Les micropuces les plus cool du monde: le refroidissement sur mesure

© Alex Widerski 2022 EPFL

© Alex Widerski 2022 EPFL

Après la canicule endurée cet été, il est facile d'oublier que les humains ne sont pas les seuls à avoir besoin de s'abriter d'une chaleur accablante. Les animaux souffrent aussi, de même que les immenses infrastructures mécaniques comme les voies ferrées, voire les pistes d’aéroports. Mais qu'en est-il des ordinateurs ?

Depuis leur invention, les centres de données ont rencontré des problèmes de refroidissement. A cette époque, on savait que Google bénéficiait d’une configuration innovante dans ses centres de données où les super ordinateurs étaient disposés en rangées ouvertes, dans un environnement réfrigéré. Les techniciens californiens pouvaient aller remplacer les composants montés sur velcro, tout en profitant de l'air frais pendant quelques minutes rafraîchissantes. Le véritable avantage était que les salles étaient maintenues à basse température, afin d'alléger la charge du système de refroidissement individuel de chaque serveur. De nos jours, cependant, cette option serait considérée comme extrêmement inefficace : pourquoi gaspiller de l'énergie à réfrigérer une pièce entière, alors que seuls les PC doivent être refroidis ?

Le professeur Elison Matioli, du laboratoire de dispositifs semiconducteurs de puissance de la Faculté des science et techniques de l'ingénieur (STI) à l'EPFL a poussé cette question un peu plus loin. Pourquoi l'ensemble du PC devrait-il être refroidi en y soufflant de l'air, alors que chaque puce individuelle pourrait avoir son propre système de refroidissement par liquide ?

Le coût du refroidissement augmente en même temps que la demande des centres de données

À moins de connaître exceptionnellement bien la technologie des centres de données, il est peu probable que vous sachiez dans quelle mesure vous les utilisez. Si vous êtes sur Gmail ou Outlook.com, il est probable que chaque e-mail que vous envoyez ou recevez soit stocké dans un centre aux États-Unis ; si vos photos sont sauvegardées sur Apple iCloud ou Google Photos, elles seront conservées dans plusieurs des nombreux centres de données gérés par ces sociétés dans le monde entier. Alors que de plus en plus de personnes utilisent l'Internet des objets, des voitures aux sonnettes intelligentes en passant par les montres connectées, l'utilisation de ces centres de données ne cesse de croître.

À la Faculté des sciences et techniques de l'ingénieur et à l'EPFL EcoCloud Center, de nombreux professeurs travaillent sur les moyens de réduire la consommation d'énergie des centres de données, alors même que la demande et que les températures du globe augmentent. A une échelle microscopique, les professeurs Moser et Psaltis ont étudié la propagation de la lumière dans les fibres optiques et l'ont utilisée pour effectuer des tâches de calcul pratiques, avec une consommation d'énergie bien inférieure à celle des techniques numériques traditionnelles. À l'échelle de la ville, le professeur Paolone a construit des smart grids, qui transforment les réseaux électriques statiques en systèmes intelligents autorégulateurs et hautement efficaces.

© 2022 EPFL

Le professeur Elison Matioli travaille entre ces deux extrêmes, au niveau des composants informatiques. "Notre vision est de contribuer au développement d'une puce intégrée - une unité unique pour l'électronique alimentée où vous avez des tas d'appareils intégrés - plus petits et plus économes en énergie que tout ce qui peut être réalisé actuellement."

Les micropuces continuent de rapetisser, de sorte que les scientifiques du monde entier recherchent des alternatives au silicium, car les limites naturelles de ce matériau éprouvé s'imposent d'elles-mêmes. Le professeur Matioli a identifié la meilleure alternative, mais il y a un problème inévitable :

"L'utilisation du nitrure de gallium nous permet de construire des appareils électroniques tels que des blocs d'alimentation, des puces mémoire ou des cartes graphiques, beaucoup plus petits que ce qui peut être réalisé avec du silicium. Nous pouvons fournir de meilleures performances de conversion d'énergie avec un volume beaucoup plus petit mais, par conséquent, nous générons de plus grandes quantités de chaleur sur une surface plus petite.”

