Le défi de l'oxygénation du lac Léman face au changement climatique

Rafael Reiss et son équipement de mesure au bord du lac Léman.2021 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Rafael Reiss et son équipement de mesure au bord du lac Léman.2021 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Des chercheurs de l’EPFL ont étudié deux mécanismes de brassage des eaux contribuant à l’oxygénation des couches profondes du lac, nécessaire au maintien du bon état de l’écosystème. Le réchauffement de l’atmosphère rend en effet de plus en plus rares les grands brassages hivernaux, principaux moteurs de cette oxygénation.

Pour préserver la qualité de l’eau et les écosystèmes lacustres, les lacs doivent avoir un niveau suffisant en oxygène. Or, si les couches supérieures des lacs sont riches en oxygène, ce n’est pas le cas des eaux profondes. Leur oxygénation se fait principalement grâce à un mécanisme de brassage complet des eaux, possible uniquement lorsque les températures sont assez basses. Dans le cas des lacs profonds situés sous des climats tempérés, comme le lac Léman, les hivers ne sont souvent pas assez froids, et le brassage n’est que partiel. Le dernier brassage complet du lac Léman a eu lieu en 2012 (CIPEL).

Comprendre d’autres mécanismes de brassage

« Avec le réchauffement climatique, les conditions seront de moins en moins souvent réunies, indique Rafael Reiss, dans sa thèse réalisée au Laboratoire de Technologie Écologique. Il devient donc nécessaire de comprendre d’autres mécanismes permettant une oxygénation des couches profondes. » Dans le cadre de ses recherches, il s’est donc intéressé à deux autres phénomènes de brassage provoqués par le vent: la remontée d’eaux profondes côtières (coastal upwelling) et les échanges d’eau entre les deux parties du lac de différentes profondeurs, le Petit Lac et le Grand Lac (interbasin exchange). «Contrairement au brassage lié au refroidissement hivernal, ces mécanismes sont moins sensibles au changement climatique et se produisent plusieurs fois par hiver pour le lac Léman, souligne le chercheur. Ils pourraient donc devenir de plus en plus importants pour le renouvellement et l’aération des eaux profondes. »

Rafael Reiss ett son collègue Htet Kyi Wynn déploient leur équipement de mesure sur le lac Léman, durant l'hiver 2017. © ECOL/EPFL

Dans un lac profond, les couches inférieures sont pauvres en oxygène, riches en nutriments, et froides. Celles supérieures sont au contraire riches en oxygène, moins riches en nutriments, et plus chaudes. Durant l’année, ces couches ne se mélangent presque pas. En effet, l’eau chaude étant moins dense que l’eau froide, cela entraîne une stratification et les échanges sont très limités. Mais lorsque l’air se refroidit, la température des couches supérieures aussi. S’il fait assez froid, celles-ci atteignent alors la même température que les couches inférieures, et donc la même densité. Un brassage complet peut alors s’effectuer : les eaux de surface riches en oxygène descendent, celles des couches inférieures riches en nutriment remontent.

Les mécanismes que nous avons étudiés pourraient devenir de plus en plus importants pour le renouvellement et l’aération des eaux profondes.

Rafael Reiss, Laboratoire de Technologie Écologique, EPFL

Des brassages plusieurs fois par hiver

Les recherches de Rafael Reiss ont mis en évidence qu’en hiver, sous l’effet du Vent (un des principaux vents soufflant sur le lac Léman, du sud-ouest), les eaux côtières de la rive nord du Grand Lac sont poussées vers le large et sont remplacées par une remontée d’eaux profondes. Ce même vent pousse également les masses d’eau en surface du Petit Lac vers le Grand Lac, qui sont compensées en profondeur par un échange d’eaux dans le sens inverse. Ces deux mécanismes complexes permettent de faire remonter des eaux des couches inférieures, pauvres en oxygène et riches en nutriments, provenant parfois de plus de 200 mètres de profondeur (le lac Léman ayant une profondeur maximum de 309 mètres). Ces eaux peuvent rester plusieurs jours dans les couches supérieures, parfois même atteignant la surface, ce qui permet des échanges avec les eaux environnantes plus en riches en oxygène et avec l’atmosphère, avant de redescendre.

Pour obtenir ces résultats, ils ont d’abord effectué un travail de terrain durant deux hivers, en mesurant notamment la vitesse des courants et la température des eaux. Puis, ils ont construit une modélisation 3D hydrodynamique dont les résultats exploités au travers d’un suivi de particules (particle tracking) ont permis d’analyser précisément la circulation des eaux. “Cette recherche met en lumière la complexité de ces mécanismes, qui se produisent en trois dimensions, et ne peuvent donc pas être représentés par des modèles en une dimension, pourtant fréquemment utilisés pour prédire les impacts du changement climatique sur les lacs. Ils méritent donc une attention toute particulière dans l’étude du renouvellement des eaux profondes dans les lacs profonds, conclut Rafael Reiss.“

Financement

Fonds national suisse (FNS), Bois Chamblard Foundation

Références

Reiss, R. S., Lemmin, U., Cimatoribus, A. A., & Barry, D. A. (2020). Wintertime coastal upwelling in Lake Geneva: An efficient transport process for deepwater renewal in a large, deep lake. Journal of Geophysical Research: Oceans, 125, e2020JC016095. https://doi.org/10.1029/2020JC016095


Auteur: Clara Marc

Source: EPFL

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