Les composés acides aident à combattre les virus transmis par l'air

Suspensions de particules liquides à haut pouvoir de dispersion. © iStock Photos

Suspensions de particules liquides à haut pouvoir de dispersion. © iStock Photos

Une étude menée par plusieurs hautes écoles suisses, dont l'EPFL, démontre que les aérosols respiratoires émis dans l’air d’une pièce peuvent présenter différents niveaux d’acidité. Or, leur pH détermine le laps de temps pendant lequel les virus qu’ils contiennent restent infectieux dans l’air. Ceci a des conséquences considérables sur la transmission des virus, notamment de la grippe et du Covid, ainsi que sur les stratégies visant à les endiguer.

Les virus tels que le SARS-CoV-2 ou le virus de la grippe circulent d’un individu à un autre via les aérosols. Ces suspensions de particules liquides à haut pouvoir de dispersion sont émises dans l’air par toute personne contaminée lorsqu’elle tousse, éternue, ou tout simplement expire — et vont ensuite être inhalées par d’autres personnes.

Il est donc important d’aérer soigneusement les pièces et de filtrer l’air ambiant pour faire baisser la concentration d’aérosols dans les appartements, les bureaux ou les transports publics, et réduire ainsi les risques d’infection.

Particules en suspension

On ignore cependant combien de temps les virus peuvent rester infectieux dans les aérosols. Quelques études laissent entendre que l’humidité et la température de l’air pourraient jouer un rôle. Mais un autre facteur, encore sous-estimé à cet égard, est la composition chimique, et en particulier l’acidité, des aérosols expirés en interaction avec l’air ambiant. De nombreux virus, notamment celui de la grippe A, sont en effet sensibles au pH du milieu, et les aérosols peuvent absorber des acides volatils ainsi que d’autres composants de l’air ambiant, tels que l’acide acétique, l’acide nitrique ou l’ammoniac, ce qui influe sur le pH de ces aérosols.

L’impact de l’acidification des aérosols sur leur charge virale n’avait jusqu’à présent fait l’objet d’aucune étude.

C’est justement sur cette question que s’est penchée une équipe rassemblant des chercheuses et chercheurs de l’EPFL, l’ETH Zurich et de l’Université de Zurich. Dans une étude, cette équipe présente pour la première fois le comportement, dans différentes conditions ambiantes, du pH des aérosols durant le laps de temps qui suit l’expiration, laps de temps allant de quelques secondes à plusieurs heures. Elle a également montré les effets de ce phénomène sur les virus que ces particules transportent. L’étude en question vient tout juste de paraître dans la revue Environmental Science & Technology.

Rapide acidification des petites particules

Selon l’équipe de recherche, les particules expirées s’acidifient plus rapidement qu’attendu. Cette rapidité dépend d’une part de la taille des particules elles-mêmes et d’autre part de la concentration de molécules acides dans l’air ambiant. Dans l’air que l’on trouve typiquement à l’intérieur des habitations, des particules de quelques micromètres issues de mucus nasal, ainsi que de liquide pulmonaire synthétisé spécialement pour l’étude, affichaient au bout de 100 secondes environ un pH de 4, ce qui correspond à peu près à l’acidité du jus d’orange.

L’acidité d’une solution est mesurée par le pH: une solution neutre affiche un pH de 7, le pH d’une solution acide est inférieur à 7 et celui d’une solution basique supérieur à ce chiffre.

Selon l’équipe de recherche, le principal responsable de l’acidification des aérosols serait l’acide nitrique qui pénètre dans les espaces intérieurs lors de leur aération ou via l’aspiration d’air extérieur par des systèmes de ventilation. L’acide nitrique résulte de la dégradation des oxydes d’azote (NOx), principalement émis via les gaz d’échappement des moteurs diesel et des installations de chauffage domestique suite aux processus de combustion. Les villes et les agglomérations produisent donc en permanence des oxydes d’azote et, par conséquent, également de l’acide nitrique.

