Le microbiote intestinal, ce «deuxième cerveau» qui nous régit

Camille Goemans, professeure au Laboratoire d’interaction médicament-microbiote à l’EPFL - 2025 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0
De la digestion aux émotions, le microbiote intestinal agit sur de nombreux mécanismes. Sa fragilisation pourrait expliquer la hausse de certaines maladies modernes. Il jouerait un rôle clé dans le maintien de notre bonne santé.
Notre système digestif abrite environ 1,5 kg de bactéries. Longtemps ignoré par la médecine, le microbiote intestinal suscite un regain d’intérêt ces dernières années. Son influence dépasse largement la digestion : il interagit avec notre immunité, notre métabolisme et même notre santé mentale. Pourtant, ce vaste écosystème reste encore mystérieux pour la science.
Avec près de 1’000 souches différentes, le microbiote intestinal est le plus dense et diversifié du corps humain. «Ces bactéries remplissent des fonctions spécifiques qui varient en fonction de leur métabolisme», explique Camille Goemans, professeure au Laboratoire d’interaction médicament-microbiote à l’EPFL. Elles participent à la digestion des fibres alimentaires, à la production de vitamines, à l’entraînement du système immunitaire, à la protection de l’intestin, à la régulation du poids et du métabolisme, mais aussi au maintien d’une bonne santé mentale.
Désormais, des maladies qu’on ne soupçonnait pas liées au microbiote se multiplient. Parmi elles, les allergies, l’obésité, l’autisme ou encore les maladies auto-immunes. «Ces pathologies étaient rares il y a un siècle. Aujourd’hui, la prévalence des allergies explose, et cette augmentation semble directement liée à l’état de notre microbiote», souligne Camille Goemans. L’industrialisation, la sédentarité et une alimentation transformée auraient altéré notre microbiote, selon la scientifique. Face à ce constat, en quoi le microbiote constitue-t-il un facteur clé de notre santé?
Un microbiote qui se construit dès la naissance
L’influence du microbiote commence dès la naissance, un moment clé de sa formation. Un bébé naît sans microbiote. Dans le ventre maternel, il se trouve dans un champ complètement stérile. C’est lors de l’accouchement et de son passage par voie basse qu’il intègre ses premières bactéries, celles de la flore vaginale de sa mère. Son microbiote se complète avec des bactéries cutanées lors de l’allaitement. «Les bébés nés par césarienne ou nourris au biberon possèdent un microbiote moins diversifié, ce qui les prédispose davantage à certaines maladies», explique la chercheuse de la Faculté des sciences de la vie. Certaines maternités tentent d’y remédier en enveloppant ces bébés dès leur naissance dans un linge imprégné de la flore vaginale de leur mère.
Stabilisé dès l’âge de trois ans, le microbiote est ensuite influencé tout au long de la vie par l’alimentation, le stress, l’exercice physique, les maladies et la prise d’antibiotiques qui réduisent la diversité bactérienne. «Plus il est diversifié, mieux il contribue à notre bonne santé», note Camille Goemans.
Plus le microbiote est diversifié, mieux il contribue à notre bonne santé
Une altération de cette flore intestinale peut alors favoriser des pathologies comme les allergies, les maladies auto-immunes ou les troubles digestifs comme la maladie de Crohn et le syndrome de l’intestin irritable. «Pour ces dernières, il faut également prendre en compte le facteur génétique. Le microbiote maintient une barrière de protection dans les intestins. Quand il est défaillant, la barrière est moins efficace et laisse place à des inflammations qui aggravent alors l’état de la maladie. Il s’agit d’un cercle vicieux qui rend difficile tout traitement», note la scientifique.
