Les technologies quantiques sont déjà une réalité

© iStock
Si les développements de l’informatique monopolisent l’attention dans le domaine quantique, ce dernier a déjà donné naissance à des applications concrètes.
Une journée grand public célèbre les 100 ans de la physique quantique à l'EPFL.
Il y a tout juste un siècle, en 1925, plusieurs avancées actaient la naissance des sciences quantiques. Notamment la première utilisation du terme de «mécanique quantique» dans une publication scientifique, ainsi que l’équation pionnière d’Ernst Schrödinger à Arosa, en Suisse. L’Unesco a célébré cette révolution scientifique et son impact en déclarant 2025 «Année internationale des sciences et technologies quantiques».
La mécanique quantique a ouvert la voie à de fantastiques progrès aux répercussions sociétales directes. Dès la première révolution quantique, du début à la moitié du XXe siècle, elle a permis de créer les semi-conducteurs et lancé les industries photoniques, et servi de base à des innovations comme les lasers, l’imagerie à résonance magnétique (IRM) et les horloges atomiques (qui équipent les satellites GPS).
Alors que nous nous apprêtons à entrer dans l’ère de la seconde révolution quantique, les scientifiques sont parvenus à un contrôle sans précédent des photons et atomes individuels. En tirant parti d’admirables phénomènes comme l’effet tunnel, la superposition et l’intrication, les technologies quantiques repoussent les limites des capteurs, des simulations, de la sécurité des communications et de l’informatique.
À l’EPFL, les scientifiques sont à l’avant-garde du progrès dans la plupart de ces nouveaux domaines. Leurs travaux sont souvent interdisciplinaires par essence et rassemblent plusieurs laboratoires, écoles et institutions partenaires. Pour cultiver ces connexions entre recherche, enseignement et innovation, le Centre pour les sciences et l’ingénierie quantique (QSE) a ouvert en 2021. Il réunit des scientifiques à la pointe de leur domaine, en physique, informatique et ingénierie, pour mettre au point des technologies quantiques et contribuer au futur du domaine en Suisse avec des bourses, des partenariats et le soutien du public.
Avec son leadership scientifique, son engagement en faveur de l’enseignement et ses technologies de rupture, l’EPFL se positionne en acteur majeur dans un paysage quantique en transformation rapide. La seconde révolution quantique est en marche — le travail accompli dans l’École devra conduire à des avancées primordiales et déterminer l’avenir des sciences et technologies quantiques.
Tout est quantique
La science quantique a ouvert la voie à plusieurs technologies commercialisables. Elles trouvent leur application pratique dans les secteurs de la santé, de la surveillance de l’environnement, de la navigation, des communications et de la physique des particules.

«Il est notoirement difficile de construire de grandes quantités de qubits robustes pour l’informatique quantique, et cela prendra du temps, explique Philippe Caroff, directeur du QSE. Mais on voit déjà des applications concrètes aux systèmes quantiques dans d’autres domaines, comme les communications ou les capteurs. Avec des atomes pris isolément, des particules de lumière ou des cristaux, on peut cartographier les champs magnétiques de la Terre ou du cerveau, par exemple. Des entreprises ont démontré la viabilité de produits commerciaux dans les domaines de la navigation ou de l’imagerie médicale.»
Les mauvais qubits font de bons capteurs
Parce qu’ils sont très sensibles aux vibrations, à la température ou aux champs électromagnétiques, les qubits sont difficiles à assembler dans un ordinateur quantique de grande échelle. Or, ces mêmes propriétés leur permettent d’être au cœur de capteurs ultraperformants, faciles à intégrer avec des technologies classiques. En pratique, les capteurs quantiques égalent, voire dépassent leurs homologues conventionnels.
«Avec ces capteurs, on prend un objet quantique, normalement un unique atome, et on exploite certaines de ses propriétés quantiques comme la cohérence ou l’intrication. Ces systèmes individuels finissent par être très sensibles», explique Jean-Philippe Brantut, directeur du Laboratoire de gaz quantiques.
Il existe d’ores et déjà des gravimètres que l’on peut employer pour la géoexploration ou l’exploration minière, ainsi que des magnétomètres utiles pour naviguer là où le GPS ne répond plus — zones de combat, milieux sous-marins ou haute montagne.
Surveiller le cœur
L’imagerie médicale peut également bénéficier de ces capteurs. C’est ce sur quoi travaille Clément Javerzac, professeur à la Fachhochschule Nordwestschweiz (FHNW) et alumnus de l’EPFL, à la fois comme chercheur et au sein de sa start-up MatterDecoder.
«Nous utilisons ces capteurs pour représenter le champ magnétique du cœur, 10 millions de fois plus faible que le champ géomagnétique, explique-t-il. Cela peut aider à diagnostiquer des maladies coronariennes, qui constituent la principale cause de décès dans le monde.»
Ces affections sont caractérisées par l’obstruction des artères coronaires. Le cœur ne reçoit pas les quantités requises d’oxygène, ce qui entraîne des pertes musculaires du cœur et, en fin de compte, des attaques cardiaques. Les capteurs quantiques peuvent cartographier l’organe et identifier ces anomalies. Ils ouvrent ainsi la voie au diagnostic et aux traitements précoces.
«On mesure les champs magnétiques en appliquant sur la poitrine une petite boîte qui contient les capteurs, explique le chercheur. Cela prend quelques minutes. Ensuite on peut transmettre les données au médecin. La méthode est non invasive et dénuée de radiations.»
Un grand potentiel pour les petits ensembles de données
En matière d’informatique quantique, les objectifs les plus ambitieux sont encore de la musique d’avenir. Mais il existe déjà des ordinateurs quantiques sur le cloud, accessibles à tous — y compris aux étudiants et étudiantes de l’EPFL.
«En 2016, l’EPFL était la première institution — avec l’Université de Waterloo et le MIT — à introduire IBM Quantum dans notre enseignement. Cette technologie est à disposition de tous, dans le monde entier, alors que quelques années auparavant elle était l’exclusivité des meilleurs laboratoires, explique Clément Javerzac. Cette évolution était fascinante. Aujourd’hui, vous avez accès à des unités de traitement quantique (QPU, quantum processing units) comportant plus de bons qubits qu’il y a quelques années seulement.»
Les mystères de l’Univers

2025 EPFL
Dans le même temps, Jean-Philippe Brantut et son équipe étudient quelques-unes des grandes questions de la physique fondamentale, comme la dynamique des trous noirs, en établissant un modèle de leurs équations physiques sur un nuage d’atomes bien contrôlé et ajustable. Les équations décrivant l’évolution de ces atomes seraient analogues à celles des trous noirs, lesquels devraient rester à jamais inaccessibles à l’exploration spatiale, notamment en raison de leur force gravitationnelle extrême.
«Le monde quantique est étrange et ça le rend parfois merveilleux, mais il continue de nous dérouter, conclut le chercheur. Nous travaillons pour en faire quelque chose d’utile, mais à ce stade je pense qu’il nous réserve encore des surprises.»
Plus d'info.
Cet article a été publié dans l'édition de septembre 2025 du magazine Dimensions, qui met en avant l’excellence de l’EPFL par le biais de dossiers approfondis, d’interviews, de portraits et d’actualités. Le magazine est distribué gratuitement sur les campus de l’EPFL.