Les traumatismes de l'enfance sont gravés dans le cerveau

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Les chercheurs de l’EPFL ont pu voir que les traumatismes de l’enfance laissent une empreinte durable dans le cerveau. Cette modification de la structure même du cerveau peut prédisposer à la violence.

On sait depuis longtemps que les individus violents ont souvent subi des traumatismes psychologiques dans l’enfance. En outre, certains présentent des altérations du cortex orbitofrontal. Restait à établir le lien entre ces empreintes physiques dans le cerveau et une enfance cabossée. Le vécu peut-il durablement modifier la structure du cerveau?

Pour la première fois, l’équipe de Carmen Sandi, chercheuse à l’EPFL et membre du Pôle de Recherche National SYNAPSY, établit un lien entre traumatisme, violence et modifications spécifiques du cerveau. Chez des rats, les traumatismes préadolescents conduisent à des comportements agressifs accompagnés d’altérations du cerveau; les mêmes que celles décelées chez des êtres humains violents. En d’autres termes, les blessures de l’enfance gravent une empreinte biologique qui perdure dans le cerveau de l’adulte, révèle l’article publié le 15 janvier 2013 dans la revue Translational Psychiatry.

«Cette recherche montre que les personnes exposées aux traumatismes dans l’enfance ne souffrent pas seulement sur le plan psychologique, mais subissent une réelle altération de leur cerveau, résume Carmen Sandi. Cela ajoute une dimension plus profonde aux conséquences des traumatismes avec bien entendu des implications scientifiques, thérapeutiques et sociales.»

Résultats impressionnants
Les chercheurs ont pu décoder les bases biologiques de la violence à l’aide d’une cohorte de rats mâles exposés, dans leur enfance, à plusieurs situations de stress psychologiques. Après avoir observé que ces expériences menaient à des comportements agressifs chez l’adulte, ils ont ensuite examiné ce qu’il se passait au niveau cérébral pour voir s’il s’y trouvait une empreinte de cette période traumatique.

«Lors d’un défi social, le cortex orbitofrontal d’un individu sain est activé afin d’inhiber ses pulsions agressives et de le maintenir dans un rapport normal», explique la responsable du Laboratoire de génétique comportementale de l’EPFL. «En revanche, chez les rats étudiés, on constate une activation moindre du cortex orbitofrontal. Ceci réduit d’autant leur capacité à modérer leurs pulsions négatives. Cette sollicitation réduite était conjuguée à une augmentation de l’activation de l’amygdale, une région connue pour son implication dans les réactions émotionnelles.» Chez l’humain, l’imagerie fonctionnelle pratiquée par d’autres chercheurs sur des individus violents montre le même déficit d’activation du cortex orbitofrontal et donc une inhibition moindre des pulsions agressives. «C’est impressionnant, nous ne nous attendions pas à autant de similarité», résume Carmen Sandi.

Antidépresseurs et plasticité cérébrale
Les chercheurs ont aussi pu mesurer des modifications épigénétiques, c’est-à-dire au niveau de l’expression de certains gènes, en lien avec des facteurs environnementaux. Les neurobiologistes se sont concentrés sur des gènes connus pour leurs implications dans le comportement agressif et présentant des polymorphismes (ou des variants génétiques) prédisposant les individus porteurs à des attitudes brutales. Ils ont examiné si les stress psychologiques subis par les rongeurs provoquaient une modification de l’expression de ces gènes. «Nous avons trouvé que le niveau d’expression du gène MAOA augmentait dans le cortex préfrontal, là où nous avions constaté une inhibition», précise Carmen Sandi. Cette altération est accompagnée d’une modification épigénétique, l’expérience traumatique contraignant à long terme le niveau d’expression de ce gène.

Enfin, les chercheurs ont tenté de voir si un inhibiteur du gène MAOA, soit un antidépresseur, pouvait compenser les altérations subies. Le traitement s’est montré efficace, même si tous les rats n’ont pas répondu de façon similaire. Les scientifiques vont maintenant s’atteler à mieux comprendre ces mécanismes, voir si ce traitement entraîne une réversibilité de ces altérations cérébrales, et surtout chercher à élucider si certains individus sont plus vulnérables que d’autres du fait de leur patrimoine génétique. «Ces recherches pourraient aussi nous éclairer sur une capacité, de plus en plus soupçonnée, des antidépresseurs: celle de rouvrir la plasticité cérébrale», avance la professeure.