« Les biologistes ont enfin pu voir en direct ce qu'ils étudient »

© 2023 Alain Herzog

© 2023 Alain Herzog

Avec Nanolive, spin-off de l’EPFL, Yann Cotte développe depuis 10 ans un microscope qui permet d’observer l’intérieur des cellules en direct, utile notamment dans la recherche de nouveaux médicaments. Il vient d’inaugurer une antenne aux États-Unis, avec en ligne de mire une entrée en bourse.

La première plongée au cœur de la plus petite unité du vivant assure son lot d’émotions. Magnifiés par des contrastes colorés, le travail des organites, l’apoptose - dernier sursaut de cellules en fin de vie - ou encore l’observation de cellules T repérant et détruisant des cellules cancéreuses, offrent un spectacle fascinant. Source d’émerveillement pour le grand public, ces images constituent une mine d’informations auparavant inaccessibles pour les chercheuses et les chercheurs. Les images fournies par ce microscope font d’ailleurs figure de petite révolution en 2012, lorsque Yann Cotte, qui vient d’obtenir son doctorat en physique, le présente dans un article paru dans la prestigieuse revue Nature. Destiné au départ à démontrer le concept sur la caractérisation des matériaux, le prototype intéresse autant qu’il intrigue. Pour la première fois, holographie et balayage laser coexistent dans un même appareil pour offrir une image 3D nette en dessous du seuil de résolution.

Des matériaux à la biologie grâce à une rencontre fortuite

Au début des années 2010, Yann Cotte développe durant son doctorat à l’EPFL le principe sur lequel fonctionne l’appareil, ainsi que le premier prototype de laboratoire avec Fatih Toy, également doctorant et actuellement professeur assistant à la Biomedical Engineering at Medipol University en Turquie. Leur innovation réside notamment dans la mise au point d’un système de calibrage sous la forme d’une mince couche d’aluminium percée de trous nanoscopiques. Les hologrammes sont assemblés et traités par des algorithmes afin d’en reconstruire les images 3D. Ces dernières peuvent ensuite être virtuellement découpées en tranche à la manière d’un scanner afin de faire apparaitre les éléments souhaités. « J’en étais très fier », se souvient le CEO avec nostalgie.

Certaines innovations très prometteuses en laboratoire n’en franchissent pourtant pas la porte faute de trouver leur application. D’autres traversent une longue période de tâtonnement. Pour Yann Cotte, le hasard d’une rencontre et son intuition ont donné le cap. Au cours du processus de relecture par les pairs de leur publication dans Nature, un professeur de la Johns Hopkins University lui demande si ce dispositif destiné à démontrer le principe sur les matériaux pourrait s’appliquer aux neurones. Le futur entrepreneur acquiesce. De retour en Suisse, il s’empresse de préparer quelques échantillons et calibrer son appareil. Les données prennent encore plusieurs heures à être obtenues, l’appareil est rudimentaire, mais les chercheuses et chercheurs en biologie voient pour la première fois, sans produit de contraste ni fluorophore, leur objet d’étude en direct dans son milieu naturel. Le professeur et ses collègues ne cachent pas leur enthousiasme. Avant même la sortie du laboratoire, Yann Cotte bifurque donc des photons à la biologie. « Ces commentaires très positifs ont été un virage décisif pour la création de la start-up », souligne le physicien qui prend à ce moment-là conscience du réel potentiel de son innovation.

Immuno-oncologie, découverte de nouveaux médicaments, médecine personnalisée… « Il a fallu de nombreuses discussions avec des chercheurs en biologie, en pharmacie ou encore en médecine, pour affiner les applications et déterminer les prochaines étapes », se souvient-il. Des logiciels doivent également être développés pour automatiser la reconnaissance des éléments ciblés, les quantifier et les comparer. Une version de l’appareil permet d’ailleurs le screening, c’est-à-dire l’observation de plusieurs dizaines d’échantillons en parallèle, l’enregistrement de leurs réactions à divers stimuli, tels que l’ajout de médicament et la comparaison de ces réactions à travers le temps.

J’ai beaucoup de respect pour n’importe quel entrepreneur. Ces périodes où on cherche à accroitre notre capital engendrent beaucoup de stress et d’implication personnelle.

Yann Cotte, CEO Nanolive

« Nous savions depuis le début que ce serait une histoire à long terme »

Par définition, une start-up est une entreprise à fort potentiel. C’est avec cette idée en tête que Yann Cotte a franchi les différentes étapes. En écoutant l’entrepreneur à l’enthousiasme et au sourire communicatifs, on aurait presque l’impression qu’amener une jeune pousse à ce stade de croissance et passer du métier de chercheur à celui de patron est une sinécure. « Nous y allons étape par étape, concède-t-il. Nous savions depuis le début que ce serait une histoire à long terme et nous n’avons encore fait qu’une partie du parcours ».

Lorsqu’on évoque l’épineuse question des levées de fonds, Yann Cotte admet qu’elles sont « toujours difficiles ». Nanolive en a obtenu trois importantes depuis sa création, dont 20 millions de capital risque en 2022, en plus des fonds de démarrage engrangés au détour des divers programmes et concours de la scène des start-up suisses. « J’ai beaucoup de respect pour n’importe quel entrepreneur. Ces périodes où on cherche à accroitre notre capital engendrent beaucoup de stress et d’implication personnelle. » Il avoue cependant avoir bien involontairement bénéficié d’un concours de circonstances puisque c’est durant le confinement lié au Covid qu’il commence à discuter avec de potentiels investisseurs. « L’intérêt pour le domaine de la santé était particulier à ce moment-là. Nos dispositifs parlaient aux gens. La période actuelle, en raison de la politique mondiale, est certainement beaucoup plus difficile pour l’obtention de fonds », estime-t-il.

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Objectif : entrée en bourse

L’entreprise d’une septantaine d’employés, qui fête ses dix ans cette année - elle n’en comptait que 45 en 2021 - vient d’ouvrir une antenne aux États-Unis. Mais l’entrepreneur ne s’en cache pas : son objectif est une entrée en bourse. « Notre implantation à Boston est bien loin d’être une garantie pour une IPO, mais elle nous permet non seulement d’être proches de ce vaste marché et de pouvoir être très réactifs avec les clients, mais aussi de nous imprégner de la culture américaine ».

Développer une innovation du laboratoire au marché, c’est emmagasiner une vaste palette de compétences et pratiquer autant de métiers. Quel est donc le secret de Yann Cotte pour slalomer à travers les écueils qui guettent toute jeune spin-off avec cette apparente facilité ? Son émerveillement devant la vaste palette d’application de son innovation semble en être un. Lorsqu’il mentionne cet intérêt, ce n’est pas un argument commercial, mais un étonnement sincère devant « ce que les clients font avec nos microscopes, les recherches qu’ils mènent et les résultats qu’ils obtiennent ». Un conseil pour les entrepreneuses et entrepreneurs qui démarrent ? « Ils vont forcément commettre des erreurs, alors l’idée est de les faire vite parce que s’il y a un problème, les conséquences seront moins lourdes ».



Images à télécharger

Yann Cotte et un microscope développé par sa start-up, Nanolive© 2023 Alain Herzog
Yann Cotte et un microscope développé par sa start-up, Nanolive© 2023 Alain Herzog

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