«Les abus dans une institution, cela concerne tout le monde»

Emmanuel Noyer © Alain Herzog / EPFL 2023

Emmanuel Noyer © Alain Herzog / EPFL 2023

Emmanuel Noyer a été engagé au 1er mai 2023 comme Respect Compliance Officer afin de gérer les plaintes en matière de harcèlement, violences et discriminations. Son expérience chez Médecins Sans Frontières l’a armé pour ce nouveau rôle.

Les conflits, il connaît. Leur résolution aussi. Emmanuel Noyer est appelé à remplir une fonction de poids à l’EPFL : celle de Respect Compliance Officer, demandée par la Task Force Harcèlement pour apporter plus de professionnalisme à la gestion des plaintes en matière de harcèlement sexuel, mobbing, discriminations ou autres conduites pouvant entraîner des atteintes à la santé physique, mentale ou à la personnalité des personnes plaignantes.

Une année après la création du Trust and Support Network (TSN), qui vise à aligner les multiples instances d’aide et de soutien au sein de l’Ecole, le nouveau dispositif à plusieurs niveaux imaginé par la Task Force est ainsi au complet. Il s’accompagne de l’entrée en vigueur, ce 1er juin, de la nouvelle directive sur les risques psychosociaux (LEX 1.8.3), qui pose les bases du soutien aux personnes et de la gestion des plaintes ; à la même date, la révision de la directive sur le processus de lancement d’alerte (LEX 1.8.1) pour les personnes témoins de dysfonctionnements graves au sein de l’institution sera également effective.

Longue expérience

Spécialiste du droit humanitaire, lui-même issu d’une famille de juristes originaire des Pyrénées, Emmanuel Noyer a quitté Médecins Sans Frontières (MSF) au terme d'une carrière de plus de vingt ans à différents postes. Dans le dernier, il était responsable RH au siège genevois, où il a développé un système de gestion des abus et conflits interpersonnels sur le terrain, après d’autres fonctions dans les opérations d’urgence et plusieurs années en mission dans les zones de guerre - Afghanistan, Soudan du Nord et du Sud, Congo-Brazzaville et Congo-Kinshasa, Liberia, Ukraine, Timor oriental.

«A MSF, on travaille dans les pays les plus corrompus du monde, où la violence est quotidienne. Au départ, nous étions un peu aveugles. Or la violence ne s’arrête pas à l’entrée des structures de santé. Et comme d’autres institutions nous avons subi la vague #MeToo, ce qui a libéré la parole et créé un appel d’air.» Emmanuel Noyer raconte qu’il a alors obtenu des moyens conséquents pour fonder une équipe et agir sur plusieurs plans : prévention, sensibilisation, détection et gestion des cas, récolte et analyse de données.

«J’ai découvert qu’il y a peu de gens spécialisés. Nous avons dû nous former, créer nos propres règles et nos propres procédures, car le droit n’apporte pas de solutions concrètes sur ces problématiques. S’il y a un cas de menace de mort entre deux employés avec des statuts différents – expatrié et national – quelle loi s’applique ? En plus, dans les cas d’abus sexuels, les autorités locales ne vont pas nous aider, et la plupart du temps les femmes risquent la répudiation si elles avouent avoir subi une agression sexuelle.»

Ces difficultés ont poussé son unité à être créative pour trouver des moyens de s’adapter aux différents contextes culturels, avec des modules de prévention originaux, dans des centaines de langues, destinés à des publics parfois illettrés, pour lesquels ces questions sont souvent taboues, explique Emmanuel Noyer. Il a fallu également former les managers à accueillir les plaintes en préservant la confiance, ajoute-t-il, et développer des méthodes inédites de gestion des cas ainsi que des outils pertinents d’analyse de risques et de reporting interne et externe.

«Un des points que je retiens, et un des dangers, c’est que quand on crée ce genre d’unité, ça déresponsabilise le reste de l’institution, qui peut penser à tort avoir ainsi coché la case de la lutte contre les abus. Mais non, les abus, ça concerne tout le monde, du top management jusqu’aux personnes les plus vulnérables.»

