Les Archives de la construction moderne pour la culture du bâti

La salle de lecture des Acm © 2023 EPFL

La salle de lecture des Acm © 2023 EPFL

En 2016, les Archives de la construction moderne (Acm) de l’EPFL recevait la Distinction vaudoise du patrimoine. Créée en 1988, cette institution est essentielle pour documenter notre patrimoine bâti de la fin du XIXe et du XXe siècle. La section vaudoise de Patrimoine suisse a recemment demandé à Salvatore Aprea, directeur des Acm, de présenter le travail effectué ces six dernières années par son équipe, qui a été confrontée à un déménagement de grande envergure ainsi qu’à une migration des données numériques, deux chantiers menés avec succès. Un article à ce sujet vient de paraître dans la revue de Patrimone Suisse Vaud. Le texte de l'article est reporté ci-dessous.

Au sein de l’EPFL, les Archives de la construction moderne (Acm) contribuent à préserver, à étudier et à mettre en valeur la culture du bâti suisse. En trente-cinq ans d’existence, les Acm ont développé une très grande collection d’archives patrimoniales qui a été reconnue par la Confédération suisse comme bien culturel d’importance nationale. Innombrables sont désormais les recherches, les publications et les expositions qui comptent des documents des Acm parmi leurs sources, en Suisse et à l’étranger. Et riche est la production scientifique, de divulgation et d’enseignement assurée par les Acm elles-mêmes.

Puisqu’elles s’occupent d’archives d’origine privée dans un contexte académique, les Acm orientent leur organisation et leur mission en cohérence avec les activités fondamentales de l’institution à laquelle elles appartiennent, c’est-à-dire, la recherche, la formation et la divulgation scientifique pratiquées dans le contexte d’une école polytechnique fédérale à vocation internationale. Le respect des accords passés avec les donateurs des fonds, ainsi que l’observance des lois et des pratiques usuelles qui règlent la gestion et l’exploitation des documents d’archives, sont des aspects que les Acm doivent également prendre en compte dans leur organisation.

Évolution des infrastructures physiques et numériques

Des acteurs culturels comme les archives patrimoniales sont confrontés régulièrement au cours de leur existence à d’importants changements de leur infrastructure. Cela a été le cas des Acm également. Initialement situées à proximité de l’ancien siège de l’école d’architecture de l’EPFL, à l’avenue de Cour, puis à l’avenue des Bains à Lausanne, elles ont déménagé sur le campus de l’EPFL à Ecublens au début des années 2000. L’agrandissement considérable de la collection les a poussées à délocaliser une partie des dépôts des fonds et à développer une base de données informatisée accessible en ligne.

Mais le temps s’écoule vite dans notre époque du numérique et, à peine une vingtaine d’années plus tard, les Acm se sont attelées à une révision radicale de leur infrastructure qui a été divisée en deux catégories : physique et numérique. Concernant la première, il a été tout d’abord prévu de procéder à une relocalisation, impliquant un rapatriement partiel de certains fonds sur le campus et le rapprochement des autres grâce à la création d’un dépôt à Crissier. Ce projet a été développé en collaboration avec le décanat ENAC et les architectes et les ingénieurs de la Vice-présidence pour les infrastructures (VPO) de l'EPFL. De plus, d'éminents experts suisses en conservation d’archives et en physique du bâtiment ont été consultés. Le nouveau dépôt se compose d’un espace d’atelier et de deux grandes halles couvertes par deux impressionnantes voûtes minces de béton armé, représentant une surface totale d’environ 1 350 mètres carrés. Il s’agit d’une réaffectation de locaux dont l’adaptation a été conçue dans le but de réduire drastiquement la consommation énergétique en phase d’exploitation et de réaliser ainsi un dépôt d’archives au caractère durable, dans le respect des objectifs environnementaux poursuivis par l’EPFL. La structure du bâtiment et les données météorologiques de ces dix dernières années ont fait l’objet d’analyses, à partir desquelles les ingénieurs et les physiciens du bâtiment ont élaboré divers scénarios en matière de conditions thermo-hygrométriques futures. Suite à ces évaluations, il a été décidé d’isoler les locaux de l’intérieur et de les équiper d'une machine à ventilation douce et filtrage d'air, gérée par un logiciel développé expressément et capable, grâce à un système de détecteurs, d'exploiter au mieux les conditions thermo-hygrométriques naturelles.

Le nouveau dépôt réalisé et le déménagement des fonds d’archives et des maquettes accompli, les Acm et l’équipe de l'Enac et de la VPO se sont attaquées à la rénovation des locaux de consultation et de traitement des documents du siège des Acm sur le campus. Une nouvelle salle de lecture a été aménagée ; elle est équipée de quatre vastes postes de travail et d’un éclairage approprié.

