«Les étudiants ont de nombreux a priori sur la finance»
On ne surprendra jamais Julien Hugonnier en train de postuler pour un job dans une banque. C’est à l’EPFL que l’enseignant estime pouvoir mettre le mieux à profit sa passion pour la finance et les maths. Ce qui ne l’empêche pas de rester connecté à la réalité de terrain, notamment grâce à ses étudiants.
Durant sa thèse de doctorat, Julien Hugonnier travaillait dans une salle de marché. Son intérêt pour ce job d’étudiant plutôt bien rémunéré n’a pas duré. «C’était trop répétitif», confie le professeur ordinaire de finance à l’EPFL. «D’ailleurs, j’ai toujours su que je ne travaillerais jamais dans une banque ou une institution financière», poursuit celui qui a été désigné en 2023 meilleur enseignant de la section d’ingénierie financière.
A l’EPFL, où il est professeur depuis 2009, Julien Hugonnier se sent parfaitement bien. Il faut dire qu’il a la bosse des maths et qu’une haute école dont les étudiants «sont prêts à jongler avec des concepts très techniques, voire sont heureux de le faire», lui va comme un gant. «Une bonne partie de la finance moderne, notamment l’étude des produits dérivés, repose sur des méthodes quantitatives, ce qui implique une parfaite maîtrise des outils mathématiques.» Après ses études de finance à l’Université Paris 1, le Franco-Suisse s’est d’ailleurs lancé dans un postdoc en mathématiques à la Carnegie Mellon University de Pittsburgh.
La finance est partout
«Pour moi, intégrer l’EPFL était assez naturel», résume le professeur, qui a auparavant évolué au sein de la HEC Montréal (2002-2004) et de l’Université de Lausanne (2004-2009). «Vu le niveau de mathématiques des étudiants, j’ai l’impression qu’ici, on peut aller plus vite au fond des choses». Aller au fond des choses, c’est justement l’une des caractéristiques de l’enseignement de ce spécialiste de l’évaluation des actifs financiers et de l’équilibre général. «Lorsque j’étais étudiant, je préférais que mes profs abordent peu de matière mais de façon complète; logiquement, c’est ainsi que je conçois mes propres cours.» Il poursuit: «Plus tard, lorsqu’on fait de la recherche, avoir des bases solides est la clé du succès.» Dans le même ordre d’idée, Julien Hugonnier a rayé de son vocabulaire d’enseignant le terme «vulgarisation» qui, selon lui, n’a pas sa place dans une école technique. «Cela ne fait pas de moi un professeur complètement rébarbatif; je fais même des blagues», plaisante-t-il.
Littéralement biberonné aux chiffres – «mon grand-père était agent de change et mon père professeur d’économie» -, il continue de s’étonner du fait que contrairement à lui, de nombreux jeunes qui franchissent la porte de sa salle de cours pour la première fois n’ont, à ce stade de leur vie, pas d’idée très précise de ce qu’est la finance. «Je fais référence ici aux élèves de bachelor, qui débarquent avec de nombreux a priori.» S’ensuivent des discussions hautes en couleur. «J’adore ça!», précise le professeur de finance. Commence alors pour lui la délicate tâche de faire comprendre à son auditoire que «la finance est partout dans la vie, qu’on ne peut pas artificiellement l’isoler de tout le reste».
Changement de point de vue
L’enseignement, cela fait plus de vingt ans que le professeur s’y frotte, lui qui a assumé une charge de cours dès sa première année de doctorat au début des années 2000. «J’aime particulièrement le changement de point de vue auquel me donne accès mon rôle d’enseignant; par ricochet, ces nouvelles perspectives nourrissent ma recherche.» Autre avantage? «Enseigner, c’est se remettre constamment en question; il y a toujours une incertitude lorsqu’on se rend en cours, ce qui oblige à être complètement au point avec la matière à transmettre.» Last but not least, «les étudiants constituent mon interface avec le terrain». En effet, chaque personne inscrite au master en ingénierie financière doit effectuer un stage en entreprise.
Depuis plusieurs mois, même lorsqu’il n’est pas dans sa salle de cours, Julien Hugonnier consacre une bonne partie de son temps à l’enseignement. En collaboration avec Pierre Oliver Weill (UCLA) et Benjamin Lester (Philadelphia Fed), il termine un manuel destiné aux étudiants de niveau doctoral et portant sur les marchés décentralisés. C’est-à-dire les marchés dans lesquels les transactions sont négociées de gré à gré entre investisseurs plutôt que par l’intermédiaire d’une institution centrale. «Il s’agit de l’un de mes principaux sujets de recherche; j’aime particulièrement le fait que ce formalisme permet de structurer de façon claire d’où viennent les prix.»
Il ne s’agit pas d’une thématique nouvelle, note le chercheur, «mais elle a connu d’importantes évolutions ces vingt dernières années. Ce formalisme a d’abord été développé pour l’analyse du marché du travail; il a ensuite été adapté à l’étude des marchés financiers décentralisés.» Le but du livre - qui s’intitule «The economics of over the counter markets» - est de «résumer et d’unifier les résultats obtenus dans ce domaine». L’ouvrage devrait être publié à l’automne 2024 par Princeton University Press.