« Le respect des animaux est une valeur fondamentale pour moi »

© Mackenzie Mathis
La Société suisse pour l’étude des animaux de laboratoire a remis mercredi son Prix 2025 à la neuroscientifique Mackenzie Mathis, Professeure à l'EPFL, « pour sa contribution exceptionnelle à l’amélioration de la recherche animale ».
Professeure à la Faculté des sciences de la vie de l’EPFL, l’Américaine Mackenzie Mathis s’illustre depuis plusieurs années, en Suisse et à l’international, pour ses travaux en neurosciences. Pionnière de l’intégration de l’intelligence artificielle dans ce domaine, titulaire de la Chaire Fondation Bertarelli en neuroscience intégrative au Campus Biotech, elle a codéveloppé DeepLabCut, un outil open source qui permet un suivi automatisé et non invasif du comportement animal. Cette méthode d’analyse contribue à réduire le stress des animaux en expérience, et améliore la qualité des données utiles aux chercheuses et chercheurs en sciences comportementales. La Société suisse pour l’étude des animaux de laboratoire (SGV) lui a remis mercredi 3 décembre son Prix 2025 « pour sa contribution exceptionnelle à l’amélioration de la recherche animale » et son engagement pour les 3R, notion qui vise à réduire le nombre d’animaux utilisés, les remplacer par d’autres modèles si possible, et à raffiner les expériences pour minimiser leur stress ou leur douleur.
Comment vous êtes-vous lancée dans la recherche, et plus particulièrement dans les neurosciences?
Enfant, j'étais déjà fascinée par le monde naturel. Je voulais d’abord m’orienter vers la médecine, mais, après avoir travaillé dans une salle d'opération pendant mes études universitaires, puis dans un laboratoire de recherche à l'université de Columbia, j'ai réalisé l'importance de la recherche fondamentale. L'étude des motoneurones (neurones qui acheminent les ordres de motricité) dérivés de cellules souches m'a conduite à m'interroger sur le fonctionnement du système moteur. Pendant mon doctorat à Harvard, je me suis entièrement tournée vers les neurosciences systémiques, car je pensais que la compréhension des circuits et des comportements était la manière la plus utile de contribuer à la science.
Qu'est-ce qui vous a poussé à vous intéresser si tôt à l'IA et à créer un outil de suivi, DeepLabCut, aujourd’hui largement utilisé ?
La quantification précise du comportement me semblait être un obstacle majeur dans mes recherches sur la manière dont le cerveau génère le mouvement. Il m’est apparu clairement que le domaine de l'apprentissage profond, alors en pleine expansion, pourrait résoudre directement ce problème. Cela a conduit au développement de DeepLabCut, qui utilise l'apprentissage par transfert pour obtenir un suivi précis et sans marqueur, donc non invasif, des postures animales. Nous avons compris que cet outil pouvait changer la donne dans notre domaine en voyant à quel point il s'adaptait bien à toutes les vidéos et qu'il était possible pour n'importe quel utilisateur ou utilisatrice de personnaliser ses propres solutions. J'ai ainsi voulu m'assurer qu'il soit aussi facile d’utilisation que possible.
Pensez-vous que l'IA pourra étendre encore les possibilités pour vos recherches ?
Absolument. Dans mon laboratoire, nous avons développé un nouvel algorithme appelé CEBRA, qui nous aide à révéler des structures dans les données neuronales et comportementales qui, autrement, resteraient cachées. À mesure que les modèles d'IA deviennent plus puissants et plus interprétables, nous pouvons approfondir notre compréhension du contrôle moteur adaptatif, et potentiellement permettre la mise au point de nouvelles neuroprothèses, telles que les interfaces cerveau-machine.

Les neurosciences s'appuient encore largement sur les animaux, ces modèles sont-ils toujours adaptés à la compréhension du cerveau humain?
Les modèles animaux non humains restent essentiels pour étudier les circuits neuronaux et le comportement, mais nous devons reconnaître leurs limites. C'est pourquoi les outils de recherche qui améliorent la précision et réduisent le caractère invasif sont importants. Ils nous permettent de collecter des données plus riches à partir d'un nombre réduit d'animaux et d'améliorer la reproductibilité. Je considère l'IA comme un moyen de réduire la charge tout en continuant à progresser sur des questions fondamentales, qui éclairent en fin de compte la biologie humaine.
Votre travail vise également à améliorer le bien-être animal. D'où vous vient cette détermination?
J'ai grandi entourée d'animaux et je me suis toujours beaucoup souciée de leur bien-être. Ce contexte influence clairement la façon dont je gère mon laboratoire. Nous concevons des expériences qui minimisent le stress et utilisons un suivi comportemental offrant des enregistrements neuronaux très détaillés pour exploiter au maximum chaque souris que nous utilisons. Le respect des animaux est une valeur fondamentale pour moi.
Nous respectons les normes de bien-être les plus strictes et concevons des expériences de telle manière que chaque animal contribue de manière significative à la compréhension scientifique.
Avez-vous d'autres projets axés sur les 3R que vous aimeriez mentionner?
Bon nombre de nos outils soutiennent directement les 3R. Le suivi sans marqueur réduit le recours à des approches invasives. CEBRA permet d'extraire beaucoup plus d'informations pour chaque expérience. Nous travaillons également sur un logiciel open source qui démocratise ces méthodes, afin que les laboratoires puissent raffiner les expériences et réduire l'utilisation d'animaux à l'échelle mondiale.
Comment faites-vous face à la mort ou la souffrance qui peuvent survenir dans la recherche animale?
C'est difficile. Je gère cela en restant concentrée sur l'objectif du travail. Les maladies neurologiques causent d'immenses souffrances humaines, et il est nécessaire de comprendre la biologie sous-jacente pour développer de futurs traitements. Comme l’ensemble des groupes de recherche de l’EPFL, nous respectons les normes de bien-être les plus strictes et concevons des expériences de telle manière que chaque animal contribue de manière significative à la compréhension scientifique.
Vous êtes l'une des professeurs de l'EPFL les plus suivies sur les réseaux sociaux. Était-ce intentionnel?
Non. Je voulais partager ouvertement la science, mettre en avant l’utilité des outils libres de droits et créer une communauté. À mesure que nos méthodes ont gagné en popularité, la visibilité a suivi naturellement. Je considère cela comme un moyen d'élargir l'accès à la science plutôt que comme un objectif en soi.
Self-supervised multimodal ML is promising the next AI breakthrough - in our new work published in @Nature, we debut @CEBRAai: for self-supervised hypothesis- and discovery-driven science.
— Mackenzie Weygandt Mathis, PhD (@TrackingActions) May 3, 2023
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Le fait de travailler avec des animaux vous a-t-il déjà causé des problèmes sur les réseaux sociaux?
Il y a toujours un risque de malentendu ou de critique. J'ai choisi d'être transparente. Montrer comment nous prenons soin des animaux et pourquoi ce travail est important permet généralement de réduire l'hostilité. Une communication ouverte et transparente contribue également à instaurer la confiance.
Comment se passe la vie en Suisse pour une Californienne, et comment voyez-vous l'environnement de recherche à l'EPFL ?
La Suisse offre une excellente qualité scientifique, naturelle et de vie. L'EPFL et le Campus Biotech créent un écosystème unique où les neurosciences, l'ingénierie et l'IA interagissent étroitement. C'est un endroit idéal pour mener à bien le type de travail interdisciplinaire ambitieux que nous nous efforçons de réaliser.