Les skyrmions contrôlables ouvrent des portes à l'informatique

© Nature Materials

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Des scientifiques de l’EPFL, du PSI et de Budapest ont découvert des skyrmions dans la catégorie de matériaux dans laquelle leur existence avait été prédite. Ces étranges quasi-particules peuvent être contrôlées avec des champs électriques, ce qui promet des avancées en matière de mémoire de stockage.

Les skyrmions sont de minuscules vortex qui apparaissent sur certains matériaux. A l’origine, il s’agissait juste d’un concept théorique, mais ces « quasi-particules » ont suscité un grand intérêt quand on a découvert que certains matériaux magnétiques peuvent héberger des « skyrmions magnétiques » : des spirales de taille nanométrique dans la texture magnétique. Cet intérêt est en grande partie dû au potentiel de matériaux contenant des skyrmions magnétiques pour de futurs supports de stockage d’informations. Aujourd’hui, des scientifiques de l’EPFL, de l’Institut Paul Scherrer et de l’Université de Budapest ont découvert des skyrmions dans un semi-conducteur magnétique polarisé, l’un des matériaux dans lesquels les chercheurs avaient prédit l’existence de skyrmions. Cette découverte est rapportée dans Nature Materials.

De la théorie à la réalité

Jusqu’ici, des skyrmions magnétiques avaient été détectés uniquement dans une catégorie de matériaux très limitée, qui ont tous la même structure cristalline, ce qui veut dire que leurs atomes étaient arrangés de façon similaire. Etrangement, des skyrmions n’avaient jamais été trouvés dans la catégorie de matériaux dans laquelle leur existence avait été supposée en premier : des matériaux magnétiques polarisés.

Le groupe d’Henrik M. Rønnow, en collaboration avec Istvan Kezmarki de l’Université de Budapest, a découvert des skyrmions dans du sulfure de gallium-vanadium, qui est un semi-conducteur magnétique polarisé et qui appartient à la catégorie de matériaux dans laquelle on avait prédit la présence de skyrmions.

Jusqu’ici, les scientifiques n’avaient pu détecter qu’un seul type de skyrmions, qui forment un vortex tournant autour de leur centre, comme une minuscule tornade. Ils sont appelés « skyrmions de type Bloch ». Les skyrmions qu’Henrik M. Rønnow et ses collègues ont identifiés appartiennent à une catégorie qui existait jusqu’ici seulement en théorie : des skyrmions de type Néel, dans lesquels la périphérie du vortex tourne radiallement vers le centre.

Le laboratoire d’Henrik M. Rønnow a travaillé avec Jonathan White de l’Institut Paul Scherrer (PSI), exploitant une technique puissante, la diffraction à angle réduit des neutrons. Elle permet d’explorer la structure des matériaux à une échelle intermédiaire (« mésoscopique »). L’équipe de chercheurs a utilisé cette approche par le passé en combinaison avec des champs électriques, ce qui leur a permis d’être les premiers a faire la démonstration du contrôle de skyrmions dans le sélénate de cuivre avec des champs électriques. Plus tôt cette année, ils ont travaillé avec l’institut de recherche RIKEN et l’Université de Tokyo pour inventer un alliage de cobalt, de zinc et de manganèse qui puisse contenir des skyrmions à température ambiante – un prérequis important pour des applications technologiques. Dans l’étude actuelle, Rønnow et White ont travaillé avec le laboratoire de Kezmarki, ce qui leur a permis de détecter « une preuve irréfutable » de la présence de skyrmions dans le sulphure de gallium-vanadium.

Les ordinateurs du futur

Les skyrmions magnétiques pourraient être utilisés comme bits de données dans le futur. Dans un tel système, la valeur du bit (1 ou 0) est déterminée par la présence ou l’absence d’un skyrmion magnétique. « Des matériaux polarisés comme celui de cette étude peuvent être contrôlés par des champs életriques, explique Henrik Rønnow. Nous pouvons donc nous attendre à ce qu’écrire et effacer des skyrmions soit plus facile dans de tels matériaux. Contrôler le stockage magnétique avec des champs électriques plutôt que du courant a l’avantage fondamental que, si le courant électrique conduit inévitablement à une perte de puissance, les champs électriques peuvent ne pas impliquer de dissipation d’énergie. »

Cette étude est le résultat d’une collaboration entre le Laboratory for Quantum Magnetism de l’EPFL, l'Université polytechnique et économique de Budapest, l’Université d’Augsbourg, l’Institut Paul Scherrer, l’Institut Laue-Langevin, l’Université Aoyama Gakuin, l'Agence japonaise pour la Science et la Technologie, l’Université de Kyoto, et l’Académie des Sciences de Moldova. Le travail a été financé par les fonds de recherche hongrois, le Conseil européen de la recherche (projet CONQUER), le Fonds national suisse de la science, le Deutsche Forschungsgemeinschaft, la Collaboration TRR80 transrégional de recherche, et de la Société japonaise pour la promotion de la science KAKENHI (ministère japonais de l'Education, Culture, Sports, Science et Technologie).

Source

Kézsmárki I, Bordács S, Milde P, Neuber E LM Eng, White JS, Rønnow HM, Dewhurst CD, Mochizuki M, Yanai K, Nakamura H, Ehlers D, Tsurkan V, Loidl A. Néel-type Skyrmion Lattice with Confined Orientation in the Polar Magnetic Semiconductor GaV4S8.Nature Materials 07 September 2015. DOI: 10.1038/nmat4402