Les bactéries marchent (un peu) comme nous

Une séquence de mouvements des pili à la base de la motilité par rétraction (twitching). (Crédit : Laura Persat)

Une séquence de mouvements des pili à la base de la motilité par rétraction (twitching). (Crédit : Laura Persat)

Des biophysiciens de l’EPFL sont parvenus à étudier directement la façon dont les bactéries se déplacent sur des surfaces, révélant un processus moléculaire qui rappelle les réflexes moteurs.

Les bactéries sont-elles maîtresses de leurs déplacements comme nous? La question peut paraître étrange, mais elle est fondamentale. Comprendre la motilité des bactéries nous permettrait non seulement de mieux appréhender leur comportement, mais nous aiderait aussi à combattre certains agents pathogènes virulents. Toutefois, cette question est restée sans réponse parce que les microbiologistes ne possédaient pas jusque-là les outils pour visualiser directement les filaments bactériens.

Lorenzo Talà, doctorant au sein du laboratoire d’Alexandre Persat (instituts de bioingénierie et de recherche en infectiologie de l’EPFL), a mis au point une méthode de microscopie permettant d’observer directement les structures qu’utilisent de nombreuses bactéries pour se déplacer.

«Les surfaces bactériennes sont garnies de filaments de protéines impliqués dans leur motilité, leur adhérence, les signaux qu’elles envoient et leur pathogénicité. En fin de compte, ils déterminent comment les bactéries interagissent avec leur environnement, explique Lorenzo Talà. Toutefois, ils sont si petits qu’il est extrêmement compliqué de les observer dans des cellules vivantes. Nous ne possédons dès lors que des connaissances élémentaires de leurs mouvements.»

Cette constatation s’applique en particulier à des structures nommées «pili de type IV», des filaments d’une largeur de l’ordre du nanomètre, fixés à la surface de nombreuses bactéries, qui se déploient et se contractent pour les aider à se mouvoir par rétraction (twitching motility). Ce phénomène active mécaniquement la virulence de certains agents pathogènes. Il s’agit donc d’une cible privilégiée pour les combattre.

Anatomie d'une bactérie, les pili recouvrant sa surface (crédit : jack0m/iStockphoto)

Les scientifiques ont étudié la bactérie Pseudomonas aeruginosa, un agent pathogène opportuniste que l’on trouve généralement dans les sols. C’est une des bactéries les plus préoccupantes sur le plan médical: principale cause d’infections nosocomiales et d’infections graves chez les personnes souffrant de mucoviscidose, les victimes de brûlures et les patients immunodéprimés, elle figure au premier rang de la liste des bactéries résistantes aux antibiotiques établie par l’Organisation mondiale de la santé.

Mais est-ce que des bactéries isolées organisent les mouvements des pili de type IV pour contrôler leur propre motilité? «Dans nos études sur les pili de type IV et l’activation mécanique de la virulence chez Pseudomonas aeruginosa, nous avons été confrontés à un paradoxe technique frustrant: des pili ainsi que des fimbriae, des flagelles et des systèmes de sécrétion se déploient en permanence hors des cellules. Pourquoi donc ne pouvons-nous pas les visualiser?» demande Talà.

Pour surmonter ce problème, les scientifiques se sont penchés sur une nouvelle méthode de microscopie inventée par leur confrère Philipp Kukura, de l’Université d’Oxford. En utilisant une technique appelée interferometric scattering microscopy (iSCAT, «microscopie interférométrique à diffusion»), ils sont parvenus à voir ces filaments larges de quelques nanomètres dans des cellules vivantes, sans marqueur chimique, à haute vitesse et en trois dimensions.

«L’iSCAT constitue une avancée technologique majeure en microbiologie, souligne Alexandre Persat. Nous avons récemment décrit cette technique de visualisation et avons reçu de nombreux retours positifs de la part de scientifiques de diverses disciplines, simplement parce que nous sommes finalement parvenus à observer de façon dynamique des pili de bactéries vivantes issues directement d’une culture.»

Pour comprendre la coordination des mouvements des pili de type IV, les scientifiques se sont attachés à chronométrer précisément à l’aide de l’iSCAT les phases d’accrochage à une surface, de rétraction du pilus et de déplacement du corps cellulaire. Cette approche a révélé trois phases clés qui aboutissent à un mouvement efficace sur le plan énergétique à travers des surfaces.

D’abord, le contact de l’extrémité du pilus avec la surface active un moteur moléculaire qui amorce la rétraction. Ensuite, cette rétraction améliore la fixation du pilus sur la surface, accélérant le déplacement de la bactérie. Et enfin, un second moteur moléculaire, plus puissant, renforce le déplacement de la bactérie exposée à un frottement élevé.

Cette séquence montre que les pili agissent comme des capteurs et révèle un nouveau mécanisme d’interaction des bactéries avec les surfaces. Elle indique également que, pour coordonner les mouvements dynamiques de leur système de motilité, les bactéries utilisent des mécanismes sensoriels étonnamment analogues à ceux auxquels des organismes plus évolués, notamment l’homme, ont recours pour bouger leurs membres et se déplacer.

«Le système nerveux central de l’humain traite des signaux mécanosensibles pour mobiliser successivement des éléments moteurs, déclenchant ainsi la contraction des muscles et entraînant le mouvement, explique Lorenzo Talà. Notre travail montre que, d’une manière similaire, les bactéries utilisent un sens tactile pour mobiliser successivement des moteurs moléculaires, produisant des cycles d’extension et de rétraction des pili qui aboutissent à une forme de marche.»

Autres contributeurs

Université d’Oxford

Financement

Fonds national suisse de la recherche scientifique, Fondation Gabriella Giorgi-Cavaglieri

Références

Lorenzo Tala, Adam Fineberg, Philipp Kukura, Alexandre Persat. Pseudomonas aeruginosa orchestrates twitching motility by sequential control of 1 type IV pili movements. Nature Microbiology 25 février 2019. DOI: 10.1038/s41564-019-0378-9