«Les conseils d'un ‘vieux' prof ne font pas toujours mouche»
Lorsqu’il a coiffé pour la première fois sa casquette de professeur, Viesturs Simanis a perdu la moitié de son auditoire en dix minutes. Quelque quinze ans plus tard, le voilà couronné meilleur enseignant 2022 de la section des sciences de la vie de l’EPFL. Sa botte secrète? Les étudiantes et les étudiants!
Formellement, Viesturs Simanis n’a commencé à enseigner qu’en 2006, lorsque l’Institut suisse de recherche expérimentale sur le cancer (ISREC), pour lequel il travaillait, a intégré l’EPFL. Mais dans les faits, ce professeur associé à la section des sciences de la vie a plus de 30 ans d’expérience de l’enseignement au compteur. «J’ai rejoint l’ISREC (ndlr: qui, à l’époque, était une structure entièrement dédiée à la recherche) en 1989 en tant que chef d’équipe; or, enseigner fait partie intégrante du rôle d’un chef d’équipe.»
«De frais diplômés débarquaient dans le laboratoire, parfois sans aucune expérience pratique, et il fallait les initier aux sciences expérimentales; ce qui m’a beaucoup aidé, c’est que je me retrouvais en eux, moi qui étais loin d’un étudiant modèle en laboratoire». Et cela «m’a inspiré d’autant plus de respect pour mes mentors de l’époque, mon directeur de thèse David Lane en tête».
Le docteur en biochimie l’avoue avec cette touche d’humour si typiquement britannique: malgré toutes ces années de préparation, le grand saut dans le «vrai» enseignement, en 2006, n’a été couronné que d’un succès mitigé. «Au début, le style du cours dont j’étais co-responsable impliquait de suivre religieusement un manuel, ce qui faisait de moi une espèce d’audioguide sur pattes.» Constatant qu’il perdait près de la moitié des quelque 200 participantes et participants en moins de 10 minutes, Viesturs Simanis a retroussé ses manches.
Recruter quelques bons élèves
«J’ai commencé par consulter le service spécialisé dans le conseil aux enseignants et à m’appuyer sur l’expérience d’autres professeurs de l’EPFL», se souvient-il. Rapidement, il a réalisé que la meilleure source d’amélioration se situait ailleurs, du côté des étudiantes et des étudiants. «Lorsqu’on prépare son cours, avec soi-même pour seul auditoire, on a l’impression que son message est clair et précis; mais quand on le met à l’épreuve des étudiants, c’est une autre histoire…» Ce diplômé de la London University et de l’Imperial College, dont le travail de thèse a porté sur le virus SV40, a alors décidé de placer les feedbacks des élèves au centre de son enseignement. Une technique à laquelle il est fidèle depuis plus de quinze ans.
«Chaque cohorte d’étudiants est différente et la dynamique de classe varie d’une année à l’autre», précise-t-il. Soucieux de bien cerner les besoins de son auditoire, Viesturs Simanis contacte activement les représentantes et représentants de la classe et leur demande de lui soumettre régulièrement leurs commentaires. «Cela me permet d’affiner mon enseignement, surtout au début du semestre.» Reste que dans le cas du cours de biologie générale, dont il est responsable depuis 2019, la matière demeure relativement intimidante pour bon nombre des quelque 180 jeunes scientifiques de première année qui le suivent. «Il faut dire que nous devons introduire toute une série de concepts biologiques en l’espace de 14 semaines seulement».
Ce spécialiste du contrôle de la division cellulaire, qui a fait ses études postdoctorales au Cancer Research UK dans l’équipe du professeur Paul Nurse, en est bien conscient: «Les conseils d’un ‘vieux’ prof qui ne s’est pas retrouvé du mauvais côté d’un examen depuis plus de 35 ans ne font pas toujours mouche auprès des étudiants». D’où son idée de «recruter quelques bons élèves des volées précédentes en tant qu’assistants pour les exercices». Ces derniers constituent des modèles d’autant plus inspirants pour les nouveaux «qu’ils sont la preuve vivante qu’on peut survivre à ce cours!», lâche en riant Viesturs Simanis.
Il y a d’autres choses dans la vie
Interrogé sur son style d’enseignement, il marque un temps d’arrêt avant de répondre. «Même si en soit, la matière peut paraître compliquée, j’essaie de rester simple, d’expliquer aux étudiants quels sont les principes régulateurs qu’ils rencontreront de façon récurrente par la suite; je prends quelques exemples, le métabolisme, la communication cellulaire ou encore le contrôle de la division cellulaire, puis j’illustre comment des mécanismes biologiques basiques les régulent.» Et d’ajouter, les yeux pétillants: «Les motifs régulateurs sont souvent élégants; j’espère qu’il est aussi fun pour les étudiants de les comprendre que pour moi de les faire comprendre!»
La seule ombre qui ternit l’enthousiasme du professeur, c’est un soupçon de mauvaise conscience vis-à-vis des membres de son laboratoire. «En période de cours, je suis moins disponible pour eux que je ne le souhaiterais en raison de ma charge d’enseignement; je leur suis d’ailleurs très reconnaissant pour leur compréhension.» Bientôt, la question sera réglée, étant donné que la retraite approche à grands pas pour Viesturs Simanis. Lui qui est si motivé, n’aurait-il pas envie de rester dix ans de plus à l’EPFL? «Je pense que dans les professions scientifiques, comme dans toutes les autres d’ailleurs, il faut savoir s’arrêter au bon moment, se reposer.» Il ajoute sur un ton enjoué: «Et puis il y a d’autres choses dans la vie que les sciences: le jardinage, la marche, le ski de fond, les randonnées à raquettes, le vélo, la cuisine, la photographie, etc.»
Se reposer, vraiment?