Les robots fournissent des indices sur la locomotion des anguilles

Le robot amphibie ressemblant à une anguille du Laboratoire BioRob. 2025 BIOROB EPFL CC BY SA
Un modèle de circuit neuronal testé sur des robots amphibies développés à l'EPFL montre comment le retour multisensoriel permet aux anguilles de nager même après une lésion de la moelle épinière, tout en fournissant de nouvelles informations sur la transition évolutive des vertébrés de l'eau à la terre.
Les poissons allongés, comme les anguilles et les lamproies, sont des nageurs remarquables. Les anguilles font preuve d'une capacité motrice exceptionnelle, non seulement lorsqu'elles nagent, mais aussi lorsqu'elles rampent sur un sol irrégulier. Elles peuvent même continuer à nager après que la partie de la moelle épinière responsable du contrôle des mouvements a été endommagée, ce qui entraînerait une paralysie chez la plupart des vertébrés. Mais le mécanisme neuronal à l'origine de ces capacités incroyables est resté longtemps un mystère.
Des études antérieures ont suggéré que les sensations de pression cutanée et d'étirement musculaire modulent l'activité des réseaux neuronaux appelés générateurs centraux de motifs (CPG), distribués le long de la moelle épinière et censés contrôler le mouvement adaptatifs de ces espèces ondulantes. Mais ces théories n'ont pas été pleinement explorées en raison de la difficulté technique d'étudier simultanément plusieurs types de rétroaction sensorielles chez les animaux vivants.
Aujourd'hui, une équipe composée de chercheurs de la Faculté des sciences et techniques de l'ingénieur de l'EPFL, de l'université de Tohoku (Japon) et de l'université d'Ottawa (Canada) a publié dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences un modèle mathématique d'un circuit neuronal qui intègre à la fois la sensation d'étirement et de pression pour le contrôle du mouvement chez les anguilles et leurs proches parents. Plus précisément, les chercheurs ont supposé pour leur modèle que chaque segment du corps possède un circuit neuronal de type CPG qui génère des mouvements rythmiques régulés de manière autonome par le retour sensoriel de l'étirement et de la pression.

Les chercheurs ont ensuite utilisé leur modèle pour réaliser des simulations informatiques et des expériences à l'aide de robots amphibies ressemblants à des anguilles, développés au Laboratoire de biorobotique de l'EPFL (BioRob). Lors d'expériences aquatiques, les scientifiques ont confirmé que leur modèle produisait rapidement des schémas de nage stables et que le retour d'information sur l'étirement jouait un rôle central dans cette stabilisation rapide. Fait remarquable, le même circuit neuronal impliqué dans la nage permettait aussi au robot de ramper sur terre et de contourner des obstacles, le retour d'information sur l'étirement jouant encore un rôle crucial pour pousser contre les obstacles afin de générer une poussée vers l'avant.
La découverte selon laquelle un circuit neuronal destiné à la nage peut également permettre le mouvement terrestre suggère que la transition évolutive des vertébrés de l'eau à la terre n'a peut-être pas nécessité le développement de circuits neuronaux entièrement nouveaux », explique Auke Ijspeert, directeur du BioRoB. « Au contraire, les circuits aquatiques existants auraient pu être réutilisés, un principe qui contribue à notre compréhension des origines évolutives du contrôle moteur. »
Construire des robots plus résistants
L'équipe a également utilisé ses robots et ses simulations pour étudier les mécanismes possibles qui permettent aux anguilles réelles de nager même après une section de la moelle épinière, une blessure qui laisserait la plupart des vertébrés paralysés. Leurs conclusions suggèrent que si les circuits neuronaux répartis dans tout le corps possèdent une certaine capacité à générer spontanément des rythmes, cela pourrait se combiner au retour sensoriel d’étirement et de pression pour produire des mouvements de nage coordonnés, aussi bien dans les simulations que chez les robots, avant et après la zone de section de la moelle.
Outre le fait qu'elles fournissent de nouvelles informations sur l'évolution et la mécanique du contrôle moteur chez les animaux, les chercheurs affirment que leurs conclusions pourraient être utilisées pour développer des robots résistants aux dommages physiques et capables de se déplacer de manière robuste dans des environnements imprévisibles, tels que les sites de catastrophes. En particulier, les méthodes de contrôle qui intègrent un retour multisensoriel pourraient aider les chercheurs à développer des robots capables de se déplacer aussi facilement sous l'eau que sur un terrain accidenté.
Auke Ijspeert ajoute que les connaissances acquises sur la fonction motrice après une lésion de la moelle épinière sont non seulement intéressantes sur le plan biologique, mais pourraient également fournir des principes pour la conception de systèmes de contrôle moteur décentralisés qui ne dépendent pas du contrôle cérébral : « Si nous parvenons à comprendre comment la biologie contrôle des mouvements complexes à l'aide des sens du corps (sans intervention cérébrale), nous pourrons peut-être utiliser ces informations pour mieux contrôler les machines autonomes. »
Multisensory feedback makes swimming circuits robust against spinal transection and enables terrestrial crawling in elongate fish, Proc. Natl. Acad. Sci. U.S.A. 122 (34) e2422248122, https://doi.org/10.1073/pnas.2422248122 (2025).


