Les JOJ 2020, terrain d'expérimentation des technologies
Près de 2000 athlètes de moins de 18 ans participent aux Jeux Olympiques de la Jeunesse à Lausanne et dans les environs. L’occasion unique pour l’EPFL, en partenariat avec l’UNIL et le CHUV, de tester des outils développés en laboratoires qui seront bientôt disponibles pour le grand public.
Jusqu’au 22 janvier prochains, les Jeux Olympiques de la Jeunesse (JOJ) vont embraser Lausanne et ses alentours, en accueillant 1880 jeunes athlètes du monde entier, âgés de 15 à 18 ans. Tous logent dans le très impressionnant Vortex situé sur le campus de Dorigny qui, de village olympique, se transformera en logements d’étudiants. Pendant 15 jours, les jeunes vont s’affronter dans huit sports à Lausanne, aux Diablerets, à Villars, à Champéry ou encore à Saint-Moritz. Ces villes accueillent les compétitions de ski alpin, de snowboard, de ski nordique, de hockey sur glace, les épreuves du biathlon, le curling, le patinage, le bobsleigh et enfin, pour la première fois, le ski alpinisme - reconnu par le CIO - qui devient le 8e sport des JOJ.
L’EPFL est impliquée depuis de nombreuses années dans le développement de technologies inédites pour le sport. Elle s’investit dans le programme éducatif de ces JOJ au travers d’expériences technologiques développées en collaboration avec le Centre Sport et Santé UNIL/EPFL et le CHUV. Pascal Vuilliomenet, chef de projet à la Vice-présidence pour l’innovation, connait sur le bout des doigts la trentaine de laboratoires qui mènent des projets de recherche et de développement en lien avec le sport. Son rôle est de susciter des synergies : « Un événement majeur comme les JOJ 2020 est une occasion de fédérer de nombreux acteurs sur des projets appliqués et une chance d’initier et de renforcer des collaborations. »
Le sport se conjugue avec technologie
Le sport, la prévention, la santé
La venue à Lausanne des JOJ donne aux trois institutions l’occasion unique de promouvoir un projet audacieux et inédit appelé « Health for Performance ». Il allie technologie, connaissance sportive et notion de prévention autour d’un thème : la santé au service de la performance.
Dans un but éducatif, les athlètes peuvent ainsi créer un avatar, un double digital, qui sera alimenté par l’ensemble des données des tests qu’ils effectueront. Ces activités définiront leurs caractéristiques musculo-squelettiques et leur profil moteur, ils mettront en exergue leurs points forts et leurs faiblesses. Les sportifs effectueront des exercices de mobilité, de stabilité et de dynamique. Regroupés dans une application, développée par Katapult, une start-up de l’EPFL, les résultats permettront de faire une évaluation personnalisée. L’application donnera la possibilité aux spécialistes de prodiguer les conseils nécessaires à l’amélioration de leurs performances.
Les tests effectués permettent de nourrir l'avatar du sportif © Katapult
Ce travail a été possible grâce à la collaboration étroite avec le Centre de Sport et Santé UNIL/EPFL. « C’est un cercle vertueux : entité de terrain, le CSS nous fait part de ses besoins, des produits et services qu’ils désirent développer. Nous cherchons ensuite les laboratoires capables de concevoir les outils qui l’intéressent. Le CSS teste les prototypes et nous donne des retours. Toutes les données récoltées représentent un vivier incroyable, qui nourrit d’autres axes de recherche », détaille Pascal Vuilliomenet.
Nouveau paradigme
La volonté affirmée de « Health for Performance » sur le plan de l’entraînement est de donner un nouveau souffle aux pratiques des sportifs en changeant de paradigme, l’idée n’étant plus d’évaluer uniquement la force physique, la vitesse ou l’endurance, mais la qualité des mouvements afin d’optimiser le développement du potentiel de chacun. « Tout le monde veut faire du trail, c’est à la mode. On veut soulever des poids toujours plus lourds, courir vite, aller toujours plus loin. Qu’arrive-t-il ? La blessure ! Nous aimerions amener une conscience, un point de vue qualitatif, afin que le sportif cesse de se demander combien mais qu’il s’interroge sur le comment », explique Stéphane Maeder. Responsable du centre de Sport et Santé UNIL/EPFL, il a imaginé avec son équipe les différents outils de mesure mis à la disposition des athlètes des JOJ, qui seront progressivement déployés au CSS.