L’acide nitrique adhère rapidement à la surface des meubles, des habits, de la peau — mais aussi aux minuscules particules que nous expirons. Celles-ci, en absorbant les molécules acides, s’acidifient à leur tour, ce qui fait baisser leur pH.

En respirant, en parlant, en éternuant ou en toussant, nous émettons de minuscules particules d'aérosol –composées de mucus et de salive – qui contiennent des virus. Ces particules d'aérosol peuvent perdre une grande partie de leur eau par évaporation et absorber des composés acides de l'air ambiant, ce qui, selon le type de virus, peut rapidement réduire leur infectiosité. © iStock Photos

Rôle important du pH des aérosols

L’équipe de recherche a également démontré qu’un milieu acide avait une influence décisive sur la vitesse d’inactivation des virus contenus dans les particules de mucus. Les deux types de virus étudiés ont toutefois affiché des différences de sensibilité au pH: le SARS-CoV-2 est si résistant à l’acidité que les scientifiques ont tout d’abord cru à une erreur de mesure: les coronavirus n’ont été inactivés qu’à un pH inférieur à 2, donc dans un milieu comparable à du jus de citron non dilué (au moins 15,6% d’acide acétique) — des conditions qui ne sont pas atteintes dans un air intérieur typique. Les virus de la grippe A sont en revanche inactivés au bout d’une minute seulement dans un milieu présentant un pH de 4, une valeur atteinte en moins de deux minutes par les particules de mucus exhalées dans un environnement intérieur typique.

En additionnant le temps nécessaire à l’acidification des aérosols et celui nécessaire à l’inactivation des virus de la grippe à un pH inférieur ou égal à 4, on constate que 99% des virus de la grippe A contenus dans les aérosols sont inactivés en trois minutes environ, une rapidité qui a surpris l’équipe de recherche. Toutefois, la situation est tout autre pour le virus SARS-CoV-2: le pH des aérosols descendant rarement au-dessous de 3,5 dans les espaces intérieurs ordinaires, il faut compter plusieurs jours pour parvenir à l’inactivation de 99% des coronavirus.

L’étude a montré que dans un espace bien aéré, les virus de la grippe A contenus dans les aérosols étaient efficacement inactivés, et que les risques présentés par le SARS-CoV-2 pouvaient également être réduits. Par contre, dans les intérieurs mal aérés, le risque que les aérosols contiennent des virus actifs est 100 fois supérieur à celui existant dans des espaces bénéficiant d’une arrivée d’air frais conséquente.

C'est pourquoi les scientifiques conseillent de régulièrement aérer les espaces intérieurs, afin que l'air ambiant chargé de virus et les substances basiques comme l'ammoniac provenant des émissions des personnes et des activités intérieures soient transportés vers l'extérieur, tandis que les composants acides de l'air extérieur peuvent pénétrer dans les pièces en quantité suffisante.

Filtrer l’air élimine les molécules acides

Les simples climatiseurs usuels dotés de filtres à air font déjà baisser les quantités d’acides volatils contenus dans l’air. «Dans les musées, les bibliothèques ou les hôpitaux, la dégradation des molécules acides en suspension dans l’air à l’aide de filtres à charbon actif est vraisemblablement encore plus importante. Aussi existe-t-il dans ce type de bâtiments publics un risque relatif de transmission des virus de la grippe sensiblement plus élevé que dans des bâtiments ventilés avec de l’air extérieur non filtré», indique l’équipe de recherche dans son article.

Les chercheuses et chercheurs ont par conséquent imaginé la possibilité d’ajouter à l’air filtré de petites quantités d’acides volatils, de l’acide nitrique par exemple, et d’en retirer des substances basiques telles que l’ammoniac afin d’accélérer l’acidification des aérosols. Selon l’étude, une concentration de 50 ppb d’acide nitrique (50 parties par milliard d’air, soit 1/40e de la quantité autorisée pour 8 heures au poste de travail) permettrait une réduction mille fois supérieure des risques d’infection au coronavirus.

