«Les situations d'urgence déclarées sont de plus en plus fréquentes»

Estefania Mompean Botias devant une carte mondiale de catastrophes et situations d’urgence © 2022 EPFL / Alain Herzog - CC BY-SA 4.0

Estefania Mompean Botias devant une carte mondiale de catastrophes et situations d’urgence © 2022 EPFL / Alain Herzog - CC BY-SA 4.0

Estefania Mompean Botias consacre son travail de thèse à la thématique de l’architecture dans les situations d’urgence. L’architecte-urbaniste conçoit notamment un Atlas mondial de l’urgence qui regroupe des pratiques de communautés locales.

Avant de poser ses valises dans le Laboratoire ALICE de la Faculté de l’environnement naturel, architectural et construit (ENAC), Estefania Mompean Botias a fait son petit bonhomme de chemin à travers le monde.

Originaire d’un village proche de la ville de Murcia dans le sud de l’Espagne, elle décrit sa région natale comme le verger de l’Europe: «De nombreux agrumes, tomates, melons et jus de fruits que nous consommons en Europe proviennent de cette région. Quand j'étais petite, elle était principalement agricole. Depuis, elle a subi de multiples changements. C'est peut-être ce contact avec une périphérie urbaine en pleine mutation qui m'a poussée à m'intéresser à l'architecture et à l'urbanisme.»

Après des études à l’Université d’Alicante, l’architecte fraîchement diplômée part en Erasmus en Hollande à l’Université de technologie de Delft (TU Delft). Elle a alors l’occasion de participer à des ateliers avec des universités externes et s’envole pour la Chine. «Je me souviens très bien de ce voyage», raconte-t-elle. «C’était deux ans après le tremblement de terre de 2008 à Wenchuan. Nous avons pu visiter la région et enquêter sur les processus de post-urgence. Là, j'ai commencé à développer une sensibilité envers cette thématique, notamment les composantes politico-sociales et les injustices des processus. J’ai par exemple eu une discussion avec une personne qui disait devoir vivre pendant encore au moins trois années supplémentaires dans un camp que l’on dit d’urgence. Ça m’a particulièrement marquée.»

Estefania Mompean Botias exerce ensuite à Paris pendant plusieurs années dans un studio de prospective urbaine. En 2020, elle suit son compagnon en Suisse et débute un doctorat à l’EPFL.

Recherche sur les processus de gestion de l’urgence

L’architecte choisit de réaliser des recherches sur les processus de gestion de l’urgence. Cela prend en compte les mesures de réduction des risques avant une catastrophe, les mesures d'adaptation et tout ce qui touche à la résilience ou à la planification d’un rétablissement après l’événement. S’agissant d’un domaine transdisciplinaire, Estefania Mompean Botias est amenée à parcourir la littérature d’une grande variété de disciplines: architecture, urbanisme, sociologie, politique ou encore écologie et philosophie.

«Auparavant, la recherche sur ce thème n’était pas bien vue», explique la doctorante. «Elle pouvait être jugée comme catastrophiste, mais avec l’urgence sanitaire prolongée du Covid-19 que nous avons vécue, son importance est devenue indéniable. De plus, les situations d’urgence déclarées sont de plus en plus fréquentes. Avant, on employait ce terme tous les 10 ans. En 2022, avec une série d'urgences sanitaires liées à la pandémie ou aux conflits et aux urgences liées à la chaleur, aux feux de forêt et aux inondations, au moins six situations d’urgence ont été déclarées dans de nombreux pays d'Europe.»

Dans son travail, la chercheuse apporte notamment une vision critique des processus de gestion de l’urgence actuels. «Le concept d’urgence devient un outil de gouvernance», affirme-t-elle. «Issu de la culture occidentale, il impose une planification rationnelle avec des projets à grande échelle. Or, ces projets sont souvent motivés par l'urgence environnementale, choisis par des réseaux mondiaux de spécialistes et servent de justification au déploiement de formes promotionnelles de développement économique. En déclarant un état d’urgence, c’est en quelque sorte une manière de se libérer de l’obligation de répondre à d’autres problématiques sociales.»

Atlas mondial collaboratif de l’urgence

Cette tendance à la globalisation a pour effet de mettre en sourdine les savoir-faire locaux. En exemple, Estefania Mompean Botias cite le cas d’inondations en Indonésie. Un phénomène récurrent qui a lieu deux à trois fois par an et qui était jusqu’ici très lié à la culture locale avec un système bien en place de réparation des dommages causés. Récemment, ces inondations ont été décrétées comme étant des situations d’urgence. Un dispositif de canalisation appelé Dutch polder a été construit pour rendre des zones non inondables. «Des collègues indonésiens m’ont expliqué que cela générait des problèmes en inondant d’autres zones et que ces infrastructures empêchaient l’eau de se retirer ce qui avait finalement pour conséquence de rallonger la durée de l’inondation», rapporte la chercheuse.

Estefania Mompean Botias a donc conçu un Atlas mondial de l’urgence qui regroupe des pratiques de communautés locales: «J’ai créé une page web avec un formulaire de contribution. L'idée est que cela devienne une plateforme de cartographie et d'échange d'expériences, où les cas peuvent être déposés de manière collaborative.»

Exposition sur l’Ukraine à venir

Dernière activité en date, une collaboration avec Elena Orap, une chercheuse ukrainienne qui a rejoint le laboratoire ALICE. «En octobre, nous avons entamé un travail d’étude de l’architecture de l’urgence en Ukraine», explique-t-elle. «Nous sommes dans un processus de collecte des protocoles qui ont émergés depuis le début de la guerre. L’objectif est d'organiser une exposition collaborative pour ouvrir le débat sur les pratiques spatiales générées à partir d'un mode d'existence centré sur la résistance. Nous sommes actuellement à la recherche d’un lieu d’exposition.»


Auteur: Nathalie Jollien

Source: Environnement Naturel, Architectural et Construit | ENAC

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Estefania Mompean Botias © 2022 EPFL / Alain Herzog - CC BY-SA 4.0
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