En effet, un projet d’extension du CSS en 2021 permettra de réunir toutes les technologies sous un seul toit : « On pourra faire des bilans, des tests destinés à tous les âges et à toutes les mobilités pas seulement aux sportifs. On pourra certainement détecter des problèmes et agir avant que cela ne devienne une urgence médicale. »
Mieux se connaître pour mieux s'entraîner © Alain Herzog
« D’un point de vue médical, le concept « Health for Performance », appliqué à une population d’adolescents, implique que pour bénéficier d’une performance durable, il est nécessaire de maintenir un bon état de santé global, souligne Stéphane Tercier, responsable de la consultation SportAdo du CHUV. Ce message est conçu pour attirer l’attention des adolescents sur tous les aspects de leur santé, physique et psychique. Il est transmis au travers d’outils de prévention développés par le CHUV et véhiculés par des moyens de communication innovants proposés par l’EPFL.
« Il y a un lien entre ce que font les athlètes de haut niveau et notre pratique quotidienne. Le but est d’avoir une population en bonne santé, bien dans sa peau, bien dans sa tête », précise Olivier Mutter. À l’institut des sciences du sport de l’UNIL, le chef de projet ISSUL travaille depuis plusieurs années sur la conception de programmes éducatifs sportifs. « Nous créons des ponts entre des mondes qui se parlent peu, celui de la recherche et celui du sport et de la population. »
Grâce à l'outil Squaty, le tapis criblé de capteurs donne les pressions au sol et le déplacement du centre de masse © Alain Herzog
Les trois expériences des JOJ2020
Squaty. Cet exercice de squat, effectué sur un tapis criblé de capteurs - développé par Technis une start-up issue de l’EPFL - donne les pressions au sol, le déplacement du centre de masse et transmet l’information à une application. Ce tapis connecté est couplé à des caméras qui analysent le mouvement articulaire. Elles observent quelles sont les compensations faites par le sportif.
Body Lat, permet de prendre les amplitudes musculo articulaires et d’analyser la mobilité.
Motor skills, les qualités de coordination fines ou comment gérer son déséquilibre en effectuant des impulsions à cloche-pied sur une sorte de balançoire. Cela permet de tracer le mouvement du sportif jusqu’à sa stabilisation.
Laboratoires et start-ups au service de la santé dans le sport
L’avatar mis au point par la start-up Katapult s’enrichira de nouvelles technologies - développées par l’EPFL l’UNIL, le CHUV et les autres partenaires de SmartMove - que les sportifs pourront expérimenter lors de prochains JOJ. Il deviendra de plus en plus fin dans ses analyses. On s’intéressera par exemple à l’impact du sommeil et de l’alimentation sur la santé et les performances, on pourra même vérifier notre bien-être physiologique grâce aux biomarqueurs présents dans la sueur. Plusieurs laboratoires et start-ups de l’EPFL vont contribuer à cet enrichissement.
Traquer les mouvements
Le Laboratoire de vision par ordinateur (CVLAB) cherche à analyser les mouvements d’un athlète à l’aide d’une ou plusieurs caméras. Pour ce faire, les algorithmes reconstruisent la position dans l’espace du corps du sportif et calculent la trajectoire de ses articulations. Dans son laboratoire, Pascal Fua développe ces technologies pour qu’elles puissent opérer dans des environnements toujours plus complexes.
