Les Suisses croient-ils en leurs mythes?

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Les mythes empêchent-ils un changement dans le modèle de développement en Suisse? Jacques Lévy, professeur au Laboratoire Chôros, y répond dans une chronique publiée par "Le Temps".
En 1983, Paul Veyne publia Les Grecs ont-ils cru en leurs mythes? Il cherchait à évaluer l'usage qui était fait des croyances non fondées en raison dans la vie sociale concrète en Grèce antique. Il y a quelques semaines, nous nous sommes tous bien amusés en découvrant le scénario sur lequel travaille l'armée suisse: une attaque terrestre venant d'une entité géopolitique issue de l'éclatement de la France, Saônia. Je parle d'amusement car je ne doute pas un instant que les hauts gradés qui ont conçu ce script aient eux aussi participé à l'éclat de rire général. Si Saônia attaquait la Suisse, cela voudrait dire que, face à une France incroyablement bouleversée, la Suisse, elle, n'aurait pas changé d'un pouce et pourrait mettre en action ses forces comme si de rien n'était. Même si, par goût du jeu, nous imaginions la Suisse réellement menacée par un Etat hostile doté de moyens modernes, par exemple aériens, nous devrions admettre que, en pareil cas, l'ensemble de la population pourrait aisément être annihilé, au mieux en quelques jours, au pire en quelques minutes. Lorsqu'un énoncé cohérent est situé dans un cadre totalement invraisemblable, on se trouve clairement dans l'univers du mythe. La votation du 22 septembre dernier sur l'armée de milice semble cependant prouver que le peuple suisse croit à cette histoire. L'initiative sur les minarets (2009) a, inversement, donné à réfléchir sur la réalité de ces croyances. On a voté sur la construction de minarets dont tout le monde, musulmans en tête, se fiche, et qui sont quasi inexistants en Suisse. Pourquoi pas sur les mosquées? Parce que, dans ce cas, une forte mobilisation de la coalition «républicaine» (tous sauf I'UDC) aurait changé la donne et que le succès des initiants aurait été plus improbable. La force de la société suisse consisterait- elle en un système dual dans lequel, en surface, les populisme réactionnaires règnent, tandis que, en profondeur, agit le parti du mouvement? Cette fois, le mythe apparaît comme la pellicule protectrice d'une démarche plus rationnelle, quoique implicite.
Derrière les arguments des anti-vignette à 100 francs se profile le mythe du «small government», à la façon du Tea Party
Lire tout l'article dans "Le Temps" du 28.10.2013