur le consentement», revendique Sophie Meuwly de Polyquity. Selon elle, au niveau des étudiants, la formation au respect sur Moodle ne remplace pas l’interaction physique pour pouvoir en parler et aller un peu plus loin. «Je sais qu’on a énormément d’étudiantes et d’étudiants, et que ça demanderait des ressources énormes, mais je me permets de rêver.»

Du point de vue du RCO, il reste encore beaucoup de travail pour faire connaître son rôle et améliorer les processus. Par exemple, il a pour objectif d’élargir la composition du comité formé pour discuter les mesures à donner suite aux plaintes, afin de le rendre plus représentatif. Ses membres sont extrêmement engagés, souligne-t-il, mais une présence de personnes sans responsabilités hiérarchiques ne pourrait que l’enrichir.

«Tout est discuté au comité, je ne prends jamais une décision tout seul. Parfois on vise la désescalade. Parfois, quand les cas sont clairs, on part très vite sur du disciplinaire. L’enquête externe reste toujours une option quand on n’arrive pas à distinguer le vrai du faux. Un dit A, l’autre dit B, il n’y a pas de témoin. On essaie de l’éviter car on sait qu’on est vraiment en phase d’escalade, ce qui n’est bon pour personne. Mais s’il faut en arriver là pour résoudre une situation, on le fait.»


Auteur: Emmanuelle Marendaz Colle

Source: Santé mentale et bien-être

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