Les nanopores agissent comme des portes électriques

Représentation d'une membrane cellulaire (riz) avec des nanopores (brocoli) libérant des ions (graines). 2025 EPFL/A. Radenovic CC-BY-SA 4.0

Représentation d'une membrane cellulaire (riz) avec des nanopores (brocoli) libérant des ions (graines). 2025 EPFL/A. Radenovic CC-BY-SA 4.0

Une équipe de l’EPFL a découvert comment la charge et la structure contrôlent le flux ionique dans les nanopores biologiques. Cette avancée ouvre la voie à de nouveaux biocapteurs et à l’informatique basée sur les ions.

Les protéines porogènes sont présentes partout dans la nature. Chez l’humain, elles jouent un rôle clé dans la défense immunitaire, tandis que chez les bactéries, elles agissent souvent comme des toxines qui perforent les membranes cellulaires. Ces pores biologiques permettent aux ions et aux molécules de traverser les membranes. Leur capacité unique à contrôler le transport moléculaire en a également fait des outils nanoporeux performants en biotechnologie, par exemple dans le séquençage de l’ADN et la détection moléculaire.

Malgré leur importance et leur impact sur la biotechnologie, les scientifiques ne comprennent toujours pas comment les ions se déplacent à travers eux ou pourquoi le flux d’ions s’arrête parfois.

Deux phénomènes intriguent particulièrement la communauté depuis des années: la rectification, où le flux ionique diffère selon le «signe» (plus ou moins – positif ou négatif) de la tension appliquée, et le gating, où le flux diminue brusquement. Ces deux effets, en particulier le gating, interfèrent avec les applications de détection, mais demeurent mal compris.

Dirigée par les professeurs de l’EPFL Matteo Dal Peraro et Aleksandra Radenovic, une équipe vient de découvrir les fondements physiques de ces effets. En combinant expériences, simulations et théorie, elle montre que la rectification et le gating sont tous deux contrôlés par les charges électriques du nanopore lui-même, et comment ces charges interagissent avec les ions qui traversent le pore.

Imiter la plasticité synaptique

L’étude a révélé que la rectification intervient en raison de la façon dont les charges électriques qui tapissent l’intérieur du pore influencent le mouvement ionique. La répartition des charges permet aux ions de passer plus facilement dans un sens que dans l’autre, comme une vanne unidirectionnelle. Le gating, d’autre part, se produit lorsqu’un grand flux d’ions conduit à un déséquilibre de charge qui déstabilise structurellement le pore, ce qui provoque l’effondrement temporaire d’une partie du pore, bloquant le flux d’ions.

Les deux effets dépendent non seulement de la quantité de charge, mais aussi de l’endroit exact où elle est localisée dans le nanopore et si elle est positive ou négative. En changeant le «signe» de charge, les scientifiques ont pu régler le moment où les pores s’ouvrent et dans quelles conditions. Ils ont également constaté que si la structure des pores est rendue plus rigide, elle arrête complètement le gating, ce qui confirme que la flexibilité des pores joue un rôle clé.

Les résultats de l’étude offrent un moyen d'adapter finement les nanopores biologiques pour des tâches spécifiques. Par exemple, les ingénieurs peuvent désormais concevoir des pores qui évitent en grande partie le gating dans la détection par nanopores, tandis que pour d’autres applications comme l’informatique bio-inspirée, le gating peut être exploité. En fait, ils ont créé un nanopore qui imite la plasticité synaptique et «apprend» des impulsions de tension comme une synapse neuronale. De tels systèmes pourraient un jour constituer le fondement des processeurs ioniques.

Comment ont-ils fait ?

Les chercheuses et chercheurs se sont penchés sur l’aérolysine, un pore bactérien souvent utilisé dans la détection. En mutant systématiquement les acides aminés chargés le long de la surface interne du pore, ils ont créé 26 variantes de nanopore avec des schémas de charge différents. Ils ont ensuite mesuré comment les ions circulaient à travers ces pores mutants dans diverses conditions.

Les scientifiques ont appliqué des signaux de tension alternative pour sonder le système à différentes échelles de temps. Cela leur a permis de séparer la rectification rapide du gating, qui a lieu principalement à des échelles de temps plus longues. Enfin, les scientifiques ont eu recours à des modèles biophysiques pour interpréter les données et identifier les mécanismes sous-jacents.

Autres contributeurs

  • Institut de Science et Technologie d’Autriche
  • Université de Washington
  • ENS de Lyon
Financement

Conseil européen de la recherche

Fonds national suisse de la recherche scientifique

Références

Simon Finn Mayer, Marianna Fanouria Mitsioni, Paul Robin, Lukas van den Heuvel, Nathan Ronceray, Maria Jose Marcaida, Luciano A. Abriata, Lucien F. Krapp, Jana S. Anton, Sarah Soussou, Justin Jeanneret-Grosjean, Alessandro Fulciniti, Alexia Möller, Sarah Vacle, Lely Feletti, Henry Brinkerhoff, Andrew H. Laszlo, Jens H. Gundlach, Theo Emmerich, Matteo Dal Peraro, Aleksandra Radenovic. Lumen charge governs gated ion transport in β-barrel nanopores. Nature Nanotechnology 11 novembre 2025. DOI: 10.1038/s41565-025-02052-6


Auteur: Nik Papageorgiou

Source: EPFL

Ce contenu est distribué sous les termes de la licence Creative Commons CC BY-SA 4.0. Vous pouvez reprendre librement les textes, vidéos et images y figurant à condition de créditer l’auteur de l’œuvre, et de ne pas restreindre son utilisation. Pour les illustrations ne contenant pas la mention CC BY-SA, l’autorisation de l’auteur est nécessaire.