«Les jeux vidéo sont devenus un enjeu culturel»

Selim Krichane, co-fondateur du GameLab © David Gentil

Selim Krichane, co-fondateur du GameLab © David Gentil

Le co-fondateur du GameLab UNIL-EPFL et chercheur au Collège des humanités de l’EPFL a mis toute son énergie à donner à la discipline ses lettres de noblesse académiques.

Jeux vidéo, jeux de cartes, jeux de plateau : Selim Krichane a goûté à tout depuis qu’il sait marcher. Une passion d’enfance devenue objet d’étude et de recherche jusqu’à dessiner la ligne directrice de sa carrière professionnelle. Le co-fondateur du GameLab participe à démystifier le discours autour des jeux vidéo et de ses usages, à l’analyser dans un contexte socioculturel en pleine transformation et surtout à lui donner une légitimité académique.

C’est pourquoi les dernières récompenses des Swiss Game Awards organisés par l’association faîtière des concepteurs de jeux vidéo résonnent comme une magnifique victoire et une reconnaissance de la normalisation de la pratique. «Lausanne 1830», l’un des jeux à portée pédagogique développés au sein du GameLab a décroché l’or dans la catégorie «Jeu sérieux» le 11 novembre 2022.

Jeu pédagogique primé

«Lausanne 1830» est le résultat d’un appel à projet initié par le Collège des humanités (CDH). Mis en ligne en juin après une année de travail, il invite les élèves vaudois à explorer la capitale du canton au début du XIXe à travers des archives historiques numérisées. Sa conception a réuni le savoir-faire d’étudiantes et étudiants, de scientifiques et d’un studio indépendant de développement de jeu vidéo. «La prochaine étape sera de le promouvoir auprès des 12 à 15 ans», ajoute le chercheur.

Enfant de Chardonne, Selim Krichane a suivi ses parents en Malaisie de 9 à 18 ans. En Asie, l’accès généralisé aux jeux vidéo élargit rapidement son horizon avec notamment l’arrivée des jeux en ligne et la nouveauté de l’époque, la console PlayStation. Il apprend l’anglais presque malgré lui grâce au jeu de cartes à collectionner «Magic», uniquement disponible dans la langue de Shakespeare et qui occupe une bonne partie de son temps libre. «D’un point de vue sociologique, ma pratique diversifiée est celle d’un joueur banal avec un pic à l’adolescence puis une baisse d’intensité à l’entrée de l’âge adulte», observe-t-il.

Évolution des mentalités

Avant de participer activement à la démocratisation des jeux vidéo dans l’espace public et académique, Selim Krichane a choisi la voie du cinéma avec l’obtention d’un Master à l’Université de Lausanne (UNIL). À l’heure d’entamer un doctorat en 2010, il convainc son professeur d’accepter un sujet de recherche qui analyse les interactions entre jeu vidéo et cinéma. Ce nouveau champ d’investigation nourrit sa conviction d’une lecture plurielle de la discipline et de ses multiples débouchés.

Ces 10 dernières années, l’évolution des mentalités a grandi en parallèle des études académiques dans le domaine des «game studies». «Les jeux vidéo ont vécu un long processus de légitimation qui est toujours en cours. Ils sont devenus un enjeu culturel. En témoignent, par exemple, leur entrée au Musée d’art moderne (MoMA) de New York en 2012 ou à la Maison d’Ailleurs à Yverdon dans l’exposition «Play Time» la même année». L’arrivée de soutiens financiers publics a également renforcé leur reconnaissance avec, entre autres, le déploiement de la médiation culturelle. Et d’un point de vue médiatique, le chercheur souligne que le discours s’est élargi bien au-delà des problèmes d’addiction et de violence.

C’est dans ce contexte en pleine ébullition que Selim Krichane et trois autres chercheurs de l’Université de Lausanne ont fondé le groupe d’étude du GameLab en 2016, avec l’envie de placer les jeux vidéo dans le cadre des sciences humaines. Trois ans plus tard, le scientifique a rejoint le CDH pour développer une offre de cours interdisciplinaire entre l’UNIL et l’EPFL et continuer ses recherches. Le GameLab, baptisé UNIL-EPFL depuis 2020, réunit toujours des passionnées et passionnés qui travaillent sur des projets de recherche et des jeux à visée pédagogique, à l’image de «Lausanne 1830». Désormais, la relève est assurée par une nouvelle génération de chercheuses et chercheurs formés aux «game studies», grâce à l’offre de cours UNIL et EPFL qui s’est développée ces dernières années.

Selim Krichane, lui, a décidé de continuer à explorer la discipline sous un nouveau jour en endossant le costume de directeur du Musée suisse du Jeu à La Tour-de-Peilz dès avril prochain. «Une magnifique opportunité avec un grand potentiel de développement», se réjouit-il.