Le code génétique de la croissance des mains et des doigts dévoilé
Des scientifiques de l’EPFL et de l’Université de Genève ont découvert un «code» des gènes architectes qui s’expriment dans des combinaisons spécifiques pendant le développement des mains et des doigts. L’étude décrypte l’expression des gènes du développement au niveau de la cellule unique, dans des membres en cours de croissance. Elle élargit nos connaissances de la génétique des membres en cours de formation.
Lors du développement du fœtus, tout doit impérativement être synchronisé à la perfection. La division et la différenciation des cellules, l’expression des gènes, le signalement de cellule à cellule et la morphogénèse doivent être soigneusement coordonnés pour se produire dans l’ordre et pendant la durée définie. Des erreurs de synchronisation peuvent provoquer des anomalies congénitales, des invalidités, voire le décès de l’individu.
La grande question que se posent depuis longtemps les biologistes du développement est la suivante : qu’est-ce qui définit le rythme et l’ordre des étapes du développement?
En observant le développement des pattes et des doigts chez la souris, les scientifiques du laboratoire de Denis Duboule de l’EPFL, en collaboration avec Pierre Fabre de l’Université de Genève, ont découvert un «code» des gènes architectes, qui jouent un rôle central dans le développement en cascade. Les gènes appartiennent au groupe Hoxd, gènes du développement qui sont actifs dans différentes combinaisons à l’intérieur des cellules dites «progénitrices» – cellules qui constituent l’étape suivant celle des cellules souches.
En poussant à sa résolution maximale une technique de pointe de séquençage de l’ARN à cellule unique, les scientifiques ont pu étudier des motifs d’expression de milliers de gènes à l’intérieur de cellules progénitrices uniques. L’analyse a montré que chaque cellule renferme 343 gènes qui sont associés à des états cellulaires spécifiques, et beaucoup d’entre eux sont impliqués dans la présentation et l’arrangement de l’ADN dans la cellule, ainsi que dans la configuration du développement des doigts des pattes.
Les scientifiques ont identifié une série très limitée de six combinaisons principales de cinq gènes Hoxd (Hoxd9, 10, 11, 12 et 13) intervenant dans la formation des doigts de la souris. Chaque combinaison inclut un, deux ou quatre des gènes, la plus simple (un seul gène) se trouve au début du développement, et la plus complexe (quatre gènes) se produit à des stades ultérieurs de la maturation.
Le schéma selon lequel les gènes Hox s’expriment lorsqu’ils «construisent» le corps entier – chez la souris et chez l’homme – est connu et étudié depuis plus de trente ans. Mais la plupart de ces informations résultent de l’observation de tissus entiers d'organes en cours de développement. Cette étude, en revanche, est la première à observer le phénomène dans des cellules uniques, ce qui offre une meilleure résolution et plus de clarté s'agissant de la manière dont les gènes Hox orchestrent le rythme du développement.
Graphique montrant les cinq combinaisons des gènes Hoxd dans les cellules précurseurs pendant le développement de la patte et des doigts de la souris. Chaque point représente une cellule unique; chaque couleur représente l’une des combinaisons Hoxd, qui correspondent à des degrés différents de différenciation (stades les plus précoces à gauche). L’illustration met en évidence le changement entre les états temporels cellulaires impliqués dans un réseau régulateur. Les cellules ne possédant qu’un seul gène sont dans un état prématuré, alors que celles qui expriment un plus grand nombre de ces gènes se trouvent à la fin du stade de maturation. Crédit: Pierre J. Fabre et Quentin Lo Giudice, Université de Genève
«L’étude montre comment les gènes architectes agissent de concert, en suivant une évolution progressive dans chaque cellule en cours de développement, pour générer des bras et des mains matures au bon moment et au bon endroit» explique Pierre Fabre. «Les combinaisons des gènes Hoxd constituent une machinerie qui génère un spectre de cellules fonctionnellement différentes au sein de classes génétiquement définies de motifs de structuration des membres». Ces données ouvriront la voie à de futurs travaux génétiques, visant à comprendre comment les cellules parviennent à synchroniser l’activation combinée de plusieurs gènes.»
Cette étude est le fruit d‘une collaboration entre la Faculté des sciences et la Faculté de médecine de l'Université de Genève, la Fondation ISREC de l’EPFL et du service BBCF.
EPFL
Université de Genève
Fonds national suisse de la recherche scientifique (Ambizione)
Conseil européen de la recherche (SystemHox et RegulHox)
Pierre J. Fabre, Marion Leleu, Bénédicte Mascrez, Quentin Lo Giudice, John Cobb, Denis Duboule. Heterogeneous combinatorial expression of Hoxd genes in single cells during limb development. BMC Biology 18 septembre 2018. DOI: 10.1186/s12915-018-0570-z