Appelé aussi deuxième cerveau, le microbiote intestinal a également de l’influence sur les troubles liés à la santé mentale tels que l’anxiété, la dépression, les troubles bipolaires mais aussi maladies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson. Certaines bactéries du microbiote produisent des neurotransmetteurs comme la dopamine et la sérotonine, qui interagissent directement avec le système nerveux et le cerveau. «Ils influencent ainsi nos émotions de bonheur, de satisfaction ou de bien-être. S’ils sont défaillants, notre santé mentale se trouve directement impactée, précise la microbiologiste. Souvent, les patientes et patients souffrant de problèmes de santé mentale rencontrent également des troubles liés à leur appareil digestif. Cela concerne notamment de nombreuses personnes atteintes de troubles du spectre autistique.»
Les solutions médicales
Alors que le microbiote occupe une place importante dans la bonne santé physique et mentale, la recherche explore deux pistes pour rétablir un microbiote sain: les probiotiques et la transplantation fécale. «Les probiotiques sont des bactéries vivantes, disponibles dans les aliments fermentés ou sous forme de compléments», explique Camille Goemans. L’efficacité scientifique n’est pas prouvée et varie selon les individus et les souches utilisées.
Pour prendre soin de son microbiote, Camille Goemans recommande d’opter pour une alimentation riche en aliments fermentés, tels que les yaourts, la choucroute, le kimchi, le kombucha ou le kéfir, mais aussi riche en fibres (présentes dans les légumes, fruits et grains complets) qui nourrissent les « bonnes » bactéries du microbiote. A contrario, les aliments transformés et riches en sucre encouragent la prolifération de bactéries nuisibles au détriment des autres.
La communauté scientifique se pose la question de la définition d’un microbiote sain. Nous n’avons pas encore trouvé toutes les réponses.
Quant à la transplantation fécale, elle consiste à prélever le microbiote d’un donneur sain pour le réintroduire chez un patient. Cette technique est actuellement utilisée uniquement contre l’infection à Clostridioides difficile, une maladie intestinale grave et résistante aux antibiotiques. Elle provoque des diarrhées sévères, des nausées et des crampes. Non traitée, cette maladie peut s’avérer mortelle. «Avec la transplantation fécale, le taux de succès avoisine les 90%», indique la professeure assistante.
Reste une question essentielle: comment définir un microbiote sain et s’assurer de la qualité du donneur? «Nous ne le savons pas. La communauté scientifique se pose la question de la définition d’un microbiote sain. Nous n’avons pas encore trouvé toutes les réponses. De plus, la recherche sur le microbiote est relativement jeune. Nous ne bénéficions pas de recul sur le long terme quant à l’évolution d’un microbiote implanté par exemple», relève Camille Goemans.
Les antibiotiques, l’ennemi du microbiote
La scientifique mène dans son laboratoire des recherches pour comprendre comment les antibiotiques et autres médicaments affectent les diverses bactéries du microbiote intestinal et comment celles-ci participent au développement de la résistance aux antibiotiques. «Les antibiotiques sont des molécules qui tuent les bactéries afin de mettre fin à une infection. Les antibiotiques actuels ne font pas la distinction entre les bactéries bénéfiques et pathogènes. Lorsqu’une personne prend un traitement antibiotique par voie orale, une partie du microbiote intestinal est détruite», avertit Camille Goemans. Si certaines personnes récupèrent naturellement leur flore intestinale après le traitement, d’autres subissent un déséquilibre durable.

La communauté scientifique cherche à développer des traitements ciblés, capables d’éliminer les infections sans détruire tout le microbiote. Elle s’efforce aussi de mieux comprendre le rôle précis de chaque bactérie intestinale. «Avant d’agir sur la santé, nous devons d’abord décrypter ces interactions», insiste Camille Goemans.
Pour la chercheuse, il est essentiel de considérer le corps humain comme un écosystème. Une alimentation équilibrée et une bonne hygiène de vie sont les meilleurs alliés d’un microbiote sain, et donc d’une bonne santé physique et mentale. Pour comprendre à quel point le microbiote est essentiel, des chercheuses et chercheurs mènent des expériences sur des souris axéniques, c’est-à-dire dépourvues de flore intestinale. Résultat: dans un environnement normal, elles ne survivent que trois jours.