Les microplastiques issus des pneus livrent peu à peu leurs secrets

Les scientifiques ont analysé onze substances utilisées dans la fabrication de pneus. © iStock

Les scientifiques ont analysé onze substances utilisées dans la fabrication de pneus. © iStock

L’abrasion des pneus est l’une des plus grandes sources de microplastiques dans l’environnement en Suisse. Leurs composants et leurs impacts restent toutefois peu connus. Trois institutions de recherche, dont l’EPFL, ont achevé la Phase 1 d’un projet visant à étudier la bioaccessibilité de ces composants pour les organismes vivants et à évaluer leur toxicité.

Sous l’impulsion d’un consortium d’industriels du pneu, trois institutions suisses de recherche ont lancé en avril 2020 un projet visant à mesurer le taux d’absorption par les organismes vivants des microplastiques provenant de l’abrasion des pneus ainsi que leur toxicité. Cette recherche, coordonnée par le Centre Suisse d’Ecotoxicologie Appliquée (Ecotox) et menée en partenariat avec l’EPFL et l’Institut Fédéral Suisse des Sciences et Technologies de l'Eau (Eawag), vient de voir sa première phase s’achever avec deux publications parues dans la revue Environmental Science & Technology (l’une fin novembre 2021 et l’autre, fin octobre 2022). Celles-ci ont analysé la solubilisation et la bioaccessibilité de composants chimiques issus des particules de pneu dans les systèmes digestifs de truites arc-en-ciel en utilisant une approche in-vitro innovante basée sur des fluides gastriques et intestinaux de synthèse.

Co-ingestion d'amphipodes

Sur les onze substances analysées, les scientifiques indiquent que le taux d’absorption par le système digestif varie de 0,06% à 44,1%. Ce taux varie aussi en fonction de la présence ou non de nourriture. Parmi ces substances se trouve par exemple la 6PPD-Quinone (6PPDQ), qui est un sous-produit d’oxydation toxique issu d’un antioxydant largement utilisé par l’industrie du pneu. Une co-ingestion de particules de pneu avec des amphipodes habituellement ingérés par la truite va contribuer à augmenter la quantité de 6PPDQ relarguée dans son estomac, alors que, pour d’autres additifs, cette co-ingestion va au contraire réduire cette solubilisation. Des expériences complémentaires sont actuellement en cours afin d’évaluer plus précisément la toxicité des nombreux composants présents dans les particules de pneu.

La recherche a tendance à se concentrer actuellement sur la pollution des microplastiques issus des déchets et des emballages, alors que celle générée par les pneus représente 30 à 40% de la pollution plastique dans l’environnement.

Florian Breider, directeur du Laboratoire central environnemental (CEL) à l’EPFL

«Ces composants sont plus complexes que ceux des polymères standards, comme le polystyrène ou le PET, et il y en a probablement des centaines», explique Florian Breider, directeur du Laboratoire central environnemental (CEL) à l’EPFL et auteur correspondant des deux études parues dans Environmental Science & Technology. «La recherche a tendance à se concentrer actuellement sur la pollution des microplastiques issus des déchets et des emballages, alors que celle générée par les pneus représente 30 à 40% de la pollution plastique dans l’environnement. Cela vaut donc la peine d’investiguer également dans ce secteur.» A noter que le premier auteur de ces études, Thibault Masset, est postdoctorant au laboratoire CEL.

Sous-produits et vieillissement
Le but ultime du projet de recherche est d’évaluer la bioaccessibilité, la bioaccumulation ainsi que la toxicité des particules de pneu et des additifs associés. La deuxième phase d’étude va se concentrer sur l’observation du transfert trophique, soit le passage de ces substances plus haut dans la chaîne alimentaire. D’une larve d’insecte à une truite, par exemple. L’analyse des sous-produits formés par les composants des pneus et celle de leur comportement lors du vieillissement sont également dans le viseur des équipes de recherche. Il en va par exemple de la 6PPDQ, citée plus haut, qui est issue de la dégradation d’un antioxydant appelé 6PPD.

La 6PPD est ajoutée dans le mélange lors de la fabrication des pneus, mais devient 6PPDQ lorsque le pneu entre en contact avec l’oxygène et l’ozone présents dans l’air. Ce composant a été reconnu comme responsable de la mort de nombreux saumons dans la baie de Seattle, dans une étude parue dans Science en 2021. «Les industriels devraient avoir une vision plus holistique et tenir compte de l’évolution et du caractère instable de certains produits qui peuvent former de nouvelles substances de manière involontaire et pouvant parfois se révéler toxiques», observe Florian Breider.

Caoutchouc, suie et métaux lourds
Un Rapport du Conseil fédéral paru le 23 septembre 2022 indique que l’abrasion des pneus est l’une des plus importantes sources de microplastiques dans l’environnement en Suisse. Les résidus de cette abrasion sont composés de 60% de caoutchouc, de 30% de suie et de 10% de métaux lourds. Ainsi, plus de 13'500 tonnes de résidus sont générées chaque année en Suisse, dont 8’900 sont libérés dans l’air, les sols et les eaux. Une étude de l'EPFL publiée en 2019 indique que l'usure des pneus et des routes représentait, selon les estimations, jusqu'à 61% des microplastiques entrant dans le lac Léman. Certains composants restent toutefois inconnus des scientifiques à ce stade et forment un cocktail chimique dont les répercussions restent à étudier.
Financement

World Business Council for Sustainable Development’s (WBCSD) Tire Industry Project (TIP)