Le graphène torsadé révèle une supraconductivité exotique

© EPFL/iStock (iLexx)

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Des physiciennes et physiciens de l’EPFL et leur équipe ont observé et contrôlé un motif rare de supraconductivité à double dôme dans le graphène tricouche torsadé. Cette avancée leur a permis de mieux comprendre l’émergence et l’interaction des états quantiques exotiques dans les matériaux techniques.

La supraconductivité est un phénomène dans lequel certains matériaux peuvent conduire l’électricité avec une résistance nulle. De toute évidence, cela présente des avantages technologiques considérables, ce qui fait de la supraconductivité l’un des domaines de recherche les plus intenses au monde.

Des dômes doubles

Mais la supraconductivité n’est pas simple. Par exemple, prenons l’effet double dôme. Lorsque les scientifiques tracent l’endroit où apparaît la supraconductivité dans un matériau à mesure qu’ils modifient le nombre d’électrons qu’il contient, les régions supraconductrices du matériau ressemblent parfois à deux «dômes» distincts sur un graphique.

Autrement dit, le matériau devient supraconducteur, puis cesse de l’être, puis redevient supraconducteur au fur et à mesure que nous changeons sa densité électronique.

La connexion du graphène

La supraconductivité à double dôme a déjà été observée dans certains matériaux complexes, tels que le graphène. Le graphène est essentiellement une feuille d’atomes de carbone d’un seul atome d’épaisseur reliés ensemble selon un motif en nid d’abeille. Pourtant, il a transformé le domaine de la recherche sur les matériaux quantiques parce qu’il présente des effets vraiment étranges.

Par exemple, lorsque nous empilons deux couches de graphène et que nous les tordons selon des angles spécifiques, les électrons du graphène se comportent de manière nouvelle et inattendue, créant des phases quantiques comme le magnétisme, l’isolation électrique et, bien sûr, la supraconductivité.

Mais il existe une structure encore plus complexe du graphène qui va plus loin en ajoutant une troisième couche, ce qui rend le système encore plus complexe et ajustable: le graphène tricouche torsadé à angle magique (MATTG). Grâce au MATTG, les chercheuses et chercheurs peuvent maintenant observer et contrôler un schéma à double dôme de supraconductivité qui n’était auparavant soupçonné que dans les systèmes de graphène.

Une supraconductivité à double dôme dans le graphène torsadé

Aujourd’hui, une équipe dirigée par Mitali Banerjee de l’EPFL, en collaboration avec des partenaires en Suisse, au Royaume-Uni et au Japon, a démontré que le MATTG permet un contrôle direct du schéma de supraconductivité à double dôme. En empilant soigneusement les couches et en ajustant le champ électrique, les chercheuses et chercheurs ont pu affiner le système et suivre l’apparition ou la disparition de la supraconductivité en faisant varier le nombre d’électrons.

Leurs expériences, étayées par la théorie, ont révélé que deux régions supraconductrices distinctes – les dômes – apparaissent à mesure qu’elles modifient progressivement le nombre d’électrons dans le MATTG. Les travaux mettent en lumière la manière dont la supraconductivité non conventionnelle peut être créée et contrôlée dans des matériaux 2D.

Les chercheuses et chercheurs ont conçu des dispositifs composés de trois couches de graphène, empilées de manière à ce que la couche centrale soit tordue d’environ 1,55 degré par rapport aux autres. Ils ont placé l’empilement entre de fines couches de nitrure de bore hexagonal isolant. Puis ils ont ajouté des électrodes et des grilles pour contrôler avec précision la densité électronique et appliquer un «champ de déplacement» électrique qui permet aux chercheuses et chercheurs d’ajuster la façon dont les électrons se déplacent dans le matériau, ce qui permet d’activer ou de désactiver la supraconductivité.

Les scientifiques ont ensuite mesuré comment la résistance du MATTG changeait en faisant varier la densité électronique, le champ magnétique et le courant appliqué à des températures proches du zéro absolu (100 millikelvins). Cela leur a permis de cartographier les régions où la supraconductivité est apparue.

En ajustant le champ de déplacement, ils pouvaient ajuster davantage la structure de bande du matériau (l’ensemble de règles qui déterminent comment les électrons peuvent se déplacer et se comporter à l’intérieur du matériau), ce qui leur permettait de contrôler l’émergence et la disparition du motif à double dôme.

L’équipe a observé que la supraconductivité dans le graphène tricouche torsadé ne forme pas une seule région lisse, mais se divise en deux dômes distincts lorsque la densité électronique est ajustée. Entre les dômes, la supraconductivité est fortement supprimée, ce qui indique une concurrence possible ou un changement dans le mécanisme d’appariement sous-jacent.

Chaque dôme présentait des caractéristiques uniques: un côté montrait un passage plus net et plus soudain à l’état supraconducteur, et les mesures montraient une sorte de «mémoire» de la façon dont le matériau réagissait au courant électrique: la façon dont il réagissait à l’augmentation du courant n’était pas la même que la façon dont il réagissait à la baisse du courant. L’autre dôme présentait une transition plus douce et plus lente vers la supraconductivité, sans signe de «mémoire».

Les chercheuses et chercheurs ont développé des travaux théoriques (calculs de Hartree-Fock) pour interpréter leurs résultats expérimentaux, montrant que des changements subtils dans l’agencement des électrons, qui sont façonnés à la fois par les interactions et le champ de déplacement appliqué, déterminent où la supraconductivité est favorisée. Les données indiquent différents types d’appariements d’électrons dans les deux dômes, peut-être liés à des changements dans «l’ordre» électronique du système.

L’étude montre que le MATTG est le premier système où la supraconductivité à double dôme peut être directement contrôlée par un champ électrique. Elle offre une nouvelle façon d’étudier l’émergence et l’ajustement de la supraconductivité non conventionnelle, ouvrant ainsi des possibilités pour la conception de dispositifs quantiques ou l’exploration de nouveaux états de la matière dans les matériaux techniques.

Autres contributeurs

  • Université de Bâle
  • Centre Rudolf Peierls de physique théorique (Oxford)
  • Université de Zurich
  • Institut national des sciences des matériaux du Japon
  • Institut Max Planck de physique des systèmes complexes
Financement

Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS)

Programme de recherche et d’innovation Horizon 2020 de l’Union européenne

Subventions JSPS pour la recherche scientifique (KAKENHI), Japon

Première initiative mondiale des centres de recherche internationaux (WPI), Japon

Université de Zurich

Bourse internationale de professeurs du Leverhulme Trust

Conseil de recherches en ingénierie et sciences physiques (EPSRC)

Institut Max Planck de physique des systèmes complexes (Bourse Gutzwiller)

Références

Zekang Zhou, Jin Jiang, Paritosh Karnatak, Ziwei Wang, Glenn Wagner, Kenji Watanabe, Takashi Taniguchi, Christian Schönenberger, S. A. Parameswaran, Steven H. Simon, Mitali Banerjee. Gate-tunable Double-dome Superconductivity in Twisted Trilayer Graphene. Nature Physics 30 septembre 2025: DOI: 10.1038/s41567-025-03040-2


Auteur: Nik Papageorgiou

Source: EPFL

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