Le futur de l'agriculture dépend des espèces locales
La diminution de la diversité génétique chez les animaux d’élevage représente une menace grandissante. Bien qu’il existe des nouvelles technologies de séquençage génétique qui peuvent nous aider à résoudre ce problème, changer les habitudes afin de préserver les lignées locales pourrait s’avérer difficile.
La production animale mondiale a une importance sociétale et économique majeur. Elle constitue la principale source de revenu de 1,3 milliards d’agriculteurs, fournit des ressources alimentaires à 800 millions d’agriculteurs vivriers et représente 40% du PIB agricole mondial. Cependant, l’élevage intensif et la diminution de la diversité génétique pourraient limiter la capacité du bétail à s’adapter aux changements environnementaux tels que le réchauffement climatique et l’apparition de nouvelles maladies induites. Actuellement mises de côté, des espèces de bétail moins répandues et leur ADN pourraient se révéler essentiels pour assurer le futur de l’agriculture d’élevage.
Entre 2010 et 2014, un projet de recherche européen dirigé par l’EPFL a fait le bilan des ressources génétiques des animaux d’élevage et a esquissé les questions les plus importantes relatives à la recherche, aux infrastructures et à la politique de développement pour les années à venir. Une sélection des résultats du projet est désormais en accès libre dans le journal Frontiers in Genetics et est disponible en ligne sous la forme de 31 articles scientifiques.
Réduction du réservoir génétique
Ces 100 dernières années, de nombreuses espèces locales se sont éteintes, au fur et à mesure que des espèces industrielles plus productives s’imposaient. Toutefois, même au sein de ces dernières, la diversité génétique entre les individus est en baisse. Qu’est-ce que cela signifie ? « Une perte de la diversité génétique va de pair avec une réduction de la capacité des espèces à s’adapter à des nouvelles maladies, des températures plus élevées ou à des nouvelles sources de nourriture », commente Stéphane Joost, le responsable du projet.
« En étudiant 1’200 moutons issus de 32 espèces autochthones réparties dans le monde entier, nous avions déjà identifié un gène spécifique impliqué dans la régulation de leur métabolisme et dont la présence présentait une forte corrélation avec la quantité de rayonnement solaire incident – une caractéristique génétique qui leur permettait d’être mieux adaptés à leur environnement que des espèces cosmopolites plus productives sur le court terme », évoque le scientifique. L’extinction des espèces portant ces caractères génétiques entraînerait par conséquent la disparition des stratégies d’adaptation acquises au fil de leur évolution.
Un choix raisonnable
« Gardez vos espèces locales, elles sont bien mieux adaptées ! » conseille Stéphane Joost aux agriculteurs. Il est possible que ces dernières soient moins productives que leurs cousines élevées industriellement, mais dans les pays en développement, exposés à des climats rudes, leur rester fidèle constitue le choix le plus sage. Or, c’est une leçon que les agriculteurs apprennent souvent à leurs dépens. Après avoir investi leurs économies pour croiser une espèce de vache typique de l’Afrique de l’ouest avec une espèce industrielle, des agriculteurs du Burkina Faso ont tout d’abord récolté les fruits de leurs investissements mais ils ont vite réalisé que tous les petits des vaches hybrides s’adaptaient mal au climat et finissaient par mourir. « Seules les espèces locales sont adaptées pour résister à des environnements rigoureux et à des maladies comme la trypanosomiase, propagée par la mouche tsé-tsé », insiste Stéphane Joost.
Une archive de l’adaptation
Pour lui, comprendre l’histoire génétique des espèces d’aujourd’hui pourrait nous aider à trouver les stratégies d’adaptation de demain. « Quels animaux ancestraux ont-ils transmis une caractéristique spécifique aux espèces actuelles ? Et que pouvons nous faire aujourd’hui pour retrouver cette même caractéristique ? », demande-t-il. Par exemple, savoir exactement quelles espèces indigènes ont été croisées pour produire les espèces actuelles pourrait aider à identifier certains gènes bien adaptés dans l’espèce d’origine et qui pourraient avoir été perdus. De la même manière, les espèces locales bien adaptées qui ont été abandonnées au point de s’éteindre pourraient être recréées en croisant les espèces ancestrales qui les avaient engendrées.
Afin de garantir que les recherches menées dans ce projet soient diffusées au sein de la communauté agricole, les 31 travaux de recherche seront rassemblés dans un e-book qui sera également disponible en version imprimée et distribué dans les pays en développement par la FAO. Mais changer les habitudes apparaît déjà comme un combat de longue haleine car cela signifie sacrifier les profits à court terme pour une durabilité à long terme – un problème dont sont parfaitement conscients Stéphane Joost et les coorganisateurs de la recherche. « Tout au long de ce projet, nous avons souligné la nécessité de travailler avec des experts en sciences sociales pour influencer efficacement les habitudes des associations d’éleveurs et d’autres acteurs. Mais, dans ce domaine, nous avons encore beaucoup à faire », conclut-il.