"Il est vital que les composants ne surchauffent pas, ni ne provoquent une surchauffe des appareils voisins."

Le refroidissement de ces puces révolutionnaires est devenu l'un des principaux objectifs de l'équipe du professeur Matioli et a conduit à des solutions radicales. À leur tour, ces solutions ont ouvert de nouvelles possibilités pour refroidir toutes sortes de puces, y compris l'infrastructure des centres de données.

En parcourant le laboratoire, le visiteur ne peut s’empêcher de penser à un film de science-fiction.

Tout comme les combinaisons spatiales des astronautes sont équipées d’un système de refroidissement liquide intégré, ces micropuces sont chacune logées dans une membrane refroidie par liquide. Le refroidissement à l'air de manière traditionnelle est acceptable, mais le liquide conduit la chaleur plus rapidement que l'air, si bien que le refroidissement est beaucoup plus efficace. Dans les dispositifs mis au point par POWERlab, des microcanaux de diamètre variable fournissent un système de refroidissement adapté aux besoins de chaque puce, dans le cadre d'un réseau de refroidissement conçu pour l'ensemble de la machine - les points chauds ayant été identifiés à l'avance. A noter que seuls les points chauds eux-mêmes sont ciblés - une stratégie ultra-efficace.

Faire collaborer des ingénieurs en mécanique et en électronique

Cette « co-conception » des puces ultra-compactes et de leur système de refroidissement rend l'approche unique, et est à l’origine de la spin-off Corintis SA, une start-up issue de POWERlab, et qui recrute actuellement.

“Corintis apporte un service aux fabricants de puces en leur fournissant des cartes thermiques pour leurs appareils. Leurs experts peuvent concevoir le dissipateur thermique réalisé sur mesure pour chaque chipset.”

L'interdisciplinarité est une caractéristique essentielle de ce travail : “Très souvent, les départements traitant des questions thermiques et des appareils électroniques sont situés dans des bâtiments différents : génie mécanique et génie électrique. Donc, vous construisez une puce, puis vous l'envoyez à un autre service pour trouver un moyen de la refroidir. Mais à ce moment-là, vous avez déjà raté de nombreuses opportunités !

"Dans ce projet, j'ai fait travailler ensemble des ingénieurs en mécanique et des ingénieurs en électricité", explique le professeur Matioli, "et c'est ce qui nous différencie."

En discussion avec Remco van Erp, CEO de Corintis SA

© 2022 EPFL

L'augmentation annuelle de la puissance de calcul des puces à usage général ralentit, ces dernières années. Bon nombre des plus grandes entreprises technologiques du monde conçoivent désormais leurs propres puces spécifiques aux applications pour répondre à leurs besoins futurs : Apple conçoit des puces pour ses téléphones et ordinateurs portables, Amazon conçoit des puces pour ses centres de données et Youtube conçoit même des puces pour le traitement vidéo, il y a une grande hétérogénéité. La conception personnalisée de puces peut grandement bénéficier de solutions de refroidissement sur mesure pour améliorer l'efficacité énergétique et les performances, en particulier en ce qui concerne les centres de données. De plus en plus, les entreprises viennent nous voir à la recherche de meilleures solutions de refroidissement.

Il s'agit d'un problème très multidisciplinaire, nécessitant une expertise allant des mathématiques à la plomberie. Chez Corintis, nous avons des experts en informatique et en matériel qui travaillent ensemble pour atteindre nos objectifs. L'aspect modélisation est très important, car nous voulons prédire la distribution de puissance et de température et optimiser la conception du refroidissement microfluidique, avant même qu'une puce ne soit fabriquée. C'est aussi un problème multi-échelle : d'une part on a affaire à des canaux à l'échelle du micromètre, d'autre part c'est intégré dans des puces de plusieurs centimètres de large. Cela nécessite des innovations intelligentes dans la modélisation et la simulation.

Nous entretenons des liens étroits avec l'EPFL : nos experts en microfabrication y travaillent dans les salles blanches, nous avons quatre stagiaires de l'EPFL et d'autres institutions internationales, et nous sollicitons des financements de recherche en collaboration avec POWERLab.