Juste avant de quitter MSF, Emmanuel Noyer a vu un de ses derniers projets mis en œuvre en janvier dernier: une plateforme en ligne pour déposer plainte et gérer les cas, qui a elle aussi nécessité de trouver des solutions sur mesure.

MSF et EPFL : des points communs

Après une vie aussi trépidante, pourquoi l’EPFL ? «Pour mettre mes compétences au sein d’une grande institution, où je retrouve beaucoup de points communs avec MSF. Je pense avoir quelque chose à apporter, et puis il y a l’excitation de découvrir un monde inconnu. J’aime bien être fier de mon employeur, et en découvrant l’EPFL pendant le processus de recrutement, ma motivation a grandi.»

En découvrant l’EPFL pendant le processus de recrutement, ma motivation a grandi.

Emmanuel Noyer, Respect Compliance Officer

Ces points communs, quels sont-ils ? «Le travail sous stress, les deadlines, la complexité de l’organisation, la présence de différents statuts. Le fait que ce soit une création de poste, aussi. Il y a tout un historique et une culture académique à apprendre, et je m’attends à rencontrer ici aussi des situations complexes. Chez MSF, le personnel médical est là pour sauver des vies mais moins pour ses compétences managériales. Dans les labos, ici, avec le personnel académique, c’est peut-être pareil : il y a des succès, mais aussi des échecs, des égos…»

Le nouveau Respect Compliance Officer voit cependant une différence notable, à l’avantage de son nouvel employeur : «L’EPFL est plus avancé que MSF en matière de soutien: avec le Trust and Support Network, la Personne de confiance, le réseau associatif, qui est impressionnant, il y a davantage de moyens pour désescalader plutôt que d’arriver tout de suite à une plainte. Cette multitude de portes d’entrée peut paraître un peu confuse, mais c’est mieux, je pense, car si on n’a pas confiance dans une entité, on n’ira pas la voir et le problème restera.»

Amener du professionnalisme

Quant à son rôle à lui, il le comprend comme une instance de première analyse des plaintes pour proposer des solutions au comité du Respect Compliance Office (anciennement Cellule Respect), composé de personnes nommées par la direction. «Je veux amener du professionnalisme, mais je constate aussi que les gens prennent la problématique des abus à cœur. On ne part pas de zéro, même s’il y a des améliorations à faire, des procédures à clarifier, des fonctionnements à formaliser.»

On ne part pas de zéro, même s’il y a des améliorations à faire, des procédures à clarifier, des fonctionnements à formaliser.

Emmanuel Noyer, Respect Compliance Officer

«C’est normal qu’il y ait des problèmes, poursuit le responsable. C’est comme une ville, ici. Le pire, ce serait de se cacher, de ne pas voir les problèmes ou de les mettre sous la table. L’EPFL peut être fière de prendre très au sérieux les problématiques en matière de comportement, et de sa volonté au plus haut niveau de vouloir changer les choses pour avoir un environnement de travail et d’études respectueux.»

Il conclut sur cette réflexion : «Ce que j’ai appris comme expérience à MSF, c’est que quand il y a une plainte, c’est qu’il y a un problème. Peut-être que ce n’est pas un abus au sens strict, mais j’ai rarement vu de plainte malveillante ou émise pour se protéger. On doit donc recevoir les plaintes avec un maximum d’humanité, car on est face à des gens qui sont en souffrance. Il y a toujours un cas qui va sortir de la typologie des situations prévues, alors il faut aussi avoir de la flexibilité. Ce ne sont pas des moments faciles et ce n’est pas un travail où l’on peut satisfaire toutes les parties impliquées. Mais il faut se rappeler que même si ni la personne plaignante, ni la personne visée ne sont jamais vraiment contentes au bout du compte, il y a toujours des améliorations possibles.»