«Les mathématiques mènent à tout»

Jean-Claude Favre, président de la Fédération suisse des jeux mathématiques. © Alain Herzog/EPFL

Jean-Claude Favre, président de la Fédération suisse des jeux mathématiques. © Alain Herzog/EPFL

Grande interview - Le 26 mai, l’EPFL accueillera la finale suisse du 32e Championnat international des jeux mathématiques et logiques. Quelque 540 concurrents, âgés de 8 à 75 ans, tenteront de se qualifier pour la finale internationale qui se déroulera fin août à Paris. Jean-Claude Favre a repris l’an dernier la présidence de la Fédération suisse des jeux mathématiques, qui organise l’événement au niveau national.

Comment êtes-vous arrivé à la tête de la Fédération suisse des jeux mathématiques (FSJM)?

Diplômé de mathématiques de l’EPFL en 87, je suis passionné de mathématiques depuis toujours. Le championnat de jeux mathématiques et logiques a été initié il y a 32 ans par la Fédération française des jeux mathématiques et il est arrivé en Suisse deux ans plus tard. J’y ai participé en tant que candidat quasiment depuis son début. Aussi l’an dernier, quand l’ancien président de la FSJM m’a demandé de reprendre la présidence, j’ai immédiatement accepté, avec le seul regret de ne plus pouvoir concourir. Le concours est l’événement phare de la FSJM, mais le but principal de notre association est de promouvoir les mathématiques auprès des jeunes, au travers d’activités ludiques.

Comment se déroule le championnat?

La première sélection se fait sur inscription en renvoyant par courrier les réponses à une série de problèmes dont le nombre varie en fonction de la catégorie d’âge. On compte au total huit catégories : quatre de niveau école obligatoire (entre 10 et 16 ans), une pour les classes gymnasiales, une pour les universitaires et deux catégories adultes (grand public et haute compétition). L’inscription peut être individuelle ou à travers l’école. Dans ce cas, les enseignants organisent le concours en classe et envoient leurs meilleurs élèves à l’étape suivante. Cette année, il y a eu un peu moins de 12'000 participants, dont 11'000 scolaires. Aux étapes suivantes, en fonction de leur âge, les participants répondent à un nombre différent de problèmes issus d’une même série de 18 problèmes, dans un temps limité.

3260 qualifiés se sont réunis en mars dans 11 centres de demi-finales. 540 candidats ont été retenus pour la finale suisse du 26 mai. Entre 50 et 60 seront ensuite qualifiés pour la finale internationale à Paris qui réunira une quinzaine de pays.

D’où proviennent les participants en Suisse?

La Suisse romande est actuellement surreprésentée du fait que le championnat s’est diffusé en Suisse depuis le canton de Vaud. Tous les cantons romands étaient représentés en demi-finale, ainsi que Zurich et Soleure. Notre objectif est d’augmenter le nombre de centres en Suisse alémanique l’an prochain. Il faut pour cela convaincre des écoles de s’engager.

Le niveau des participants vous semble-t-il lié au système d’enseignement?

Je pense. Même si les problèmes font davantage appel à des capacités d’analyse, de déduction et de logique qu’à des connaissances mathématiques poussées. Bien sûr, il faut connaître quelques règles de base, mais surtout pouvoir raisonner rapidement. La composante temps est essentielle: deux ou trois heures peuvent parfois paraître insuffisantes.

Comment se positionnent les Suisses au niveau international?

Assez bien, surtout dans les catégories d’âge scolaire obligatoire. Pour les plus grands, il y a une intense compétition avec d’autres pays tels que la Pologne ou la Belgique, qui sont très forts.

Etes-vous souvent allé en finale internationale?

Quelquefois, oui. Une fois, j’ai fini deuxième dans la catégorie haute compétition. On retrouve régulièrement certains candidats, mais il est difficile d’être constant et toujours au même niveau. On fait vite des erreurs d’inattention et il y a toujours des problèmes qui vous plaisent plus que d’autres.

Le succès du championnat va-t-il croissant?

Plutôt oui. La difficulté est de trouver des organisateurs pour les centres de demi-finales. Pour 10 participants, il faut compter un organisateur, soit quelque 300 bénévoles au total. La communication sur le concours est également essentielle : elle passe par les départements de l’instruction publique cantonaux, qui transmettent aux directeurs des écoles, qui relayent aux profs de maths.

De quelle nature est votre collaboration avec l’EPFL?

Très bonne! La finale suisse s’y déroule depuis 2010 en collaboration avec le service événements. Le Département de mathématiques est un de nos sponsors, avec lequel nous souhaitons approfondir la collaboration. Par ailleurs, mon ambition est d’y accueillir, une fois, la finale internationale, en 2020 ou 2021. Nous avons là un cadre exceptionnel et une qualité d’accueil et architecturale qui méritent d’être mis en valeur.

Quelles sont les autres activités de la FSJM?

Je travaille actuellement à une participation suisse au concours Euromath, de niveau européen et par équipes. Les problèmes sont du même style que ceux du championnat, mais se résolvent par équipe de six personnes de différentes classes d’âges. Les meilleurs concurrents de la demi-finale ont été sélectionnés. La tâche est d'autant moins facile que l’équipe doit être mixte (2 filles et 2 garçons minimum).

Les maths attirent-elles davantage les garçons?

