Le Corbusier, une œuvre mise à plat
Roberto Gargiani retrace l'histoire du plus célèbre architecte suisse, dans un ouvrage paru chez EPFL Press.
Le Professeur Roberto Gargiani, enseignant au Laboratoire de théorie et d’histoire 3 à l’EPFL vient de consacrer six années de recherches à une étude fouillée des archives les moins connues du Corbusier. Avec son assistante et co-auteure, Anna Rosellini, il a également visité et analysé les bâtiments du Corbusier, construit entre 1940 et 1965, date de sa mort. Ces recherches nous révèlent un architecte tour à tour poète, mystique, philosophe et artiste.
Vous avez récemment publié un ouvrage sur Le Corbusier portant sur son travail et sa vie après la Seconde Guerre mondiale. Pourquoi avoir choisi spécifiquement cette période ?
Après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, Le Corbusier à repensé entièrement la notion de «civilisation machiniste» qui avait été au cœur de sa pensée et de son œuvre dans les années 1920 et 1930. Pour lui, la guerre avait prouvé que la machine pouvait se retourner contre l’homme et contre la civilisation. Il n’y avait donc pas de meilleure façon d’étudier Le Corbusier que de commencer au moment où il tentait de se définir autrement. Voilà comment il nous a menés vers une nouvelle vision de son architecture, loin de celle que nous avions, pour poser un regard nouveau sur lui.
Beaucoup d’ouvrages ont déjà été écrit sur Le Corbusier, que vouliez-vous démontrer en écrivant ce livre?
La plupart des ouvrages écrits sur Le Corbusier reflètent les analyses de la génération de l’auteur, ce qui nous prive d’une compréhension à la fois scientifique et historique de son œuvre. J’ai pensé qu’une remise à plat était nécessaire. Petit à petit, Le Corbusier nous est apparu différent et nous avons porté un regard nouveau sur ses dernières œuvres. Par exemple, je parle de l’influence de l’Inde sur sa pensée et sur son travail après la Seconde Guerre mondiale, du rôle qu’il accordait à la photographie dans l’architecture, mais aussi des techniques surréalistes qu’il employait en tant qu’architecte, sculpteur ou cartonnier de tapisseries.
Comment définissez-vous cette nouvelle image ?
Un examen détaillé de la période, qui va de l’après guerre jusqu’à sa mort en 1965, nous permet de découvrir un homme constamment à la recherche de nouvelles idées et prêt à remettre en question sa conception de l’architecture, et même de toute l’architecture moderne. En étudiant ses archives, j’ai découvert non seulement l’architecte, mais aussi le poète, le philosophe et le visionnaire qu’il était. Son œuvre est d’ailleurs aujourd’hui encore d’avant-garde.
Par exemple, ses recherches fondées sur la notion d’architecture adaptée au climat n’ont été que brièvement étudiées. Dans les années 1940 et 1950, Le Corbusier construisait déjà des bâtiments en prenant en compte les données climatiques d’un lieu défini. Il le faisait grâce à l’outil efficace qu’il avait mis au point, «la grille climatique». La lumière naturelle du soleil jouait vraiment un rôle important dans sa conception de l’architecture et il se demandait déjà comment faire entrer le plus de lumière possible dans une pièce, sans en augmenter la température.
Vos recherches mettent l’accent sur la notion de béton brut. Pouvez-vous nous en dire un peu plus avant de conclure ?
Il ne faut pas oublier que Le Corbusier était à la fois artiste et artisan. Il aimait le béton «brut de décoffrage» et voyait en fait de la beauté dans les empreintes laissées par le coffrage. Les marques et les imperfections servaient à apporter une qualité esthétique au bâtiment. Il voulait voir le béton dépouillé, sans revêtement ni fioriture. C’est toute une vie de travail qui a été modifiée par sa manière de définir le «brut». Au départ un homme autoritaire, exerçant un contrôle maniaque de chaque élément, il a finalement adopté le risque pour en faire une force majeure – le résultat peut-être de ses différents voyages en Inde.
Il semble qu’il ait puisé son inspiration dans de nombreux et différents mouvements culturels…
Le Corbusier a trouvé l’inspiration au cours de ses différents voyages en Inde et chez les écrivains surréalistes, sans pour autant oublier qu’il avait fait ses débuts comme décorateur et graveur à La-Chaux-de-Fonds. On retrouve bien ces influences dans ses bâtiments et dans ses sculptures incrustées dans le béton, mais aussi dans ses tapisseries ou dans son emploi intensif de la couleur et des contrastes qui suscitent souvent l’émotion. L’architecture moderne est toujours influencée par son œuvre et nous espérons que ces recherches permettront d’envisager sous un angle nouveau son immense contribution.
“Le Corbusier Béton Brut and Ineffable Space 1940-1965: Surface Materials and Psychophysiology of Vision” by Roberto Gargiani and Anna Rosellini. EPFL Press ISBN 978-2-940222-50-6