Le prochain défi : le plongeon de compétition en collaboration avec avec Swiss Timing - la société de chronométrage sportif de Swatch Group. Il s’agira de traquer le plongeur lorsqu’il réalise ses figures. « Notre système devrait aider à rendre les notations plus objectives en compétition, et à améliorer l’entraînement. Nous pourrions superposer les dizaines de plongeons effectués et vérifier la constance du mouvement et potentiellement offrir des suggestions pour son amélioration», précise le professeur. La même technologie est utilisée pour analyser le mouvement des joueurs de foot, de basket et, pourquoi pas dans un avenir proche, des skieurs.
Pointer un individu
Alexandre Alahi, du Laboratoire d’intelligence visuelle pour les transports (VITA), s’est intéressé de très près aux mouvements des gens, dans l’optique d’équiper la voiture autonome. Il a mis au point une technologie qui détecte, même au milieu d’une foule, ce que fait une personne, sa posture, l’orientation de son regard, la position de son corps, et cela via une application qui utilise la caméra d’un smartphone. La machine détecte l’individu et peut le reconnaitre même s’il quitte pendant quelques instants le champ de la caméra. Elle perçoit le comportement détaillé de chacun, classifie sa posture, son mouvement et son activité. Cette technologie arrive à extraire le squelette d’une personne en distinguant 17 points. ( Photo ci-dessus) « Dans un contexte sportif, cela donnerait aux entraîneurs des informations précises et détaillées, en temps réel, des mouvements et postures du sportif qu’ils coachent », précise le professeur.
Bien s’alimenter pour de meilleures performances
Comment garder une glycémie stable chez un marathonien ? Améliorer la force explosive d’un sprinter ? Arriver à une telle précision de connaissance est possible en théorie, mais la réalité est plus complexe, les variables infinies : « La provenance d’une pomme, sa variété, si elle est bio ou non, vont impacter différemment les individus », explique Chloé Allémann qui gère le projet “Food and You“ au Laboratoire d’épidémiologie digitale.
L’alimentation et la santé sont intimement liées. L’alimentation et les performances sportives le sont tout autant. « Une nourriture équilibrée couplée à la pratique d’une activité physique régulière résoudrait énormément de problèmes, assure la chercheuse. Dans le domaine du sport, nous pourrions personnaliser les besoins nutritionnels de chaque athlète.»
En étudiant l’alimentation et le mode de vie des individus, incluant l’activité physique, le sommeil, le comportement quotidien, l’état de santé, l’analyse du microbiote et le calcul du taux de glycémie, Chloé Allémann se rend compte que chaque personne réagit de manière très individuelle : « Manger une banane avant un effort sera peut-être bénéfique dans un cas et pas du tout dans un autre, car la glycémie varie suivant les personnes. »
A l’avenir, le groupe de recherche aimerait suivre une vingtaine de sportifs lors d’un camp d’été au CSS. « Pendant une semaine, ils mangent la même chose et pratiquent les mêmes activités physiques. Nous serions intéressés de mesurer les variations de leur glycémie dans un contexte similaire. »
L'alimentation joue un rôle prépondérant dans la santé comme dans le sport © Alain Herzog
Porter un laboratoire biochimique sur la peau
La start-up de l’EPFL Xsensio, issue du Laboratoire des dispositifs nanoélectriques (Nanolab), développe des capteurs sur une puce d’à peine 5 mm2, capables de mesurer de nombreux biomarqueurs dans la sueur. Cette puce - développée en collaboration avec Nanolab - est collée sur la peau grâce à un patch connecté. Elle va donner en temps réel et en continu les variations de ces biomarqueurs via, par exemple, un smartphone. « Dans l’optique d’un suivi sportif, nous pouvons choisir d’être informés sur les changements de concentration d’électrolytes, métabolites, protéines. Ces changements d’électrolytes indiquent l’état de déshydratation ou d’acclimatation à la chaleur. Le taux de lactate informe sur l’activité musculaire et le cortisol permet de mesurer le stress. Des données intéressantes également dans le domaine médical», spécifie Esmeralda Megally, CEO et co-fondatrice d’Xsensio.