Il y a malheureusement nettement moins de filles que de garçons. Elles étaient 38% à la demi-finale et seront 28% en finale. Mais on ne peut en tirer aucune conclusion.

Le niveau de mathématiques n’est pas lié au sexe.

Nous ne possédons pas de statistiques pour le dire. En général, les filles se montrent plus disciplinées, surtout dans les catégories de bas âge. Les candidats ont une heure et demie à disposition. Au bout de 20 minutes, des garçons partent déjà, tandis que les filles ont tendance à rester le temps alloué, afin de s’assurer qu’elles ont tout fait correctement. Plus appliquées, elles feront de meilleurs résultats grâce à cela. Les garçons sont peut-être plus intuitifs et ne reviennent pas en arrière. Ensuite, au niveau de la sélection, les filles ne sont pas forcément meilleures.

Où les maths vous ont-elles mené?

Quand j’ai commencé à travailler à la fin de mes études, j’ai réalisé que, si elles apportent cet aspect logique et la capacité d’analyse et de déduction, les maths restent un élément abstrait par rapport au monde réel. Il faut compléter la formation en maths par autre chose. J’ai fait HEC, c’est un très bon mix. Les mathématiques ne sont pas ma profession, mais restent ma passion.

Les maths mènent-elles à tout?

Mon fils a terminé un Master en maths l’an dernier. Après son service civil, il veut devenir chocolatier. Avec les mathématiques, vous vous retrouvez souvent à faire un travail qui nécessite une formation complémentaire. La valeur ajoutée d’une formation en mathématiques est l’acquisition d’une capacité à aller plus vite, à apprendre plus vite et assimiler plus rapidement l’autre formation. Il est plus facile pour un jeune par la suite d’apprendre un métier spécifique que d’acquérir ces capacités.

D’où peut venir la facilité de certains en maths?

Un esprit logique, une capacité d’analyse et de déduction fortement développés. Mais je me pose toujours la question de savoir si c’est un don ou si cela s’acquiert. Mon épouse a étudié les mathématiques à l’UNIL, nous avons quatre enfants, trois garçons et une fille, dont trois ont choisi de faire les maths à l’EPFL. Est-ce génétique ou lié au contexte ? Avaient-ils une aptitude innée qu’ils ont développée? Difficile à dire.

La facilité en maths est-elle couplée à d’autres aptitudes?

Ceux qui ont cette capacité d’aller vite en termes de logique et de déduction arrivent toujours à trouver des trucs pour s’en sortir, ce qui leur permet de minimiser les dégâts là où ils ont plus de difficulté.

Avec l’intelligence artificielle et les capacités informatiques, les maths sont-elles toujours utiles aujourd’hui?

Certainement. Les ordinateurs et leur puissance se sont développés notamment grâce aux mathématiciens. Les méthodes utilisées aujourd’hui dans l’intelligence artificielle, l’analytics, la data science font appel aux mathématiques. Et les mathématiciens formés dans ces domaines sont très recherchés par l’industrie. Ce qui prouve que les mathématiques sont essentielles dans ces domaines. La capacité d’apprentissage des ordinateurs est basée sur des techniques, des méthodes ou des modèles mathématiques. L’amélioration de ces modèles renforcera la capacité de la machine à apprendre. Je ne pense pas que les machines aient atteint un stade où elles sont capables de développer des nouveaux modèles mathématiques. Qui sait si elles y arriveront un jour ?

Que pensez-vous du débat sur les études d’architecture qui délivrent un Master of science, avec un haut niveau de maths donc, alors que certains étudiants estiment que cela relève d’un Master of art, dispensé d’un haut niveau
en maths?

Ils ont raison. Certains domaines ne requièrent pas le même niveau d’étude en mathématiques pour être bon et performant dans son travail. C’était aussi le cas pour les enseignants en maths. A l’époque, un Master en maths était requis pour enseigner au niveau secondaire. Votre esprit était ainsi déformé par cinq ans d’enseignement de mathématiques sophistiquées, alors que votre objectif était d’enseigner les maths à un niveau relativement basique. C’est frustrant !

Les études internationales telles que PISA ont tendance à mettre en évidence une baisse du niveau en maths. Qu’en pensez-vous?

Dans ce concours, je ne le perçois pas. La capacité des jeunes à résoudre des problèmes dans un temps limité est restée la même, voire s’est améliorée. Les jeunes ont aujourd’hui des moyens à disposition qui les aident à être plus éveillés et plus rapides. Ils sont peut-être moins persévérants et moins efficaces sur le long terme, mais dans un concours limité à 2 ou 3 heures ils sont au top de leurs performances.

Y voyez-vous un lien avec les nouvelles technologies?

Sans doute. Les jeunes sont exposés à un flux d’informations sans commune mesure avec celui que nous avons connu à leur âge. Ils absorbent l’information et traitent les choses très rapidement, ce qui est positif pour ce genre de compétitions.

BIO
1987
Diplôme d’ingénieur mathématicien EPFL, avec spécialisation en recherche opérationnelle.
1991
Licence HEC de l’Université de Lausanne, avec spécialisation en gestion d’entreprise.
1996-2006
Emploi dans des entreprises de négoce international à Lausanne, Buenos Aires et Singapour.
2006-2007
Voyage d’une année en famille autour du monde.
2008-2015
Responsable dans un centre de services opérationnels bancaires à Lausanne.
2015
Fondateur d’une société de conseil en stratégie, gouvernance et organisation.