Le recul des glaciers provoque une «transition verte»

Un glacier en Equateur étudié par l'équipe de "Vanishing Glaciers".©2024 EPFL/Vincent de Stark

Un glacier en Equateur étudié par l'équipe de "Vanishing Glaciers".©2024 EPFL/Vincent de Stark

L’écosystème entourant les glaciers vit une profonde transformation, indiquent des scientifiques de l’EPFL. Un constat basé sur des expéditions menées dans les chaînes de montagne du monde entier dans le cadre du projet «Vanishing Glaciers».

La vie microbienne prolifère dans le lit des ruisseaux alimentés par les glaciers, en raison du recul de ces derniers. C’est ce qu’indique une équipe de scientifiques de l’EPFL et de l’Université Charles de Prague dans une recherche parue le 1er mars dans Nature Geoscience. L’étude se base sur l’analyse d’échantillons prélevés dans 154 ruisseaux situés sur tous les continents de la planète. Une base de données issue du projet «Vanishing Glaciers», mené par l’EPFL et financé par la Fondation NOMIS.


Video extraite de l'article long format publié en avril 2021.

Sur le toit du monde, les cours d’eau étaient autrefois opaques et agités durant la saison estivale. La fonte de leur glacier amenait un large volume d’eau qui charriait sur son passage des pierres et des sédiments laissant peu pénétrer la lumière. Avec des températures basses le restant de l’année, le développement d’une riche vie microbienne y était difficile. En raison du recul des glaciers provoqué par le changement climatique, le volume d’eau circulant dans ces ruisseaux montagneux décroît.

Ces cours d'eau deviennent plus chauds, plus calmes et plus clairs, donnant aux algues et autres micro-organismes la possibilité de devenir abondants et de contribuer davantage aux cycles locaux du carbone et des nutriments. «Nous assistons à une transformation profonde de cet écosystème au niveau du microbiome, à une ‘transition verte’, en raison de l'augmentation de cette ‘production primaire’», illustre Tom Battin, professeur ordinaire à l’EPFL et directeur du Laboratoire de recherche en écosystèmes fluviaux (RIVER).

Exemple d'algues proliférant dans un ruisseau alimenté par un glacier. © EPFL / Martina Schön / RIVER

Composition en mutation


Dans leur étude, les scientifiques ont examiné quels nutriments étaient présents dans les cours d'eau, à l’exemple du phosphore et du nitrogène, puis quels enzymes les micro-organismes vivant dans les sédiments produisaient afin d'utiliser ces nutriments. Ils ont ensuite étudié l'évolution de ces nutriments et de ces enzymes sur un très large gradient de cours d'eau alimentés par des glaciers de taille différente.

«Les écosystèmes de ces cours d'eau disposent généralement de quantités limitées de carbone et de nutriments, en particulier de phosphore», explique Tyler Kohler, ancien post-doctorant à RIVER et premier auteur de l'article. «Avec le recul des glaciers et l'augmentation de la demande en phosphore par les algues et les autres micro-organismes, le phosphore pourrait devenir plus rare dans les cours d'eau de haute montagne.» Autre effet soulevé par Tyler Kohler: le phosphore, un élément essentiel à la vie, deviendra encore plus rare dans les écosystèmes en aval, y compris dans les grandes rivières et les lacs, avec des conséquences encore inconnues sur la chaîne alimentaire.

Des membres du laboratoire RIVER aux Monts Rwenzori, en Ouganda, en 2022. Tyler Kohler est la cinquième personne depuis la gauche. © EPFL / Matteo Tolosano

Stage avancé en Ouganda

Une autre recherche du laboratoire RIVER parue en décembre 2023 corrobore cette analyse. Dans cette étude, les scientifiques ont analysé le microbiome d'un petit ruisseau alimenté par un glacier dans les Monts Rwenzori, en Ouganda, où la «transition verte» est déjà à un stade avancé. La composition en nutriments et en enzymes y est également très différente et les algues y sont abondantes. «Ce qui se passe sur le glacier du Rwenzori nous donne un aperçu de ce à quoi ressembleront les cours d'eau suisses alimentés par les glaciers dans 30 ou 50 ans», explique Tom Battin. Avec comme conséquence que plus ces ruisseaux accueilleront de vie microbienne, plus ils joueront un rôle important dans les cycles biogéochimiques, notamment les flux de CO2.

Le laboratoire RIVER prévoit de s'appuyer sur ces recherches pour aller plus loin. L’équipe de scientifiques est en train de recenser la biodiversité microbienne dans ces cours d'eau issus des glaciers et, à l'aide de diverses sources d'informations génomiques, d’étudier la capacité de divers micro-organismes à proliférer dans l'un des écosystèmes d'eau douce les plus extrêmes de la planète.

Une infographie représentant l'étendue des glaciers suisses d'ici 2100.
En deux ans, les glaciers suisses ont perdu 10% de leur volume. Les modèles scientifiques prédisent une poursuite de cette fonte brutale si rien n'est entrepris. Découvrez, à travers notre infographie, à quoi pourraient ressembler les glaciers suisses d'ici 2100.
© 2024 EPFL / Emphase

Cette recherche a été effectuée dans le cadre du Centre de recherche en environnement alpin et polaire (ALPOLE), EPFL Valais Wallis

Financement

The NOMIS Foundation

Références

Tyler J. Kohler, Massimo Bourquin, Hannes Peter, Gabriel Yvon-Durocher, Robert L. Sinsabaugh, Nicola Deluigi, Michail Styllas, Vanishing Glaciers Field Team, and Tom J. Battin, “Global emergent responses of stream microbial metabolism to glacier shrinkage”, Nature Geoscience, 1st March 2024. doi.org/10.1038/s41561-024-01393-6

Michoud, G., T. Kohler, L. Ezzat, H. Peter, J.K. Nattabi, R. Nalwanga, P. Pramateftaki, M. Styllas, M. Tolosano, V. De Staercke, M. Schön, R. Marasco, D. Daffonchio, M. Bourquin, S.B. Busi and T.J. Battin, “The dark side of the moon: first insights into the microbiome structure and function of one of the last glacier-fed streams in Africa,” Royal Society Open Science, 9 August 2023. doi.org/10.1098/rsos.230329