«Le mouvement du corps dans l'espace m'a toujours habité»

L'architecte Ada Massarente explore le mouvement au bord de la rivière la Veveyse.© Ada Massarente - CC-BY-SA 4.0

L'architecte Ada Massarente explore le mouvement au bord de la rivière la Veveyse.© Ada Massarente - CC-BY-SA 4.0

En associant danse, dessins et territoire dans son travail de Master en architecture, Ada Massarente replace le corps au centre des espaces urbains. En résulte un projet de revitalisation de la rivière la Veveyse qui se jette dans le Léman à Vevey, et qui invite habitantes et habitants à se réapproprier ses berges.

À 18 ans, Ada Massarente s’est d’abord rêvé chorégraphe. «Le mouvement du corps dans l’espace m’a toujours habité», résume l’alumna de l’EPFL. Formée à l’école de ballet de la Scala à Milan, puis à celle de Marseille, elle cumule déjà de longues années de danse classique et contemporaine, sans compter des cours de piano au conservatoire. Encore trop jeune pour cette fonction, l’Italienne d’origine décide de poursuivre des études, hésitant entre beaux-arts et théâtre.

«J’avais le choix entre dix écoles supérieures possibles», se souvient-elle. «Il ne m’en manquait qu’une. Mes parents, architectes comme mon grand-père, m’ont dit : pourquoi pas l’architecture? Tu passes peut-être à côté de quelque chose? Mais j’avais toujours dit que je ne ferais jamais le même métier qu’eux.» Une rencontre décisive avec un professeur de l’École d’architecture de Lyon la fait changer d’avis. «Ce fut une révélation, car nous parlions le même langage. Je suis littéralement tombée amoureuse de la discipline», dit-elle encore avec émotion. À travers l’architecture, Ada Massarente a continué son exploration du corps en mouvement, mais cette fois, au service du territoire. Son travail de Master, l’un des meilleurs de sa volée, s’intéresse aux berges du torrent de la Veveyse. Avec l’ambition de les transformer en espaces que les habitantes et habitants peuvent librement s’approprier au quotidien.

Filmer et dessiner le mouvement
Avant de s’inscrire à l’EPFL, Ada Massarente a obtenu son Bachelor de l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville où la formation propose une approche orientée vers les sciences humaines. Elle rejoint ensuite la Suisse pour son Master, car l’école polytechnique dispose de plusieurs orientations possibles qui ouvrent directement les portes du monde professionnel. L’alumna travaille aujourd’hui comme assistante de projet à l’EPFL en parallèle de son emploi dans un bureau d’architecture genevois.

Mes croquis représentent mon corps, mais ils parlent plus largement de l’espace. Les sons, le type de sol, la température de l’air influencent la manière de bouger.

Ada Massarente, architecte EPFL

Trois professeures et professeurs de la Section d’architecture – Paola Viganò, Pier Vittorio Aureli et Sophie Delhay – ont marqué son cursus académique et l’ont encouragée à approfondir son domaine d’intérêt, la mise en scène du mouvement, qui deviendra son projet de diplôme. Sujet très vaste qu’elle va affiner au fil de ses recherches et expérimentations. La première étape de sa réflexion consiste à se plonger dans l’histoire de la chorégraphie et de la scénographie, en particulier par la performance de mouvements ordinaires. Une recherche qu’elle met directement en pratique. Dans la chambre de sa colocation lausannoise, elle recrée une petite scène, les rideaux de ses fenêtres comme décors, et y filme ses improvisations. Elle visionne ensuite ses enregistrements, puis dessine ses mouvements. Une démarche qu’elle reproduit plusieurs fois de suite. Ces allers-retours illustrent le principe même de la performance où l’on peut être à la fois spectateur et acteur.

«Mes croquis représentent mon corps, mais ils parlent plus largement de l’espace. Les sons, le type de sol, la température de l’air influencent la manière de bouger.» Ce qui conduit Ada Massarente à la deuxième étape de son travail : sa réflexion sur le corps appliquée à l’échelle du territoire. Elle choisit comme site de projet la Veveyse, longue rivière qui trouve ses sources dans les Préalpes fribourgeoises avant de se jeter dans le Léman à Vevey. «C’est un bassin versant proche de chez moi, marqué par une topographie très forte et un cours très impétueux». L’ambition, ici, est de se servir du mouvement de la rivière pour mettre en scène celui du corps dans l’espace urbain. Et cela passe par une revitalisation de ses berges qu’elle imagine depuis le pont de Gilamont (Corsier-sur-Vevey) jusqu’au lac, théâtre de la fête des Vignerons.

Théâtres urbains au bord de l’eau
Pour travailler la relation entre son corps et l’eau, l’alumna reproduit la même approche réalisée dans sa chambre d’étudiante. Elle se rend sur place, filme ses mouvements et les dessine. Dans une série de croquis, Ada Massarente a redonné libre cours à la rivière et propose des promenades depuis les vignobles jusqu’au lac. L’ancien delta, jusqu’ici canalisé comme la plupart des cours d’eau en Suisse, devient un parc. De son exploration physique des berges du torrent naissent aussi sept plateformes urbaines situées le long de ses rives. «Elles deviennent de nouveaux lieux de performance, comme des théâtres à ciel ouvert, pour que chacun et chacune puisse se les approprier librement, faisant revivre la procession de la Fête des vignerons.» Habitants et habitantes peuvent s’y mouvoir, s’y asseoir ou simplement mettre les pieds dans l’eau.

Face à la transition socioécologique, le métier d’architecte évolue, selon elle. «Aujourd’hui, il ne consiste plus seulement à dessiner des bâtiments. C’est une pratique qui invite à se mettre en relation avec beaucoup de dimensions, dont l’espace ouvert. Car le paysage et l’architecture sont indissociables.»

Références

Ada Massarente, «Staging Movement.From Veveyse Territory to Urban Theatres », travail de Master sous la direction de Paola Viganò et Pier Vittorio Aureli, EPFL, 2024.


Auteur: Rebecca Mosimann

Source: People