Le langage architectural de l'île de Pâques

Les gros galets lisses marquent la transition entre l’intérieur et l’extérieur. 2024 EPFL/Chloé Joly-Pottuz - CC-BY-SA 4.0

Les gros galets lisses marquent la transition entre l’intérieur et l’extérieur. 2024 EPFL/Chloé Joly-Pottuz - CC-BY-SA 4.0

Dans le cadre de sa thèse en architecture à l'EPFL, Chloé Joly-Pottuz s’est penchée sur la manière de construire et en particulier sur l’utilisation du bois dans l'île de Pâques.

On ne pense pas souvent à Rapa Nui. Parfois peut-être à ses majestueux monuments de pierre moaï. Plus rarement à sa petite communauté de quelque 8600 âmes. Sans doute jamais aux problèmes qu’elle peut rencontrer pour vivre sur une terre volcanique, rasée par la déforestation passée, rappée par les vents, et foulée par environ 120 000 touristes chaque année.

Le Laboratoire de construction et architecture de l’EPFL, dirigée par le professeur Paolo Tombesi, s’intéresse à l’Île de Pâques depuis 2018, précisément pour ces raisons. Elle constitue un écosystème idéal pour étudier les pressions exercées sur un territoire isolé, dépendant administrativement du Chili, économiquement du tourisme, et aux ressources limitées sur un territoire.

Dans le cadre de sa thèse en architecture, Chloé Joly-Pottuz s’est penchée sur la manière de construire et en particulier sur l’utilisation du bois. Elle fait parler les habitats afin de documenter un passé récent et d’en tirer des enseignements pour l’avenir. La doctorante s’intéresse aussi à l’histoire des habitations plus anciennes, comme les hare paenga, contemporaines des moai et des structures de ahu – les plateformes cérémonielles sur lesquelles sont érigées les moaï -, c’est-à-dire probablement entre 1200 et 1600 après JC. Elle s’est ainsi rendue à trois reprises dans l’île du Pacifique et notamment au centre d’interprétation Puku Manu Mea, une réplique d’un village ancestral sur le site archéologique de Vaihu, situé au sud de l’île.

Une interprétation contemporaine

« Les paenga, blocs de basalte rectangulaires servaient de fondations, détaille Chloé Joly-Pottuz. Elles étaient disposées suivant une forme elliptique, partiellement enterrées et percés de trous sur leur face supérieure. Des branches assez flexibles y étaient insérées pour former la structure du toit, qui était ensuite recouverte de végétation. Les gros galets lisses, des poro, marquent la transition entre l’intérieur et l’extérieur, entre la lumière et l’obscurité, entre la mer et la terre. Ils sont disposés de manière semi circulaire devant le petit tunnel d’entrée de la hare paenga. »

C’est leur interprétation qui est intéressante : « Ils préfigurent peut-être les taupea actuels, galeries couvertes répandues dans les constructions contemporaines, bien qu’on puisse également leur trouver des similarités avec les vérandas des habitations coloniales. »

Lien entre ressources locales et importance culturelle

Les hare paenga illustrent le lien entre ressources locales (matériaux de construction), efficacité constructive et importance culturelle. Quelles sont ces relations dans les constructions à Rapa Nui aujourd’hui ? « La plupart des habitations sont construites à partir d’un catalogue d’éléments standards extrêmement limités, dont la disponibilité n’est pas garantie. Les matériaux sont chers, de qualité souvent médiocre et produisent des habitations qui impactent négativement le territoire par leur type (faible densité) et leur faible durabilité. » En outre, les techniques de construction utilisées aujourd’hui, des structures en bois légères, ne répondent pas vraiment au contexte dans lequel elles s’insèrent.

Toutefois, l’architecture de cette petite communauté manifeste sa recherche d’une identité culturelle : « Dans mes études sur le terrain, j’ai remarqué des éléments récurrents qui questionnent le lien entre ressources locales, efficacité constructive et importance culturelle. Dans plusieurs maisons, souvent sous le taupea, on trouve des troncs d’arbre entiers, locaux, sculptés, parfois vernis, et qui représentent une forme d’expression plus qu’une nécessité architecturale ou statique. Ces éléments suggèrent la recherche d’une identité architecturale contemporaine qui s’inscrit dans une volonté plus large de faire référence à la Polynésie, zone géographique à laquelle elle appartient. »