Le CDH accueille un Professeur d'histoire des sciences

© Alain Herzog / EPFL 2019

© Alain Herzog / EPFL 2019

Le 1er février, Jérôme Baudry a rejoint le Collège des Humanités (CDH) de l’EPFL comme Professeur assistant tenure-track et directeur du nouveau Laboratoire d’Histoire des sciences et des techniques (LHST).

Pouvez-vous nous présenter vos recherches ?

J’ai jusqu’à présent orienté mes recherches dans deux directions. Tout d’abord, je me suis intéressé à l’histoire des brevets d’invention au moment de leur création, aux XVIIIe et XIXe siècles. En comparant les cas anglais, américain et français, j’ai essayé de comprendre comment le principe d’une propriété qui ne porte pas sur des objets, mais sur des idées, s’est imposé.

Par ailleurs, en transformant les dynamiques de l’innovation, les brevets d’invention redéfinissent à cette époque les frontières entre science et technique : d’un côté la science va être conçue comme une activité pure, théorique, dégagée des intérêts matériels, de l’autre la technique va être vue comme une simple application de la science au monde industriel. C’est à ce moment-là que les termes de découverte et d’invention, autrefois synonymes, deviennent distincts. Or certains développements récents, par exemple en biologie et en génétique, montrent qu’une telle distinction n’était peut-être que temporaire.

Quelle est la seconde direction de vos recherches ?

Elle porte sur les relations entre science et société et sur la participation du public à la production des savoirs. J’ai beaucoup travaillé sur le mouvement récent des « citizen sciences », ou sciences participatives, qui ont l’ambition d’inclure des citoyens volontaires, amateurs de science mais non professionnels, dans la fabrique même de la recherche. En m’intéressant plus particulièrement aux projets de calcul distribué (comme SETI@home) ou de crowdsourcing scientifique (comme GalaxyZoo), j’ai étudié les mécanismes par lesquels des communautés de participants se forment autour de l’objet science. Il s’agissait de comprendre l’ingénierie sociale qui se trouve derrière le succès actuel des citizen sciences.

Quels projets de recherche souhaitez-vous mener au LHST ?

Certains projets sont dans la continuité de mes recherches précédentes, mais s’appuient sur l’environnement offert par le Digital Humanities Institute. Par exemple, je souhaite constituer un vaste corpus, sur plusieurs siècles, de brevets d’invention numérisés, dont l’analyse permettra de modéliser et de mieux comprendre les dynamiques de l’innovation.

Mais pour mes nouveaux projets, je compte bénéficier de la proximité avec les scientifiques et ingénieurs de l’EPFL afin d’établir des collaborations. Par exemple, en lien avec la Faculté des sciences et techniques de l’ingénieur et la Faculté informatique et communications, j’aimerais beaucoup lancer une recherche sur l’histoire de la CAO (conception assistée par ordinateur), qui dès les années 1970 transforme profondément les pratiques de conception, le métier et la formation d’ingénieur, ainsi que les objets industriels eux-mêmes.

Enfin, je souhaite valoriser le Musée de Physique, ou Collection des instruments de physique de l’Université de Lausanne, qui est issue de plus de deux siècles d’enseignement et de recherche. Nous sommes en train de préparer un nouveau site web, qui permettra de consulter et faire des recherches dans l’inventaire très complet qui a été réalisé par le Professeur Jean-François Loude. Cette collection servira bien entendu à des recherches sur l’histoire des instruments scientifiques, mais doit aussi vivre à travers des enseignements et des événements publics. Lors des Portes Ouvertes de l’EPFL les 14 et 15 septembre, nous exposerons ainsi certains objets et, avec l’aide de démonstrateurs, nous proposerons des reconstitutions d’expériences scientifiques du passé.

Quels cours allez-vous enseigner ?

En septembre, au sein du Master en Digital Humanities, je donnerai un cours sur l’histoire et le numérique, avec un objectif double : présenter (et pourquoi pas créer !) des outils numériques qui permettent de traiter des données historiques, et réfléchir, grâce à des études de cas historiques, sur la portée et les limites de la pensée computationnelle. Par la suite, je proposerai également un nouveau cours dans le cadre du programme SHS, sur l’histoire de l’innovation et des interactions entre science et techniques, depuis le XVIIIe siècle jusqu’à aujourd’hui.

En quoi est-ce important d’étudier l’histoire des sciences et des techniques à l’EPFL ?

Pour de multiples raisons ! Parce que le passé nous offre une foule d’exemples, de modèles et de concepts qui peuvent nous inspirer aujourd’hui encore ; parce qu’il nous permet de réfléchir sereinement à notre propre pratique des sciences… Mais plus fondamentalement, je crois qu’il faut défendre l’idée qu’il n’y a pas deux cultures séparées, l’une scientifique et l’autre humaniste. La science n’est pas à part, elle fait partie intégrante de la culture, elle est irriguée par la société qu’elle irrigue à son tour.

Jérôme Baudry a étudié l’histoire des sciences et des techniques à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales à Paris, et a reçu son doctorat au Département d’histoire des sciences de Harvard University. Avant de rejoindre l’EPFL, il était chercheur postdoctoral et chargé d’enseignement à l’Université de Genève, où il a travaillé sur un projet ERC/SNSF sur les « citizen sciences » (sciences participatives). Sa nomination comme Professeur à l’EPFL a été annoncée en décembre 2018.