L’atout se trouve dans une minuscule puce capable de contenir des millions de capteurs. « Nous aimerions ainsi nous rapprocher de la précision qu’offre une prise de sang afin de générer une information biochimique en continu et non invasive. » Xsensio a été récompensée par un CES Innovation Award pour sa puce « Lab-on – Skin », dans la catégorie des technologies portables. Le prix lui sera remis en janvier à Las Vegas.
Une minuscule puce collée sur la peau capable de mesurer les biocapteurs dans la sueur © Xsensio
Suivre le sportif pas à pas
Il ne s’agit pas seulement de récolter des données, encore faut-il les centraliser, en faire bénéficier le sportif, son coach et l’ensemble des personnes impliquées comme les médecins ou les physiothérapeutes, mais aussi veiller à la sécurité des informations. Ainsi, les résultats obtenus sont enregistrés sur une application du nom de Katapult qui génère automatiquement des recommandations ciblées, personnalisées et qui permet de suivre ses progrès. Cette plateforme de gestion de la santé a été développée par la start-up du même nom. Elle collabore depuis 4 ans avec le CSS : « A Buenos Aires en 2018, nous avons pu mettre à l’épreuve l’application et sa robustesse en testant 2300 athlètes. Nous n’avons perdu aucune donnée malgré les coupures de courant et de wifi, se souvient Dan Hafner, le directeur de Katapult. A Lausanne, nous n’aurons certainement pas les mêmes défis à relever.
La start-up Katapult a développé une application permettant de récolter les données des sportifs © Katapult
L’interdisciplinarité dans l’enseignement obligatoire
Le contexte des JOJ à Lausanne s’est révélé une plateforme de travail inédite qui a réuni le Service de promotion de l’éducation de l’EPFL et la Direction générale de l’enseignement obligatoire (DGEO). Pendant un an et avec l’implication de plusieurs enseignants du secondaire I, ils ont imaginé un kit pédagogique novateur, envoyé à toutes les classes du canton de Vaud, permettant d’intégrer la notion d’interdisciplinarité dans leurs cours.
Le crédo de ce nouvel outil d’apprentissage est de décloisonner les cours en montrant que de nombreuses disciplines, enseignées séparément à l’école, sont nécessaires pour développer les objets qui nous entourent. Les parties scientifiques et techniques sont importantes, mais le design, le marketing, l’économie, les arts et la géographie ont un rôle à jouer. « Il s’agissait aussi de contextualiser les activités du plan d’études romand avec les sports d’hiver : on peut par exemple aborder le théorème de Pythagore et les calculs de vitesse au travers de l’expérience d’un skieur sur une pente par exemple », explique Laura Tibourcio de la Corre, du Service de promotion de l’éducation.
Parallèlement à la conception de ce nouvel outil pédagogique, deux films ont été réalisés. Ils s’appuient sur les équipements utilisés dans les différentes disciplines représentées aux JOJ 2020. Le choix s’est arrêté sur deux incontournables des sports d’hiver, le casque et les skis. La conception d’un casque permet d’aborder des questions de biologie, de recherche et développement - comment le casque vous protège-t-il des fractures du crâne ? Évite-t-il les commotions ? On découvre dans ce reportage des étudiants de l’EPFL qui travaillent sur l’absorption des chocs, et des médecins du CHUV qui expliquent les mécanismes de la commotion. Quant à la fabrication des skis, elle met en valeur l’industrie, montrant qu’au niveau local il y a des entreprises à la pointe de la technologie.
Intéresser les plus jeunes à la nécessité de s'intéresser à de nombreuses disciplines © Alain Herzog
Expérience grand public
À Malley, les écoliers et le grand public vont pouvoir éprouver leurs capacités physiques grâce à une exposition interactive, installée sous un dôme de 300 m2. Cette exposition propose une réplique des activités mises à la disposition des athlètes complétées par des dispositifs de la Haute École de Sante Vaud, HESAV.
Les dômes des JOJ accueillent une exposition interactive © Alain Herzog 2020