Vers un climat intérieur plus sain

Les membres de l’équipe de recherche ont cependant conscience qu’une telle mesure serait très controversée, car les conséquences de telles quantités d'acide ne sont pas claires. En effet, les musées comme les bibliothèques filtrent sévèrement leur air ambiant afin de protéger les œuvres d’art et les livres qu’ils contiennent. Les ingénieures et ingénieurs civils ne seraient pas plus enthousiastes, l’adjonction de substances acides risquant d’endommager les matériaux et les conduites.

Les chercheuses et les chercheurs sont donc conscients de la nécessité d’études à long terme pour évaluer les risques que de telles mesures pourraient engendrer, pour les personnes comme pour les constructions. La notion de l’efficacité des acides volatils en matière d’élimination des virus dans les aérosols pourrait par conséquent avoir des difficultés à s’imposer. Cependant, l’élimination de l’ammoniac, un composé émis par les êtres vivants et qui stabilise les virus en élevant le pH, ne devrait pas être controversée.

Coté EPFL, la recherche a été menée par Tamar Kohn, professeure associée, et Athanasios Nenes, professeur ordinaire. © Alain Herzog / 2020

Collaboration réussie

L’étude dont il est ici question est le résultat d’une collaboration interdisciplinaire de chercheuses et de chercheurs de l’EPFL, l’ETH Zurich et de l’Université de Zurich. Après des années de préparation, elle avait débuté en 2019, axée au début uniquement sur les virus de la grippe. Mais la pandémie de Covid-19 a amené l’équipe de recherche à élargir son projet à ce nouveau coronavirus.

L’étude du comportement respectif de ces deux virus en milieu acide a été réalisée par des chercheuses de l’Institut de virologie médicale de l’Université de Zurich sous la direction de Silke Stertz, aux côtés d’un groupe de leurs collègues du Laboratoire de chimie environnementale de l’EPFL dirigé par Tamar Kohn, également chargée de la direction générale du projet Sinergia. Elles ont étudié la sensibilité des virus de la grippe A et des coronavirus à différentes conditions de pH dans du liquide pulmonaire artificiel, ainsi que dans du mucus nasal et pulmonaire que les scientifiques avaient auparavant récolté à partir de cultures de cellules de mucus spécialement propagées pour ce projet.

Menés par Thomas Peter et Ulrich Krieger, les collaboratrices et collaborateurs de l’Institut de chimie atmosphérique ont étudié le comportement des particules de mucus à l’aide d’un piège à particules électrodynamique. Cet appareil leur a permis de «capter» et d’analyser sans contact des particules en suspension sur une durée de plusieurs jours à plusieurs semaines, par exemple pour savoir comment elles évoluaient en cas de modification de l’humidité de l’air.

Les simulations de modèles ont également été réalisées par le groupe Peter. La modélisation pourrait être un point faible de l’étude globale, car des analyses expérimentales supplémentaires seront encore nécessaires pour montrer comment les virus se comportent réellement dans des aérosols acides. Pour ce faire, une équipe de recherche menée par Athanasios Nenes, qui a initialement suggéré que l’acidité pouvait être un important facteur modulant la transmission des virus par les aérosols, développe actuellement à l’EPFL des techniques expérimentales qui permettront à l’avenir de réaliser des expériences non seulement dans des conditions de biosécurité strictes, mais aussi dans différentes compositions d’air ambiant.

Charge virale dans l’air pour les virus de la grippe A (à gauche) et SARS-CoV-2 (à droite) en fonction des volumes d’arrivée d’air frais dans différentes compositions d’air en matière de concentration d’acide nitrique (HNO3) et d’ammoniac (NH3). Les calculs se rapportent à une pièce (20 °C, 50 % d’humidité relative) ventilée avec un volume plus ou moins conséquent d’air frais (faible = 0,1, moyen = 2, fort = 10 renouvellements de l’air par heure), contenant une personne malade par 10 m3. (Graphique: Thomas Peter, ETH Zurich)

Financement

Fonds National Suisse: Bourse Sinergia.