Dans le domaine du numérique, les Acm ont développé trois outils aux services des chercheuses et des chercheurs : Morphé, Morphé+ et MorphéBook[1]. Le choix du terme Morphé renvoie à la forme – μορφή – et se veut une allusion au fait que l'archive contribue à façonner la représentation du passé par la conservation et l'organisation rationnelle de ses traces. Morphé est la plateforme des inventaires en ligne ; elle est basée sur le logiciel libre AtoM (Access to Memory) et contient la description hiérarchisée et progressivement enrichie de plusieurs milliers de documents. Morphé+ permet la consultation à distance de nombreuses archives choisies et présentées par ensembles cohérents (dossiers de plans, reportages photographiques, correspondance, etc.), afin d’offrir la possibilité d’une lecture sensée de certains sujets. Toutes les archives dont les inventaires ont été publiés sur Morphé (120 fonds à l’heure actuelle) sont accessibles en salle de consultation sur rendez-vous, à prendre en ligne via MorphéBook.

Expositions, publications et enseignement

Depuis quelques années, les Acm ont renoué avec la production d’activités culturelles et l’enseignement en renforçant la collaboration avec de nombreuses institutions locales, nationales et internationales afin de faire rayonner leurs archives et l’architecture dont elles sont un témoin privilégié. Ainsi, en 2018, a été réalisée l’exposition « Habiter la modernité. Villas du style international sur la Riviera vaudoise », qui, avec son livre-catalogue, a mis en évidence l’existence d’une petite constellation de villas modernes, et même avant-gardistes, au bord du lac Léman[2]. L’année suivante, l’exposition « La macchina delle meraviglie. L’arte del disegno nell’opera di Alberto Sartoris » a été présentée dans le contexte du premier festival de l’architecture de Rome en collaboration avec l’Ordre des architectes et l’Institut suisse. En 2021, les Acm, avec le gta Archiv de l’École polytechnique fédérale de Zurich, l’Archivio del Moderno de l’Università della Svizzera Italiana et le S AM Musée Suisse d'Architecture, ont inauguré l’exposition « Beton »[3] et publié le livre Concrete in Switzerland. Histories from the Recent Past[4]. La prochaine exposition emmènera les Acm à Côme, capitale du rationalisme italien, et rendra compte d’une recherche qui investigue et présente la relation professionnelle et amicale entre Alberto Sartoris et Giuseppe Terragni à une époque qui a été autant féconde pour l’architecture moderne qu’obscure du point de vue de l’histoire civile.

Les Acm dispensent aussi des enseignements au sein de la section d’architecture de la faculté ENAC : un cours d’histoire de l’architecture sur le thème de « La nouvelle architecture internationale en Suisse » et une unité d’enseignement intitulée « Architecture en crise » qui ambitionne d’être un incubateur d’idées pour les étudiantes et les étudiants qui devront développer des analyses historiques et des propositions face à des situations urbaines, environnementales ou culturelles problématiques.

Le futur de l’archive d’architecture

Les défis qui attendent encore les Acm sont importants. Comme toutes les institutions culturelles vouées à l’étude de l’histoire, elles sont prises entre l’impératif de sauvegarder les témoignages du passé, afin de les interroger, et la nécessité d’imaginer l’institution archivistique du futur. Cela peut sembler paradoxal que ce soit justement l’institution qui est souvent considérée comme la plus statique, close, parfois inutile et poussiéreuse qui doive, au contraire, toujours se mettre en question et rester en relation symbiotique avec la société civile et la communauté scientifique. L’archive ne doit jamais se renfermer sur elle-même dans une forteresse de nostalgie, mais contribuer à la gestion des processus d’évolution sociale et culturelle.

Comment peut-on imaginer l’archive d’architecture du futur ? Comment se positionnera-t-elle par rapport aux nouveaux bureaux d’architectes et d’ingénieurs qui sont de moins en moins l’expression d’un seul maître et de plus en plus celle de sociétés anonymes complexes qui se renouvellent régulièrement et surmontent ainsi les transitions générationnelles ? Et, par rapport à la conservation, la gestion et la pérennisation des documents numériques[5], que fera l’archive du futur ? Comment évolueront les contenus de l’archive, alors que les thèmes actuellement étudiés par les architectes, ingénieurs et professionnels de la construction touchent davantage aux questions environnementales qu’aux théories concernant la forme, la structure et la fonction ? Rendez-vous dans quelques années pour un nouveau point de la situation…

[1] Liens : https://morphe.epfl.ch ; https://morpheplus.epfl.ch ; https://morphebook.epfl.ch.

[2] Corseaux, L'Atelier de Grandi, 2018.

[3] S AM Bâle, 20 novembre 2021 – 24 avril 2022.

[4] Lausanne, EPFL Press, 2021.

[5] Par documents numériques on entend les documents qui sont produits comme fichiers numériques à la différence des documents numérisés à partir d’originaux papier.